La communauté kurde dans le viseur des xénophobes de Saitama

Société

Yasuda Kôichi [Profil]

Les migrants kurdes résidant au sud de la préfecture de Saitama, près de la capitale, sont dans le viseur des groupes xénophobes qui utilisent les réseaux sociaux pour les harceler, diffuser des discours de haine et de la désinformation. Nous avons mené l’enquête auprès des habitants pour dresser le profil de la communauté kurde de la région et analyser la récente montée de l’hostilité envers elle.

Accrochages et répliques démesurées

Certes la proportion de résidents non-Japonais est élevée à Kawaguchi et Warabi. À Kawaguchi, notamment le nombre de ressortissants étrangers a plus que doublé en vingt ans, il est passé de 14 679 personnes en 2004 à 39 553 en 2023 (dont seulement 1 200 Turcs, Kurdes compris). Mais le nombre d’infractions annuelles est passé de 16 314 à 4 437 sur la période, la baisse est forte, sachant par ailleurs que 1 129 des 1 313 personnes arrêtées par la police à Kawaguchi en 2023 étaient de nationalité japonaise.

Un porte-parole de l’assemblée municipale nous assure lors de l’interview que le taux de criminalité chez les résidents étrangers n’est pas particulièrement élevé. Mais « il est vrai qu’il y a eu des problèmes de voisinage pour des questions de tapage ou de non-respect de la gestion des ordures ménagères. », concède le fonctionnaire. « C’est pourquoi nous avons pris des mesures. La municipalité a créé un portail multilingue pour que les résidents étrangers se familiarisent avec les règles de la vie en communauté. Nous avons distribué à tous les habitants des brochures avec des codes QR pour faire la promotion du vivre ensemble. »

Un autre employé municipal nous confie que les appels téléphoniques anti-Kurdes étaient devenus de véritables casse-têtes. « Il y a eu un effet Internet, nous recevions une avalanche d’appels de personnes qui nous conseillaient “d’éjecter les Kurdes” ou qui nous demandaient pourquoi nous utilisions l’argent des impôts locaux au profit d’étrangers. Il m’arrivait de passer des journées entières à répondre à ces appels. Mon impression est que la plupart de ces plaignants ne résidaient pas à Kawaguchi. »

Le 20 août 2024, un homme d’une trentaine d’années a été déféré au bureau des procureurs du district de Saitama car il avait envoyé à l’association mentionnée plus haut des messages de menace. Dans une de ses adresses, il promettait de « tuer tous les Kurdes et de les donner en pâture aux cochons». Or cet homme était domicilié dans la métropole de Tokyo. De fait, la plupart des plaintes, des harcèlements ou des intox anti-Kurdes mentionnés dans cet article émanent de personnes extérieures n’ayant aucun lien avec les faits.

Cela ne veut pas dire que les habitants soient tous favorables aux Kurdes. Certains se plaignent du bruit des véhicules et des travaux de démolition. « Ces groupes [de Kurdes] qui traînent devant la supérette me font peur » nous confie un habitant. Les Kurdes ne représentent certes qu’une petite minorité des personnes arrêtées par la police municipale, mais cette communauté compte un nombre important de sans papiers, (surtout si l’on inclut ceux qui ont été déboutés de leur demande d’asile). Certains résidents japonais sautent le pas, font l’amalgame et lient immigration et criminalité.

Quoi qu’il en soit, et en l’absence de preuves, on peut dire que la situation actuelle est largement imputable au système d’immigration japonais qui refuse régulièrement l’asile aux Kurdes malgré les persécutions dont ils font l’objet en Turquie. Rien ne justifie les discours de haine.

Victimes d’une haine à géométrie variable

Les vagues de haine anti-Kurdes datent seulement de 2023. Avant, à Kawaguchi et ailleurs, les manifestations anti-immigrés et discours de haine en ligne visaient plutôt les ressortissants chinois.

Ces agitateurs xénophobes ont d’abord ciblé la communauté coréenne établie de longue date au Japon. Puis ils se sont attaqués aux ressortissants chinois, et aujourd’hui les Kurdes sont dans leur collimateur. L’objet de leur haine varie, mais les instigateurs sont toujours les mêmes et dans leur sillage ils sèment le malheur et désinformation.

Je me suis rendu sur un chantier de démolition géré par un entrepreneur kurde situé hors de la préfecture de Saitama. Son équipe travaillait avec grand soin, ils étaient très attentifs à la pollution sonore et avaient à cœur de protéger les riverains des nuisances causées par les poussières. Sur le retour dans le camion ramenant les équipes vers Kawaguchi, l’entrepreneur dans un souffle confia comme s’il pensait tout haut :

« Ces derniers temps, retourner à Kawaguchi après le travail est déprimant. Avant, je me réjouissait à l’idée de retrouver les miens alors que je voyais s’approcher les rues bordées d’arbres de Kawaguchi, mais aujourd’hui je ne ressens plus que de l’appréhension. Je rentre chez moi et je suis gêné d’être kurde. Un Kurde est-ce si effrayant ? Moi, ce sont les discriminations qui m’effraient. »

De nos jours, au Japon, ce sont les Kurdes qui ont le plus à craindre.

(Photo de titre : manifestation anti-kurde devant la gare de Warabi. Photo prise à Saitama, en septembre 2024. Toutes les photos : © Yasuda Kôichi)

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Yasuda KôichiArticles de l'auteur

Né en 1964, il est l’auteur de textes de non-fiction qui traitent principalement de questions sociétales et de faits divers. Dans « Internet et patriotisme » (Netto to aikoku), publié en 2012 et couronné par le 34e prix Kadokawa de non-fiction, il sonne l’alarme sur l’incitation à la haine. Son dernier livre, intitulé « Grands ensembles et immigration » (Danchi to imin), est paru en mars 2019 chez Kadokawa.

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