La peine de mort : une politique du secret pour un Japon sous pression

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Satô Daisuke [Profil]

Si de nombreux pays ont aboli la peine de mort durant la deuxième moitié du XXe siècle, le gouvernement japonais s’est longtemps appuyé sur l’opinion publique pour « rallier à son étendard » et en justifier le maintien. Pourtant l’heure est à la remise en question. L’acquittement prononcé lors du procès en révision de l’affaire Hakamata et les remarques du comité des Nations unies poussent le Japon dans ses retranchements.

L’autre controverse : la pendaison, ce châtiment cruel

La controverse porte également sur la cruauté du châtiment pratiqué au Japon : le problème de la mort par pendaison.

La Cour suprême japonaise, dans son arrêt de 1955, a nié que la pendaison soit un acte de cruauté. « Il n’y a aucune raison de croire que la pendaison actuellement utilisée au Japon soit particulièrement cruelle ou inhumaine par rapport à d’autres méthodes. » Certains chercheurs et avocats en dénoncent pourtant la cruauté en soulignant qu’il existe un risque que la tête du condamné soit arrachée lors de la mise à mort

En 2011, au procès des meurtres suivis d’un incendie criminel jugés au tribunal de district d’Osaka, un expert médico-légal autrichien a déclaré, lors de sa comparution en tant que témoin de la défense : « Il arrive que le corps subisse des blessures à cause de la longueur de la corde ou du poids du condamné ». Un ancien procureur ayant déjà assisté à des exécutions a également indiqué : « la pendaison est un châtiment cruel horrible, une scène insoutenable. ». Il a fait valoir qu’elle relevait de la catégorie des « châtiments cruels » interdits par l’article 36 de la Constitution japonaise.

Si dans cette affaire, le tribunal de district d’Osaka a reconnu que dans certains cas la mort par pendaison pouvait prendre plus de deux minutes, deux minutes pendant lesquelles le condamné à mort continue de ressentir de la douleur avant de perdre connaissance, « la pendaison n’est pas un traitement cruel » a-t-il été statué, sans plus de précision sur les raisons de cet arbitrage. Aux États-Unis, la pendaison jugée trop cruelle a été remplacée par la chaise électrique qui, elle-même jugée inhumaine, a été abandonnée au profit de l’injection létale.

Un journaliste japonais ayant fait un reportage sur la peine de mort aux États-Unis souligne que « pour les Américains, la pendaison rappelle les lynchages et les exécutions publiques de Noirs. Même les plus favorables à la peine de mort s’y montrent réticents ». Cette aversion pour la pendaison éclaire les conclusions du comité consultatif de l’ONU.

Le gouvernement japonais souhaite maintenir la peine de mort

Malgré ces problèmes et les critiques de la communauté internationale, le gouvernement japonais n’est pas disposé à revoir son système de peine de mort. Il dit d’ailleurs avoir sur le sujet, le complet « soutien de son opinion publique ».

Tous les cinq ans, le Bureau du Cabinet réalise un sondage d’opinion sur la peine de mort. Les résultats de 2019 avancaient que 80,8 % des personnes interrogées jugaient la peine de mort « inévitable ». Mais le record du pourcentage le plus élevé remonte à l’enquête de 2009 publiée en février 2010, avec 85,6 %. C’est sur cette base que les médias relayent que « plus de 80 % des Japonais sont favorables à la peine de mort ».

Après l’exécution de trois condamnés en décembre 2021, Furukawa Yoshihisa alors ministre de la Justice déclare en conférence de presse : « J’entends bien qu’une grande partie de l’opinion publique trouve aujourdhui que la peine de mort est inévitable en cas de crime extrêmement vil et atroce ». Avant lui déjà les ministres de la Justice successifs arguaient qu’« une grande partie des Japonais est favorable à la peine de mort », les sondages d’opinion continuent de tenir une grande place dans l’argumentaire des politiques au pouvoir.

