Le 13 février, Honda Motor Co. et Nissan Motor Corp. ont annoncé la fin de leur protocole d’agrément visant à l’intégration des entreprises via la fondation d’un holding. « Nous avons proposé une structure de gouvernance unique, mais ne sommes pas parvenus à aboutir à un accord », a expliqué Mibe Toshihiro, le PDG de Honda, lors d’une conférence de presse en ligne. L’expression « structure de gouvernance unique » faisait référence au projet de faire de Nissan une filiale de Honda plutôt que d’intégrer les deux constructeurs au sein d’un holding.
Au moment de la déclaration de décembre 2024 annonçant que les deux protagonistes étaient engagées dans des pourparlers en vue d’une fusion, il avait été convenu que Honda désignerait le président et la majorité des membres du conseil d’administration du holding, et il était donc clair que Honda prendrait la direction de l’intégration des entreprises. Toutefois, Nissan aurait toujours la garantie de disposer d’un certain niveau d’indépendance de sa direction, par exemple en termes de contrôle des questions liées au personnel. D’un autre côté, si Nissan devenait une filiale à part entière, Honda garderait le contrôle sur des décisions clefs, dont la nomination des cadres et les stratégies d’entreprise.
Uchida Makoto, le PDG de Nissan [ndlr : qui a démissionné le 11 mars dernier, cédant la place à Ivan Espinosa], a lui aussi tenu une conférence de presse, au cours de laquelle il a déclaré : « Nous avons établi qu’il serait difficile de maximiser nos forces dans le cadre d’une structure de filiale », en insistant sur la priorité accordée par Nissan à l’indépendance de la direction. Un autre cadre de Nissan, hostile à l’approche de Honda, a déclaré : « Juste après que nous nous sommes prononcés en faveur de la poursuite de l’intégration des entreprises via un holding, Honda a modifié les principales conditions requises. Cette façon de négocier est problématique. »
Pourquoi ces pourparlers, qui constituaient potentiellement la négociation du siècle — qui aurait pu donner naissance au troisième plus grand constructeur mondial d’automobiles, juste derrière Toyota et Volkswagen —, ont-ils touné court juste un mois et demi après avoir été annoncés ? Je me penche ci-dessous sur les discussions qui se sont déroulées en coulisses et ce qui peut se cacher derrière, et m’interroge sur ce à quoi on peut s’attendre.

Une « annonce de fiançailles » amnésique
Lors de la conférence de presse de décembre dernier annonçant le lancement des négociations, lorsque l’on a demandé à Mibe ce qu’il admirait chez Nissan, la seule réponse qu’il a trouvée fut : « C’est une question difficile. » L’intégration des deux entreprises peut être comparée à un mariage. La réponse de Mibe équivaut à une incapacité à exprimer les qualités de son futur conjoint.
Les propos de Mibe sont intervenus dans un certain contexte. Après avoir annoncé qu’elles allaient coopérer dans le secteur des VE, les deux sociétés ont mis en place six groupes de travail et tenu des discussions sur des sujets clefs. L’éventualité d’un partenariat en capital a également été évoquée lors de l’annonce initiale de la collaboration.
À mesure que leur relation s’approfondissait via les négociations, une grave erreur de calcul est apparue en ce qui concerne l’ampleur de l’aggravation de la situation financière de Nissan. Dans ses prévisions d’activité pour l’exercice fiscal prenant fin en mars 2025, publiées le 13 février, Nissan prévoyait une perte nette de 80 milliards de yens (490 millions d’euros), ce qui représentait une chute brutale par rapport au revenu net de 426,6 milliards de yens (2,6 milliards d’euros) enregistré l’année précédente.
Même dans les négociations sur la collaboration entre les entreprises qui se sont ouvertes en août dernier, la direction de Honda a considéré la restructuration de Nissan comme un critère essentiel pour la réussite du projet d’intégration. Dans son communiqué de presse annonçant les pourparlers, Honda soulignait que la réussite d’un redressement de Nissan opéré via une application rigoureuse de son plan de revitalisation allait constituer un préalable incontournable. Le plan dont il s’agit est le projet de Nissan annoncé le 7 novembre, qui entraîne la suppression de 9 000 emplois (soit 7 % des effectifs) et une réduction de 20 % de la capacité de production.
Des frustrations générées par la lenteur du processus de décision
Mais Honda a eu le sentiment que les efforts de restructuration de Nissan n’avançaient pas assez vite. Outre cela, au cours du processus de négociation, « il y a eu de nombreux cas où des décisions prises dans le cadre de discussions entre les PDG Mibe et Uchida ont été par la suite annulées au sein de Nissan », si l’on en croit quelqu’un qui connaît Honda de l’intérieur. C’est pourquoi Honda en est venu à la conclusion qu’il y avait un problème dans le processus de décision de Nissan, problème qui générait une lenteur de la mise en œuvre de la gestion.
