Sous l’asphalte, des bombes à retardement : le danger du vieillissement des réseaux d’égouts au Japon

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Hashimoto Junji [Profil]

En janvier 2025, le trou béant qui s’est ouvert dans la chaussée au carrefour de Yashio, dans la préfecture de Saitama, a englouti un camion et son chauffeur. Une canalisation d’eau s’est rompue, puis le gouffre s’est élargi impactant près de 1,2 million d’habitants. Un expert en gestion de l’eau alerte sur l’imminence d’accidents similaires car les infrastructures sont vieillissantes. Il nous explique comment réfectionner les égouts du Japon.

Les pluies saisonnières menacent les canalisations vieillissantes

Le trou ayant également endommagé la collecte des eaux pluviales, le risque d’inondation en cas de pluies saisonnières s’en est trouvé accru. Or avec le réchauffement climatique, le Japon connaît une augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes (pluies torrentielles et typhons). Quand s’ouvrent les vannes célestes, les égouts collectant les eaux pluviales sont facilement débordés, des rues et des quartiers entiers peuvent se retrouver inondés. Les zones basses sont particulièrement vulnérables. Il incombe aux autorités d’entretenir les infrastructures, de faire régulièrement des inspections et d’évaluer les risques de perturbations, pour que les municipalités puissent faire les bons investissements, entretenir et moderniser efficacement les infrastructures concernées.

Ce serait une erreur de penser que l’incident de Yashio est un cas isolé. En effet, le réseau de facteurs ayant conduit à cet effondrement peut se produire dans n’importe quel égout au Japon. En 2015, la loi portant sur la gestion des eaux usées a été révisée, les autorités locales doivent désormais augmenter la fréquence d’inspection des canalisations aux endroits susceptibles d’être endommagés par le vieillissement et la corrosion et effectuer les réparations nécessaires. Grâce à cet arrêt, le nombre d’effondrements de chaussée a diminué pour tomber à 2 600 incidents en 2022. Depuis la grande majorité des trous font moins d’un mètre de profondeur, mais des effondrements plus importants, comme celui de Yashio, représentent encore 2 % du total, il ne faudrait pas lessous-estimer vu l’ampleur des perturbations générées.

Effondrements dus à des canalisations endommagées

Selon le ministère des Territoires, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme, le Japon comptait 490 000 kilomètres de canalisations d’égouts fin 2022 (chiffres de mars 2023). Une grande partie du réseau a été construite entre 1950 et 1970, pendant la période de forte croissance économique qui à été accompagnée d’une hausse rapide du niveau de vie au Japon. Actuellement, 7 % des canalisations ont plus de 50 ans, ce taux devrait monter à 19 % dans les 10 ans à venir et représenter 40 % du total d’ici 20 ans.

Réseau d’égouts vieillissant au Japon

Plusieurs incidents récents, ressemblant à celui de Yashio avec effondrement de la chaussée suite à la rupture de canalisations d’égout, ont montré la gravité de la situation. En juin 2022, une artère importante reliant la ville de Kawajima (préfecture de Saitama) a vu s’ouvrir un trou de 1,5 mètre de diamètre sur 3 mètres de profondeur, dans lequel est tombé un cycliste âgé de 80 ans. En juillet de la même année, une brèche de 60 centimètres dans une canalisation posée en 1982 a provoqué l’effondrement d’une route à Sendai (préfecture de Miyagi), laissant derrière elle un cratère de 4,5 mètres de long sur 11,6 mètres de large pour une profondeur de 2 mètres.

Dans un autre cas, sans rapport avec les égouts, un trou s’est ouvert en novembre 2016 près de la gare de Hakata (à Fukuoka). Les médias du monde entier avaient alors suivi les travaux et loué la rapidité de la réaction des autorités : une armée de bétonnières et d’ouvriers s’étaient affairés et avaient réussi à combler le gouffre de 15 mètres de profondeur en une semaine. Pourquoi un tel écart entre Hakata et Yashio? À Hakata, l’effondrement s’est produit à 5 heures du matin alors que les rues étaient encore désertes. Les équipes chargées de la reconstruction ont tout de suite pu être mobilisées. Quelques heures plus tard, tous auraient été en route pour l’école ou le travail et il y aurait certainement eu des victimes, ce qui aurait considérablement ralenti les opérations de reconstruction.

