Pourquoi Kishida Fumio a-t-il renoncé à son poste de Premier ministre ?

Politique

Le 14 août, le Premier ministre Kishida Fumio a annoncé qu’il ne se présenterait pas pour être réélu à la présidence du Parti libéral démocrate (PLD) lors de l’élection qui doit se tenir au mois de septembre, mettant ainsi un terme à sa présence à la tête du gouvernement. Un regard sur les événements qui ont jalonné son mandat nous aidera peut-être à pointer du doigt le moment où les choses ont mal tourné pour lui.

La planification mystérieuse d’une annonce capitale

À 11 h 30 le matin du 14 août, les journalistes ont afflué vers la résidence officielle du Premier ministre (le Kantei, à Tokyo) pour assister à une conférence de presse annoncée à l’improviste. Là, Kishida Fumio a déclaré, d’une voix étonnamment enjouée, qu’il ne se présenterait pas pour être réélu à la présidence du Parti libéral-démocrate lors de l’élection qui doit se tenir en septembre. « Pour montrer aux gens que le PLD est en train de changer, le premier pas qu’il convient de faire est à l’évidence mon retrait », a-t-il expliqué.

À première vue, le mandat de Kishida s’achève d’une façon similaire à celui de son prédécesseur direct Suga Yoshihide (de 2020 à 2021) : un chef de gouvernement qui, ne parvenant plus à étouffer au sein de son propre parti les cris réclamant son départ, a choisi de se désister juste avant l’élection à la présidence. Rejetés par l’électorat (Suga pour sa mauvaise gestion de la pandémie de Covid, Kishida pour la tiédeur de ses efforts en vue de désamorcer le scandale politique des dissimulations d’argent de députés de son parti), les deux hommes ont en outre vu, juste avant de s’en aller, leurs taux de soutien plonger à des niveaux jamais enregistrés précédemment.

Une différence apparaît toutefois dans la façon dont l’un et l’autre ont annoncé la fin de leurs mandats. Alors que Suga a affiché un air de regret en esquissant l’argument chancelant selon lequel il n’était pas en mesure de déployer l’énergie considérable nécessaire pour à la fois lutter contre la pandémie et se porter candidat à la réélection à la présidence du PLD, Kishida a quant à lui parlé sans détour : « Je ne ressens pas la moindre hésitation à prendre mes responsabilités en tant que chef de notre organisation. »

Quand Kishida en est-il arrivé à la décision de se désister ? J’ai parlé récemment avec un fonctionnaire de haut rang qui rencontre fréquemment le Premier ministre. En ce moment, m’a-t-il dit, « Kishida cherche indubitablement à obtenir un nouveau mandat à la tête du parti. Quand je parle avec lui, je sens que ce désir le submerge ». Aux dires de ce fonctionnaire, en se lançant dans la course à la présidence du PLD, Kishida avait la certitude que, même s’il devait affronter l’ancien secrétaire général du parti Ishiba Shigeru, qui arrive toujours en tête des sondages d’opinion, il parviendrait à l’emporter en promettant de ne pas dissoudre la Chambre basse (Chambre des représentants) en vue d’appeler à une élection anticipée, avec la garantie qui en résulterait d’obtenir les votes déterminants des parlementaires du parti.

Lors de la conférence de presse qu’il a donnée le 21 juin de cette année, à l’approche de la fin de la session ordinaire de la Diète, Kishida a soudainement annoncé une avalanche de nouvelles mesures destinées à être appliquées au cours de l’été et jusqu’à la fin de la période s’achevant avec l’élection du PLD, mesures parmi lesquelles figuraient des subventions aux ménages pour les aider à faire face à l’augmentation des prix du gaz naturel et de l’électricité, ainsi que des allocations supplémentaires à verser aux retraités et résidents à faibles revenus. À l’issue de la session législative, et en dépit de ses déclarations tonitruantes sur son intention d’en finir avec les factions du PLD, on l’a vu rencontrer fréquemment des membres de ce qui était auparavant la faction Kishida. Ces deux faits sont en vérité révélateurs de l’empressement du Premier ministre à conserver son poste. Il doit y avoir une explication de ce qui s’est passé plus récemment pour le convaincre de changer d’idée.

