Réélection de Donald Trump : la politique étrangère et le Japon dans l’America First

Politique International

Que réserve la composition du nouveau gouvernement Trump pour le Japon et le reste du monde ? Le professeur de l’université Keiô, Mori Satoru, expert en politique étrangère américaine, partage ses réflexions avec le chef de la planification éditoriale de Nippon.com, Takenaka Harukata (professeur de science politique au Collège doctoral de recherche politique, ou GRIPS).

Mori Satoru MORI Satoru

Professeur à l’université Keiô. Spécialiste de la politique internationale et de la politique étrangère et de défense contemporaine américaine et directeur adjoint du Keiô Center for Strategy (KCS). Né en 1972, il a fait ses études à l’université de Kyoto et il est titulaire d’un doctorat, qu’il a obtenu à l’université de Tokyo. Ancien fonctionnaire du ministère japonais des Affaires étrangères, il a été professeur associé et professeur au département de politique mondiale de l’université Hôsei, avant d’occuper son poste actuel, fonction qu’il exerce depuis 2022. Il a notamment publié « La guerre du Vietnam et l’alliance diplomatique » (Vietnam sensô to dômei gaikô, aux éditions University of Tokyo Press).

Le Japon dans le monde de Donald Trump

— Donald Trump a également dit qu’il allait imposer des droits de douane de 60 % sur les produits chinois et de 10 % à 20 % sur les importations en provenance de la plupart des autres pays. Est-ce que le Japon serait concerné ?

M.S.  En 2023, l’excédent commercial du Japon avec les États-Unis s’élevait à 8 700 milliards de yens [54 milliards d’euros], ce qui est même plus qu’à l’époque de la première administration Trump. Je pense donc qu’en effet, il est fort probable que le Japon sera dans la ligne de mire de Washington. Les entreprises japonaises qui exportent des produits vers les États-Unis en ressentiront les effets. Et ce sera encore pire pour les industries qui exportent vers l’Amérique en passant par le Mexique, si Donald Trump impose comme il le souhaite une taxe de 25 % sur les produits mexicains.

Quels sont alors les moyens à disposition du Japon ? Cela fait cinq années consécutives que le Japon est le premier pays investisseur aux États-Unis (par bénéficiaire effectif final). Je suppose que nous avons des arguments en notre faveur et que nous pouvons être dans les bonnes grâces de Washington sur la base de ce bilan, ce qui nous permettra également d’adopter une position de négociation ferme, tout en cherchant à obtenir des exemptions.

En plus des droits de douane, il semblerait que Donald Trump insiste pour que le Japon augmente ses dépenses de défense et contribue davantage à l’entretien des forces américaines stationnées au Japon. Voilà à quoi pourrait s’attendre l’Archipel, si les unilatéralistes de l’ « America First » font les choses comme ils l’entendent. Les « prioritizers », quant à eux, veulent renforcer les alliances bilatérales et minilatérales afin de consolider la coalition anti-Pékin. De ce point de vue, le Japon est une puissance clé, et Washington aura à cœur de continuer à faire pression pour renforcer la coopération en matière de défense. Cela signifie probablement une augmentation simultanée à la fois des frictions mais également de la coopération sous la deuxième administration Trump.

Le plus important pour le Japon, c’est le type de stratégie de défense sur trois axes que l’administration Trump mettra en place. Les « restrainers » comme les « prioritizers » voudront mettre un terme aux conflits qui font rage actuellement en Europe et au Moyen-Orient. Au Moyen-Orient, il s’agira de mettre fin aux affrontements, avec l’avantage du côté d’Israël, et de contenir l’Iran. Pour le moment, on ne sait pas grand-chose sur la politique iranienne de l’administration Trump, mais si Téhéran est acculé, il risque de se tourner vers l’armement nucléaire, ce qui ne ferait qu’exacerber les tensions entre Israël et l’Iran. Washington doit gérer le conflit de manière à éviter le risque d’un conflit armé total. Et Donald Trump ne veut pas non plus être mêlé à des conflits au Moyen-Orient, c’est pourquoi il pourrait mettre un bémol à son ambition d’adopter une position ultra-dure à l’égard de l’Iran.