Bien qu’elles doivent contrôler toujours davantage et moderniser les infrastructures vieillissantes, les municipalités prennent de plus en plus de retard dans la mise en œuvre des opérations d’entretien. La pénurie de main-d’œuvre pèse sur l’avancée des travaux. En effet, au Japon, la stabilisation du développement des réseaux d’égouts et la réorganisation de ces services au niveau municipal a fait chuter le nombre d’ouvriers spécialisés travaillant à la gestion des eaux usées. En 1997, ce secteur employait encore 47 000 ouvriers, en 2021 ils ne sont plus que 26 900. Ainsi, la fréquence des contrôles a diminué, les équipes n’arrivent plus à inspecter les canalisations qu’une fois tous les cinq ans (au maximum). Le ministère a poussé les municipalités à externaliser une partie des travaux et déléguer ce travail à des entreprises privées. Mais cette politique n’a pas porté ses fruits, puisque les entrepreneurs privés sont confrontés au même problème de recrutement de main d’œuvre qualifiée.

(Au centre) Ôno Motohiro, le gouverneur de Saitama, préside la réunion d’un groupe d’experts chargé d’analyser les causes de l’effondrement de Yashio. Photo prise le 31 janvier 2025 dans la capitale préfectorale de Saitama. (© Jiji)
(Au centre) Ôno Motohiro, le gouverneur de Saitama, préside la réunion d’un groupe d’experts chargé d’analyser les causes de l’effondrement de Yashio. Photo prise le 31 janvier 2025 dans la capitale préfectorale de Saitama. (© Jiji)

L’augmentation des coûts pèse également sur la gestion du traitement des eaux usées. Les recettes provenant des services d’égouts sont en baisse constante en raison de la dépopulation et de la volonté toujours plus accrue de faire des économies d’eau. Les communes manquent de fonds pour financer les plans de remplacement des infrastructures vieillissantes.

Les collectivités locales financent le traitement des eaux usées avec les redevances perçues auprès des usagers, mais beaucoup dépendent en fait des subventions du gouvernement central. Même les municipalités excédentaires ont un budget constitué à 28 % de la redevance et à 17 % de fonds d’investissement venant notamment de subventions. Or les procédures nécessaires à l’obtention de ces aides sont longues et fastidieuses, et les paiements souvent en retard. Les communes se retrouvent à gérer les eaux usées sur la base d’une enveloppe budgétaire fragile.

De plus, le réseau d’égouts est plus coûteux à exploiter et à entretenir que le réseau d’eau potable. Les canalisations sont plus larges et plus profondément enterrées. Les coûts de remplacement ou de réparation sont donc trois à quatre fois plus élevés. De plus, des pompes sont souvent nécessaires pour maintenir l’effluent en mouvement dans les canalisations, ce qui augmente encore les coûts. La redevance ne suffit pas à couvrir les dépenses d’exploitation et, à moins que celles-ci ne soient alignées sur les coûts d’exploitation, l’entretien des réseaux continuera de poser problème aux municipalités, ce qui pourrait avoir un impact sur le niveau des services et la qualité de vie des citoyens.

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Hashimoto JunjiArticles de l'auteur

Journaliste spécialisé dans les questions de l’eau, de l’environnement, du changement climatique, des catastrophes et des infrastructures. Directeur de l’organisme de recherche Aqua-Sphere mais aussi directeur de recherche à la Tokyo Foundation. Il est professeur invité et enseigne le développement durable à l’université de Musashino. Il a également été professeur associé invité à l’université Gakugei de Tokyo et travaillé comme expert pour l’Agence japonaise de coopération internationale. Cet ancien chercheur au premier bureau de recherche spécial de la Chambre des conseillers est notamment l’auteur de « 6,7 milliards d’humains et l’enjeu de l’eau : des conflits au développement durable » (67 oku nin no mizu : sôdatsu kara jiizoku kanô he) mais aussi de « Privatiser l’approvisionnement en eau, quel impact ? » (Suidô min’eika de mizu wa dô naru).

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