La cérémonie d’ouverture des Jeux de Paris 2024, ou l’audace à la française

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La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’été, qui s’est tenue à Paris le 26 juillet, a été une production spectaculaire, pleine d’esprit français et de moments forts. Un précédent qui devrait avoir un impact significatif sur la manière dont les futures cérémonies d’ouverture des olympiades seront organisées.

Il est dans l’ADN de l’esprit français de ne pas hésiter devant les défis

Sous la pluie, environ 6 800 athlètes ont successivement embarqué sur des bateaux depuis le pont d’Austerlitz, dans l’est parisien, et ont descendu la Seine sur 6 km vers l’ouest jusqu’au pont d’Iéna, au pied de la Tour Eiffel, à proximité d’un des principaux lieux de la compétition. Pendant ce temps, l’histoire de la France, son patrimoine culturel, ses arts, ses grands hommes et sa culture de la mode ont été évoqués sur les deux rives du fleuve pardes chants, des danses et des spectacles.

Lorsque le Comité d’organisation de Paris (Président Tony Estanguet) a annoncé une cérémonie d’ouverture sur la Seine, après les Jeux de Tokyo, les oppositions ont été nombreuses.

Le premier souci était la sécurité contre le risque de terrorisme. Sécuriser les deux rives de la Seine, qui est un espace ouvert, est beaucoup plus difficile que dans un stade, espace fermé. Rien d’impossible à ce qu’un sniper décidé réalise une attaque depuis les fenêtres d’un immeuble riverain. Deuxièmement, l’impact sur la vie civile a été énorme. Les cafés, les bouquinistes et les boutiques situés le long du fleuve ont été contraints de fermer pendant une longue période, y compris pendant celle de l’installation. De plus, en raison de la nature ouverte de ces Jeux, des bâtiments historiques, parcs et places situés dans chaque partie de Paris sont devenus lieu de compétition, et il y avait un risque de chaos généralisé dans toute la ville pendant les Jeux.

Mais il est dans l’ADN de l’esprit français de ne pas hésiter devant les défis. La France, n’aime ni le conformisme, ni les précédents, ni les suiveurs, et est toujours à la recherche de nouvelles façons de faire.

Comme en diplomatie, la France est prête à aller à l’encontre des tendances existantes qui ont fait l’objet d’un large consensus afin d’ouvrir de nouvelles voies. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres pays se moquent souvent du French way, mais la France ne s’en préoccupe pas. Parfois cela fonctionne,et parfois cela échoue. Ça passe ou ça casse, comme on dit.

Orienter la signification contemporaine de la Révolution française

Organiser un événement gigantesque à ciel ouvert est la façon française de faire passer le concept de la « cérémonie d’ouverture » dans une nouvelle dimension, alors qu’un spectacle dans un stade était considéré comme la tarte à la crème obligée depuis les premiers Jeux. Le résultat fut brillamment réussi en combinaison avec une mise en scène spectaculaire.  

Sur le toit de l’hôtel de ville de Paris, un bâtiment historique surplombant la Seine, Guillaume Diop, le premier danseur d’origine africaine à devenir danseur étoile de l’Opéra de Paris, a exécuté une danse. La chanteuse américaine Lady Gaga est apparue dans un costume de plumes inspiré du cabaret et a chanté en français avec passion « Mon truc en plumes » de Zizi Jeanmaire tout en dansant sur les marches de la rive droite. Sur le quai, quelque 80 danseuses du cabaret Moulin Rouge ont répondu à Lady Gaga par un french cancan, jambes lestes et jupes à frou-frou.

La mise en scène controversée de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris, où une femme en robe tient une « tête coupée », rappelant la reine Marie-Antoinette, décapitée lors de la Révolution française, à Paris le 26 juillet 2024. (Reuters)
La mise en scène controversée de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, où une femme en robe tient une « tête coupée », rappelant la reine Marie-Antoinette, décapitée lors de la Révolution française, à Paris le 26 juillet 2024. (Reuters)

À la Conciergerie, la prison de la rive gauche de la Seine où la reine Marie-Antoinette a passé ses derniers jours avant son exécution lors de la Révolution française, un mannequin de Marie-Antoinette est apparu à une fenêtre en tenant sa propre tête alors que les motifs de la Révolution française étaient recréés à l’aide de lumières et de confettis. Des chanteurs d’opéra ont également interprété Carmen du compositeur français Georges Bizet.

Un peu plus bas sur la Seine, La Marseillaise a été entonné par une cantatrice depuis le toit du Grand Palais, construit pour l’Exposition universelle de Paris en 1900. Dans le cadre des compétitions ouvertes, le Grand Palais accueille des épreuves d’escrime et de taekwondo.

Malgré la pluie, qui s’est intensifiée pendant l’événement, les lumières et les sons de Paris à la tombée de la nuit ont ajouté à l’excitation. Aya Nakamura, une chanteuse d’origine malienne qui avait fait l’objet de harcèlement raciste, a interprété sa propre chanson et celle de Charles Aznavour, accompagnée par l’orchestre militaire de la Garde Républicaine. La combinaison de l’avant-gardiste Nakamura et de la fanfare militaire endiablée a été majoritairement saluée par la critique. C’est très français de leur part d’oser se lancer dans une expérience de ce type !