Le plan de base de la politique étrangère américaine semble être d’éteindre les incendies en Europe et au Moyen-Orient et d’opérer un changement de cap vers l’Indo-Pacifique, avec pour objectif de consacrer le maximum d’attention à la lutte contre la Chine. Nul ne saurait dire si ce plan réussira, tant que nous n’aurons pas vu comment les choses évolueront par la suite. Mais une chose est sûre : la tâche ne sera pas facile. Et il n’est pas à exclure que les États-Unis aient à jongler entre l’Europe, le Moyen-Orient et la Chine pendant les quatre années à venir.

Qu’adviendra-t-il du partenariat nippo-américain ?

— Pensez-vous que des droits de douane de 60 % sur les produits chinois soient possibles ?

M.S.  Avec les inquiétudes des Américains concernant l’inflation, certains observateurs pensent que Donald Trump aura à cœur de justement réduire l’inflation. Et cela aura probablement un impact sur le plan politique. Les élections de mi-mandat auront lieu dans deux ans et si les républicains perdent leur majorité au Sénat et à la Chambre des représentants, il sera difficile pour eux de faire progresser leur programme législatif. Pour le moment, nul ne saurait dire si l’objectif réel de Donald Trump est de : réduire la dépendance de l’économie américaine à l’égard de la Chine, de brandir la menace de droits de douane pour obtenir des concessions de la part de cette dernière ou même de combiner les deux. Donald Trump menaçant d’imposer des droits de douane sur quasiment toutes les importations, on peut supposer que l’objectif sous-jacent est de favoriser l’autosuffisance manufacturière des États-Unis, comme je l’ai mentionné plus tôt. Mais la menace de droits de douane de 60 % pourrait n’avoir que des fins de pression sur Pékin. Dans ce cas, lorsque la Chine annoncera des mesures de rétorsion, les États-Unis entameront des négociations avec cette dernière. Washington pourrait également demander à Pékin de revoir ses « pratiques commerciales déloyales ».

— Pour finir, j’aimerais vous demander quelles sont selon vous les perspectives pour les liens entre le Japon et les États-Unis sous la deuxième administration Trump. Malgré certains désaccords, notamment sur les tarifs douaniers, pensez-vous que les relations de base resteront stables dans l’ensemble, étant donné l’intensité de la rivalité entre les États-Unis et la Chine ?

M.S.  Toute la question sera de savoir si et dans quelle mesure les nouveaux tarifs douaniers et les demandes d’augmentation des dépenses de défense se concrétiseront. Dans le cas du Japon, ce sera très difficile d’un point de vue bureaucratique, mais je pense que ce sera politiquement gérable et qu’il ne sera pas impossible de prendre des mesures. Nous devons rester vigilants et suivre de près l’évolution de la situation. À ce stade, je ne saurais être trop optimiste concernant les relations nippo-américaines. Je pense que les réponses à apporter aux bouleversements ou aux événements dans le reste du monde, dans le détroit de Taïwan ou dans la péninsule coréenne, en Ukraine ou au Moyen-Orient, sont des dossiers autrement plus épineux pour le Japon. Restera à savoir si nous pouvons nous fier au jugement de Donald Trump en cas de crise. Étant donné sa réaction lors de la pandémie de coronavirus, mieux vaut, à mon avis, ne pas vendre la peau de l’ours.

(Texte publié à l’origine en japonais à partir d’une interview réalisée le 29 novembre 2024 et mise à jour le 16 janvier 2025. Photo de titre : le nouveau président des États-Unis, Donald Trump, célèbre sa victoire avec des membres républicains de la Chambre des représentants dans un hôtel à Washington, le 13 novembre 2024. Kyôdô)

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