Lors de sa conférence de presse du 14 août, lorsqu’on l’a interrogé sur la planification de sa décision, plutôt que de répondre directement, Kishida s’est contenté de dire : « En gage de ma détermination en tant que politicien, j’ai pris cette décision en me fondant uniquement sur la nécessité de me retirer pour restaurer la confiance du public dans le PLD. »

Dans l’allocution qu’il a prononcée avant de répondre aux questions de la presse, Kishida avait pourtant déclaré que sa décision était prise depuis que le scandale des fonds politiques avait éclaté au grand jour, et qu’il se préparait mentalement. Si ce souvenir est sincère, il en découle qu’il avait décidé très tôt de ne pas briguer un autre mandat à la tête du parti, mais persistait à jouer son rôle via sa « détermination en tant que politicien ».

Une décision prise très tôt ?

De la bouche d’un autre fonctonnaire proche de Kishida, j’ai entendu une version distincte de sa décision de ne pas être candidat à l’élection du président du PLD cet automne, version basée sur les commentaires qu’il a faits lors de la conférence de presse du 21 juin. Un journaliste a remarqué que le chef d’État avait semblé épuisé lors des séances de la Diète de la semaine précédente, aussi bien dans ses expressions faciales que dans sa manière de parler, et il lui a demandé s’il avait le sentiment d’avoir un tant soit peu d’énergie.

À cette question, Kishida a répondu : « Eh bien, si j’ai l’air fatigué, je suppose que c’est de ma faute. Je déborde d’énergie, et je n’ai donc aucune raison de vous dire que je me sens épuisé. »

On pourrait penser que le démenti de Kishida mettait l’accent sur l’énergie dont il disposait, mais le fonctionnaire avec qui j’ai parlé avait une interprétation différente de cet échange. « Quiconque se fraie un chemin jusqu’au bureau du Premier ministre sait que faire montre de faiblesse signifie que le temps qu’il lui reste à y passer tire à sa fin. Et donc, quand Kishida a dit que c’était “de sa faute” s’il avait l’air fatigué, j’ai eu la certitude qu’il sentait l’imminence du danger et n’avait aucune intention de prolonger son mandat. »

Vers la fin de la session ordinaire de la Diète, le bon sens voulait que, pour que Kishida soit réélu à la présidence du PLD, il fallait qu’il maintienne le parti au pouvoir lors des prochaines élections générales. Ce sentiment a incité bien des gens à s’attendre à ce qu’il dissolve la Chambre basse, quitte à ce que le PLD perde quelques sièges lors de l’élection qui s’ensuivrait, en vue d’établir ce fondement pour son prochain pas en avant. Pourtant, juste après l’annonce, faite ce mois-ci, qu’il ne chercherait pas à être réélu, quand j’ai demandé une fois de plus au fonctionnaire proche du Premier ministre quand il avait décidé de ne pas prolonger son mandat, il m’a répondu « au début du printemps de cette année ». Peut-être le moment est-il venu de réexaminer notre bon sens.

Le gouvernement de Kishida s’est formé comme une sorte d’antithèse du modèle autoritaire des deux qui l’avaient précédé, ceux de Abe Shinzô (de 2012 à 2020) et de Suga. Il a fait une forte impression il y a trois ans lorsqu’il est apparu à une conférence de presse et a annoncé sa candidature à la présidence du PLD, en tenant à la main un carnet qui, dit-il, contenait tous les commentaires qu’il avait recueillis auprès des Japonais, ce qui témoignait de sa volonté d’être à l’écoute du peuple.

Une politique qui semble dénuée d’idéaux

En termes de politique, Kishida s’est forgé une posture conciliante sur les questions de défense, tout en prônant un renforcement de l’équilibre budgétaire sur le front fiscal. À ces deux égards, il s’est différencié de ses prédécesseurs, Abe et Suga. Il a particulièrement cherché à rafraîchir son image politique avec sa « nouvelle forme de capitalisme », qui misait sur la redistribution pour revitaliser une classe moyenne durement frappée par l’aggravation des clivages économiques propres aux tendances précédentes du capitalisme mondial.

Mais, comme on pouvait s’y attendre, cela a déclenché une réaction brutale dans le monde des affaires, où certains dirigeants se sont insurgés contre ce qu’ils considéraient comme du « socialisme », et renforcé l’inquiétude des membres de droite de son propre parti qui avaient apporté un ferme soutien au programme de Abe Shinzô connu sous le nom de « Abenomics ». Kishida a subi des pressions l’incitant à changer de cap, avec pour résultat l’état actuel de la situation, où il ne reste aucune image claire de la « nouvelle forme de capitalisme » qu’il prônait.