Le gouvernement affirme avoir le soutien de l’opinion publique, alors qu’en fait les détails concrets concernant la peine de mort ne sont pas rendus publiques. Les visites aux condamnés étant strictement encadrées, il est difficile de connaître leur quotidien ou leur état d’esprit, comment décide-t-on au ministère de la Justice de faire exécuter tel ou tel condamné, comment se déroulent les mises à mort ; la non-transparence règne. Après l’exécution, il est d’usage que le ministre de la Justice donne une conférence de presse, mais il se cantonne à donner le nom du ou des condamnés, à indiquer le lieu d’exécution et les circonstances du crime. À toute autre question, il a coutume de rétorquer « je m’abstiendrai de répondre ». Là encore, la « stabilité émotionnelle » est invoquée pour justifier cette retenue de l’information.

Les recommandations d’anciens procureurs généraux et directeurs de l’Agence nationale de police

Pour ou contre la peine de mort ? Rien d’étonnant à ce que les points de vue divergent. Mais, pour se faire une opinion il faudrait pouvoir disposer de données claires et donc que l’information soit rendue publique. Aux États-Unis, les dates d’exécution sont annoncées à l’avance et les détails de l’exécution sont relayés par la presse, les victimes ainsi que par les proches du condamné. Certes les USA sont, avec le Japon, l’un des rares pays développés à maintenir la peine de mort, mais l’accès à l’information permet aux citoyens d’avoir un avis éclairé ouvrant à de riches débats.

En février 2024, un organisme privé s’étant donné pour mission d’ouvrir le dialogue sur la peine capitale, son maintien et son application a lancé l’idee d’une « Table ronde sur la peine de mort au Japon », 16 panélistes au rang desquels se trouvaient des parlementaires de la Diète, des universitaires, un ancien procureur général, un ancien directeur général de l’Agence nationale de police, ainsi que l’auteur de ces lignes étaient au rendez-vous.

Dans ce rapport, remis au Premier ministre Ishiba Shigeru, le groupe de travail a souligné le danger d’erreurs judiciaires et attiré l’attention sur la question de l’accès à l’information. Il a également fait des recommandations à la Diète et au Cabinet et demandé qu’une commission publique dédiée à la question de la peine de mort, son maintien et ses conditions d’application soit insturée de toute urgence. En réponse, Hayashi Yoshimasa, Secrétaire général du Cabinet, a déclaré en conférence de presse « Il n’est pas opportun d’abolir la peine de mort » avant de signifier son refus de créer une commission.

Les statistiques d’Amnesty International de 2023 indiquent que 144 États, membres de l’ONU (70 %), ont effectivement aboli la peine de mort ou arrêté de procéder à des exécutions depuis plus de 10 ans. Le gouvernement japonais dit agir en faveur de la « diplomatie des droits de l’homme », mais il est desormais complètement minoritaire sur la question de la peine de mort.

(Photo de titre : Yamada Hideo, procureur général du Bureau du procureur général du district de Shizuoka [à gauche], présente ses excuses à Hakamata Iwao [au centre à droite]. L’ancien condamné à mort a été acquitté à l’occasion de la révision de son procès dans l’affaire de meurtre d’une famille, à Hamamatsu, dans la préfecture de Shizuoka. Photo prise en novembre 2024. Kyodo News)

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Satô DaisukeArticles de l'auteur

Journaliste. Né à Hokkaidô en 1972. Après son diplôme en droit à l’université Meiji Gakuin, il travaille pour le journal Mainichi puis pour l’Agence de presse Kyôdô News à partir de 2002. Correspondant à Séoul de mars 2009 à fin 2011, il est ensuite correspondant à New Delhi de septembre 2016 à mai 2020. Membre du comité de rédaction et éditorialiste depuis mai 2021, il a notamment écrit « Un reporter dans le couloir de la mort » (Rupo shikei, chez Genshusha Shinsho), « 1,3 milliard de WC L’Inde, une superpuissance économique vue d’en bas » (13 Oku-nin no toire : Shita-kara mita keizai-taikoku Indo, chez Kadokawa Shinsho) mais aussi « La Corée, une société “audition” » (Oodishon shakai : Kankoku, chez Shinchô Shinsho).

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