Fin 2024, Honda avait commencé d’envisager de faire de Nissan une filiale et, à la mi-janvier, des discussions s’étaient, dit-on, amorcées sur l’identité de la personne que Honda allait désigner comme nouveau président de Nissan, si ce projet allait de l’avant. Selon une source, « Mibe et Uchida se sont rencontrés le 23 janvier pour confirmer de façon définitive si Nissan allait accepter de devenir une filiale. »
Uchida envisageait l’idée de constitution d’une filiale au sein de l’entreprise, mais le 4 février, au cours d’une réunion avec des cadres supérieurs, le directeur général adjoint Sakamoto Hideyuki, qui supervise la production, s’est violemment opposé au projet. En fin de compte, cela a conduit Nissan à mettre fin aux négociations avec Honda. « Sakamoto est plus âgé, plus expérimenté que Uchida », a dit un employé de Nissan, « et il a un parcours professionnel plus solide, si bien qu’une partie du personnel se tourne vers lui plutôt que vers le PDG. »
Une réunion d’urgence du conseil d’administration s’est tenue le 5 février, et seuls 2 des12 membres du conseil se sont prononcés en faveur de la poursuite des négociations d’intégration. Prenant acte de cette issue, Uchida a informé Mibe dès le lendemain que les négociations allaient prendre fin.
Tesla et Foxconn désignés comme candidats
Que vont faire désormais les deux entreprises ? Mibe, de Honda, a déclaré que l’entreprise avait élaboré plusieurs projets. Dans le même temps, lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 13 février, Nissan a annoncé son intention de « chercher des opportunités pour des partenariats stratégiques qui augmenteraient de façon significative la valeur de l’entreprise », révélant par là sa volonté de se mettre en quête d’éventuelles nouvelles alliances.
Aux yeux des connaisseurs de ce secteur d’activités, il existe quatre perspectives différentes quant aux futures trajectoires de Nissan et Honda.
Au sein de l’administration gouvernementale, l’hypothèse d’une alliance de Nissan avec une entreprise américaine, éventuellement Tesla, fait l’objet de spéculations. Le bruit court que, lors du sommet Japon-USA du 8 février, le président Donald Trump aurait, par erreur et à trois reprises, mentionné Nippon Steel sous le nom de « Nissan » en parlant de la question de l’acquisition de US Steel. Elon Musk, le PDG de Tesla, est un proche de Trump. Peut-être le président a-t-il en tête le nom de Nissan.
Une autre possibilité serait que le fabricant taiwanais d’électronique sous contrat Foxconn tente ouvertement d’acquérir Nissan. Depuis l’automne dernier, cette entreprise prépare le terrain en engageant avec la banque Mizuho, la banque principale de Nissan, ainsi qu’avec le ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie, des pourparlers qui, dit-on, sont toujours en cours.

Véhicule électrique de Foxcom, le Model E (© Images Walid Berrazg/SOPA via ZUMA Press Wire/Kyôdô)
Une acquisition conjointe par Honda et Foxconn ?
La troisième possibilité, à mes yeux, serait que Honda et Nissan reprennent les négociations en vue d’une intégration. Comme nous l’avons vu plus haut, une intégration opérée entre les deux entreprises a le potentiel de générer un effet de synergie estimé à 1 000 milliards de yens. Peut-être Honda rechigne-t-il à se retirer tout de suite. Si la gestion Uchida, avec la lenteur de son processus de décision, est remplacée, de nouvelles initiatives en vue de l’intégration pourraient se profiler à l’horizon.
Pour Honda, la production de véhicules à quatre roues reste nettement moins rentable que celle de véhicules à deux roues. Mibe a expliqué au sein de l’entreprise que la décision de continuer sur le chemin de l’intégration a été prise pour la simple raison que, dans les conditions actuelles, la construction automobile ne peut pas survivre de façon indépendante.
Un dernier scénario possible serait que Foxconn et Honda s’orientent vers une acquisition conjointe. Des personnes bien informées remarquent que Honda tient en haute estime Seki Jun, le directeur de la stratégie des VE chez Foxconn.
Lorsqu’il était vice-directeur des opérations (vice-COO) chez Nissan, Seki s’est chargé de la réforme structurelle de l’entreprise. Les opérations internes de Nissan lui sont donc très familières. Il me semble possible que Foxconn et Honda se donnent la main, Seki jouant le rôle de fer de lance des efforts de restructuration, tandis que Honda, Nissan, Foxconn et Mitsubishi Motors se concentreraient sur la stratégie de croissance, avec pour résultat la formation d’une nouvelle alliance nippo-taiwanaise d’entreprises.
Les temps changent rapidement. De grands événements peuvent se produire au printemps 2025, et il n’est pas exclu que des informations en provenance du Japon fassent la une dans le monde entier.
(Photo de titre : le PDG de Nissan Uchida Makoto, à gauche, et le PDG de Honda Mibe Toshihiro, à droite, tiennent séparément une conférence de presse le 13 février 2025, suite à la fin des négociations visant à l’intégration des entreprises. Jiji)