Dans le domaine de la sécurité, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a eu un impact décisif sur l’attitude de Kishida. Alors qu’à nouveau le monde adoptait sans délai une posture de style Guerre froide, Kishida a déclaré que « l’Ukraine d’aujourd’hui pourrait être l’Asie de l’Est de demain » et entrepris d’augmenter les dépenses japonaises de défense et de doter les forces armées de la capacité de frapper les bases ennemies en cas de menaces, dans le cadre de sa modification des documents-clefs de la politique liée à la défense.

En ce qui concerne plus particulièrement les dépenses japonaises de défense, Kishida a même exprimé la volonté de se reposer sur des augmentations d’impôts pour financer une partie du fardeau de la sécurité du Japon, ce qu’il considère comme « une responsabilité pour ceux d’entre nous qui vivons en cette époque ». C’était, entre autres, un moyen de contrer les membres de la faction Abe du PLD, qui souhaitait financer l’augmentation des dépenses de défense via de nouvelles émissions d’obligations d’État, mais cela témoignait aussi de son dévouement à la discipline fiscale, qu’il a affiché jusqu’à la fin de l’année 2022.

Kishida, devant à gauche, a connu un temps fort de son mandat de Premier ministre lorsqu'il a accueilli le sommet du G7 à Hiroshima, sa ville natale. Photo prise le 21 mai 2023. (Jiji)
Kishida, devant à gauche, a connu un temps fort de son mandat de Premier ministre lorsqu’il a accueilli le sommet du G7 à Hiroshima, sa ville natale. Photo prise le 21 mai 2023. (Jiji)

En janvier 2023, toutefois, le Premier ministre a semblé changer d’attitude, tout d’abord avec ses « mesures d’une dimension différente » en vue de faire face au déclin de la natalité japonaise. Ces initiatives avaient un coût non négligeable, mais il était soudain désireux de remettre à plus tard toute discussion sur la façon de les financer. À l’automne de la même année, il a formulé à l’impromptu sa proposition de réduction fiscale à montant fixe, présentée comme un moyen de « rendre au peuple les augmentations des recettes fiscales ». Cette proposition constituait à l’évidence un stratagème populiste en vue de discréditer le surnom de « multiplicateur des impôts à quatre-z-yeux » que ses approches précédentes avaient valu au Premier ministre à lunettes.

Aux dires d’un haut fonctionnaire avec qui j’ai parlé, le moment du changement de cap du gouvernement de Kishida semble clair. « Au début, l’atmosphère était manifestement tendue dès que se posait la question de la façon dont nous allions financer l’augmentation des dépenses de défense inscrites dans son programme. Mais quand il a commencé à évoquer les mesures à prendre pour faire rebondir le taux de natalité, il n’y avait plus la moindre trace de cette gravité. »

Au bout du compte, Kishida restera comme un chef de gouvernement qui a passé une bonne partie de son temps à se confronter à des situations chaotiques liées à la faction Abe, la plus grande au sein du PLD : en 2022, le meurtre du Premier ministre Abe, ses funérailles nationales, le scandale des liens entre des membres du PLD et l’Église de l’Unification (secte Moon) qui a éclaté juste après l’assassinat et, à partir de la fin de l’année 2023, la révélation du scandale des dissimulations d’argent qui a ébranlé le parti au pouvoir.

Pendant cette période, Kishida a entrepris de mettre en œuvre un éventail de mesures de réaction, au nombre desquelles figuraient la demande d’émission d’un ordre de dissolution de la secte Moon, des initiatives visant à démanteler les factions du PLD, sa propre apparition devant la Commission de délibération de la Chambre basse sur la morale politique, et sa réduction spectaculaire du montant à partir duquel s’appliquait l’interdiction des achats de tickets destinés à la collecte de fonds pour le parti. Chacune de ces initiatives peut certes être considérée comme une amélioration par rapport à la situation qui prévalait jusque-là, mais aucune d’entre elles n’a fait rebondir le soutien de la population au gouvernement.

La raison en est que les initiatives de Kishida, qui sont toujours prises à l’emporte-pièce, ne constituent pas aux yeux du public une manifestation d’idéaux politiques auxquels il adhérerait fermement. Le gouvernement du Pemier ministre Kishida Fumio peut se prévaloir d’importants succès — dont le déploiement d’une « dimension différente » de la politique japonaise d’assouplissement monétaire et une amélioration historique des relations du pays avec son voisin sud-coréen —, mais il arrivera à son terme le mois prochain en portant toujours la marque indélébile d’un soutien du public en berne.

(Photos : à gauche, Kishida Fumio annonce sa candidature à la présidence du PLD le 17 septembre 2021. Jiji ; à droite, il annonce, le 14 août 2024, qu’il renonce à se représenter aux élections à la tête du parti. Kyôdô)

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