La chanteuse française Aya Nakamura (au centre) se produit lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris, le 26 juillet 2024. (Reuters)
La chanteuse française Aya Nakamura (au centre) se produit lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, le 26 juillet 2024. (Reuters)

La mise en scène était également excellente, avec dix statues de femmes apparaissant tour à tour sur le fleuve, dont la regrettée Simone Veil qui a marqué la France de son empreinte. Simone Veil, survivante des camps de concentration nazis, a porté en tant que femme politique la légalisation de l’avortement. Ces statues seront ensuite installées dans Paris. Il s’agit également d’un effort symbolique pour rétablir la parité historique dans la mesure où il y a encore extrêmement peu de statues de femmes par rapport aux statues d’hommes.

La fierté de la Déclaration universelles des droits de l’homme

Les numéros individuels contenaient des messages d’histoire, de tradition, de culture, de solidarité, de tolérance et de diversité, regroupés autour des principes de Liberté, Égalité et de Fraternité énoncés par la Révolution française.

Historiquement, la France a mis en avant le concept d’une mission envers le monde. Dès l’époque de la monarchie absolue au XVIIe siècle, la France avait étendu ses colonies en Amérique du Nord, en Afrique et même au Moyen-Orient pour y implanter la langue et la culture françaises, avec pour mission de « répandre la grande civilisation française et transformer les terres incultes en terres civilisées ».

Après la Révolution française (1789), Napoléon a répandu par la force les principes de Liberté, Égalité et Fraternité dans les pays environnants. Cela a conduit à l’effondrement du féodalisme dans de nombreux pays et a permis l’unification de nouveaux États. Inversement, c’est la période qui a vu l’émergence de la conscience nationale de chaque pays et les a poussés à se rebeller contre la France, jusqu’à la chute de Napoléon.

Aujourd’hui encore, la France s’enorgueillit d’être à l’origine d’une conception universelle des droits de l’homme fondée sur les principes de Liberté, Égalité et Fraternité. La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, suivie dans le monde entier, a été l’occasion pour la France de rappeler l’importance de ce principe des droits de l’homme dans le contexte actuel.

Sur la place du Trocadéro, au milieu du magnifique jeu de rayons laser qui illuminait la Tour Eiffel, Tony Estanguet, président du Comité d’organisation des Jeux de Paris, a déclaré : « Les Jeux olympiques ne résoudront pas tous les problèmes. Mais cette nuit, ils nous ont rappelé à quel point l’humanité peut être belle lorsque nous sommes tous uni. »

Le point culminant de la cérémonie a sans doute été atteint par la Canadienne Céline Dion. Tout en luttant contre une maladie qui affecte ses muscles, l’artiste internationale a interprété avec émotion l’Hymne à l’amour de la chanteuse française Édith Piaf depuis une scène spécialement construite sur le pont d’observation de la Tour Eiffel. La production s’est écartée de la facilité franco-française, trouvant au contraire un bon équilibre d’artistes étrangers, dont LadyGaga et Céline Dion.

Le président Macron, peu présent

Le succès de la cérémonie d’ouverture sur la Seine souligne également l’engagement du comité d’organisation de ne pas reculer devant le terrorisme, à rester vigilant et à proposer le meilleur dans la dignité. On peut dire que c’est le résultat du French Way, qui n’aime pas refaire ce qui a déjà été fait et cherche toujours à ouvrir de nouveaux horizons.

Le chancelier allemand Scholz, le premier ministre britannique Starmer et la première dame américaine Jill Biden étaient également présents lors de la cérémonie d’ouverture. En revanche, le président Macron, qui représentait le pays hôte, a été relativement peu présent, même s’il a évidemment prononcé la déclaration d’ouverture des Jeux. Le dirigeant français, qui avait quelques jours plus tôt plaidé en faveur d’une trêve olympique dans le contexte des résultats des élections législatives, n’a pas vraiment été entendu.

Il faut savoir en effet que le président Macron se trouve dans une impasse majeure en matière d’affaires intérieures et étrangères, et a perdu une grande partie de sa base électorale. En particulier, en politique intérieure, le parti au pouvoir a perdu un grand nombre de sièges à l’Assemblée nationale lors des élections générales qu’il a pris le risque d’organiser après une dissolution surprise de l’Assemblée Nationale en mai dernier. Aujourd’hui encore, trois semaines plus tard, il n’est toujours pas en mesure de nommer un nouveau premier ministre. Il devra s’attaquer à la question après les JO, mais il est peu probable que la tenue de cet événement lui donne un coup de pouce en terme de soutien politique populaire.

Cependant, les retombées de la cérémonie d’ouverture dépassent de loin les questions de politique à court terme. La mise en scène du spectacle a montré une fois de plus que, bien que la France soit devenue un État intermédiaire en termes de puissance nationale, elle reste une puissance mondiale de premier plan en termes de soft power. Elle a également rappelé au public mondial la profondeur de l’histoire, de la culture et de l’art français. Si la France a été un temps perçue comme le visage de la « vieille Europe », grâce à la diversité sociale, à la nouveauté et à la clairvoyance présentées lors de la cérémonie d’ouverture, elle a certainement dissipé cette image.

« Je veux aller à Paris », « Je veux voyager en France », « Je veux descendre la Seine »… La cérémonie d’ouverture, qui a incarné les nouveaux charmes que l’Hexagone est en train de déployer, a dû en faire rêver plus d’un à travers le monde.

(Photo de titre : la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris sur la Seine, à Paris, le 26 juillet 2024. Reuters)

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