
Le Japon à l’ère des migrations planétaires
« Aucune chance d’économiser de l’argent » : comment le Japon n’attire plus les jeunes Vietnamiens
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De lourdes dettes
Ceci étant, les chiffres publiés par le Département vietnamien du travail outre-mer montrent que le Japon était la destination favorite des travailleurs vietnamiens en 2023, avec 80 000 d’entre eux qui se sont rendus dans ce pays. Taïwan était la seconde destination la plus populaire, avec 59 000 intrants. Le Japon et Taïwan ont compté pour 90 % du total de l’exode de la main-d’œuvre vietnamienne. Malgré le déclin de sa popularité, le Japon reste une option réaliste pour les travailleurs vietnamiens en quête d’un emploi à l’étranger.
Si le Japon reste en lice, c’est grâce au niveau relativement fiable de sa demande de recrutement et à l’absence de critères d’admission trop rigoureux, tels que la maîtrise de la langue. Il est en outre facile de se procurer de l’argent pour se rendre dans l’Archipel. Une fois qu’il a un poste confirmé, et qu’il a obtenu un visa de l’Agence japonaise des services de l’immigration, un stagiaire peut emprunter de l’argent à la Banque nationale du Vietnam.
Dortoir d’un centre de formation hébergeant des stagiaires avant leur départ au Japon. Photo prise à Hanoï le 17 juin 2024.
Une étude effectuée en 2022 par l’Agence des services de l’immigration a montré que 55 % des stagiaires avaient accumulé des dettes avant de venir au Japon. Au classement par nationalité, ce sont les stagiaires vietnamiens qui étaient le plus endettés, avec une moyenne de 674 480 yens (plus de 5 000 dollars au taux de change moyen en vigueur celle année-là). Dans le même temps, une étude effectuée par l’Organisation japonaise du commerce extérieur est arrivée à la conclusion que le salaire mensuel moyen pratiqué dans l’industrie manufacturière vietnamienne était de 273 dollars en 2023, ce qui donne une idée de l’ampleur de ces dettes.
Il y a eu une série de cas où des stagiaires ont disparu des emplois pour lesquels ils avaient été envoyés au Japon, en quête de salaires plus élevés, et l’importance de leur endettement a été identifiée comme l’une des causes de ce phénomène. Pour réduire le fardeau pesant sur les stagiaires, l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) a entrepris, de concert avec le gouvernement vietnamien et l’Organisation internationale du travail, de bâtir un réseau de recrutement pris en charge par des entreprises vietnamiennes et japonaises. Cette initiative a pour but de faire endosser aux entreprises la moitié du coût du voyage au Japon. A partir de 2027, le programme de formation deviendra un programme de formation et d’emploi (ikusei shûrô), au titre duquel les entreprises japonaises paieront une partie des frais des stagiaires aux organisations qui les envoient. Cette mesure est certes bienvenue, mais je ne pense pas qu’elle suffira à produire une augmentation du nombre des jeunes désireux d’aller travailler dans l’Archipel.
Un revirement coréen ?
À Hanoï, j’ai également rendu visite à Thanh Mai Education, une organisation dédiée aux études outre-mer. Quand j’ai demandé qu’on me nomme un endroit populaire pour faire des études, le dirigeant Vuong Tri Luc m’a dit : « La somme d’argent que les étudiants peuvent mobiliser a plus d’impact que leurs préférences personnelles sur l’emplacement de leurs études. »
Contrairement aux stagiaires, les étudiants ne peuvent pas emprunter auprès des banques. Ils doivent se financer eux-mêmes, quitte à emprunter à des amis ou à des membres de leurs familles.
Le centre dispose de cinq classes, chacune affectée à une mission qui lui est propre, pour un effectif total de 150 étudiants inscrits. La plus grande classe est destinée aux étudiants en partance pour la Corée du Sud. D’après Vuong, « le Japon était plus populaire avant la pandémie, mais maintenant c’est la Corée du Sud qui arrive en première place. » Cela tient en partie à la fascination que ce pays exerce auprès des jeunes ayant grandi avec la pop coréenne et d’autres aspects de cette culture. Une autre raison réside dans le fait que le hangul, l’alphabet officiel coréen, est facile à apprendre, puisqu’il se compose de 24 lettres de base, par opposition à l’association complexe des trois écritures utilisées en japonais. Mais la principale raison réside dans l’opportunité d’économiser de l’argent.
Stagiaires étudiant le japonais à Hanoï le 17 juin 2024 dans un centre de formation géré par un organisme d’envoi de stagiaires.
Ce sont des étudiants, mais ils n’en ont pas moins l’intention de trouver du travail. Tout comme au Japon, il existe des restrictions, par exemple sur la quantité de travail que les étudiants étrangers ont le droit d’effectuer en Corée du Sud, mais ces restrictions ne sont pas strictes. « Le contrôle n’est pas aussi rigoureux en Corée du Sud qu’au Japon », dit Vuong. « Un grand nombre d’étudiants étrangers travaillent aussi le week-end, et ils peuvent gagner entre 35 et 40 millions de dong (de 210 000 à 240 000 yens) par mois. » Sachant qu’il faut 200 millions de dong pour étudier en Corée du Sud contre 100 millions (600 000 yens) au Japon, les étudiants font vite la différence. Quitte à s’endetter lourdement, les jeunes Vietnamiens ciblent le pays où ils peuvent gagner de l’argent.
Le taux de fécondité total de la Corée du Sud est tombé à 0,72, et la chute du nombre des naissances a incité le pays à faire venir des travailleurs étrangers d’Asie du Sud-Est et d’autres régions. Le quota d’entrées pour les travailleurs étrangers est passé de 60 000 à 120 000 en 2023, puis à 165 000 en 2024. Ce chiffre est approximativement équivalent à celui des 180 000 nouveaux stagiaires admis au Japon en 2023.
En 2023, les travailleurs étrangers en Corée du Sud ont perçu en moyenne un salaire mensuel de 285 000 yens, principalement dans les emplois manufacturiers, un chiffre nettement supérieur à la moyenne de 217 000 yens gagnée par les stagiaires au Japon. Si la Corée du Sud devient une destination réaliste parmi les Vietnamiens pour aller travailler outre-mer, ils se détourneront du Japon comme l’ont fait les étudiants. Il est urgent de mettre en place un dispositif visant à alléger le fardeau du voyage, mais, par-dessus tout, la hausse des salaires est une question qu’il faut aborder en priorité pour veiller à ce que le Japon soit un pays de choix pour les travailleurs étrangers.
(Photo de titre : stagiaires vietnamiens apprenant le Japonais à Hanoï le 17 juin 2024 au centre de formation d’un organisme d’envoi de stagiaires. Toutes les photos : © Sawada Akihiro)
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