Vingt ans après le sommet Japon-Corée du Nord : comment relancer le dialogue pour sortir de l’impasse ?

Politique International

Vingt ans se sont écoulés depuis le deuxième et dernier sommet entre le Japon et la Corée du Nord, avec la question de l’enlèvement des ressortissants japonais au centre des discussions. Où en-est on aujourd’hui ? Il semble avoir quelques éléments nouveaux. Un spécialiste du sujet revient avec nous sur les relations bilatérales entre Tokyo et Pyongyang et tente de trouver des solutions pour relancer le dialogue.

La Corée du Nord ne semble pas pressée de reprendre le dialogue

Pour la Corée du Nord, la situation n’est pas la même que celle qui prévalait en 2002, quand elle s’était lancée dans un sommet bilatéral. Dans la seconde partie des années 1990, le pays connaissait de graves famines et de sérieux problèmes économiques, et elle espérait ainsi beaucoup de la coopération économique japonaise. Mais le renforcement de sa dépendance économique vis-à-vis de la Chine a conduit à une baisse proportionnelle de ses attentes envers le Japon.

Par rapport aux États-Unis, sa situation est aussi bien moins tendue qu’en 2002. L’administration Bush de l’époque voyait la Corée du Nord comme l’un des pays de « l’axe du mal », et utilisait à son égard un langage agressif. Pyongyang espérait alors que Tokyo jouerait un rôle d’intermédiaire avec Washington. Mais si l’ancien président Trump remporte l’élection présidentielle américaine en novembre prochain, un nouveau sommet entre les États-Unis et la Corée du Nord sans l’aide du Japon redevient possible.

Même si les relations avec cette grande puissance ne devaient pas progresser, la Corée du Nord a développé une coopération militaire avec la Russie qui continue son agression en Ukraine. Ses relations avec la Chine ont aussi connu une certaine amélioration. Il existe aujourd’hui une opposition entre d’un côté la Russie, la Chine et la Corée du Nord, et de l’autre les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud, dans une configuration de nouvelle guerre froide qui donne un nouveau souffle à la Corée du Nord. Le pays n’a donc guère de motivation à revoir sa relation avec le Japon.

De l’intérêt mutuel Japon-Corée du Nord

Mais gardons-nous d’un pessimisme excessif sur le blocage actuel des relations entre les deux pays. Déjà lorsque Abe Shinzô était Premier ministre, le Japon avait cherché à se diriger vers un sommet, et les efforts renouvelés de Kishida Fumio ont véritablement fait évoluer les choses.

Depuis mai 2023, le dirigeant nippon a multiplié les prises de paroles positives, montrant ainsi son ambition à ce sujet. Lors de sa déclaration de politique générale devant le parlement en octobre dernier, il a parlé des intérêts mutuels du Japon et de la Corée du Nord. Le développement des relations entre les deux pays, a-t-il indiqué à l’attention de la Pyongyang, est dans son intérêt. Il a de même évoqué la coopération économique qui accompagnerait la normalisation des relations.

Depuis son discours de janvier 2023, Kishida Fumio a donné à la question des enlèvements la qualification de question éthique. On devine son intention de susciter une réaction positive de la Corée du Nord tout en maintenant le grand principe de résoudre globalement les questions des enlèvements, de l’arme nucléaire et des missiles. Si la Corée du Nord a pendant un temps montré de l’intérêt pour une réouverture du dialogue avec le Japon, c’est probablement parce que la partie nippone a agi ainsi.

La raison pour laquelle la Corée du Nord a changé d’attitude en mars de cette année et refusé le dialogue n’est pas claire, mais il est permis de penser d’une part qu’elle est liée au développement de ses relations avec la Russie, à la prochaine élection présidentielle américaine, et à la baisse de popularité du Premier ministre Kishida, et d’autre part que cela ne durera pas toujours.

Je pense que le Japon devrait continuer à appeler au dialogue en soulignant les avantages que cela aurait pour la Corée du Nord. Selon Saiki Akitaka, l’ancien vice-ministre administratif des Affaires étrangères que nous avons déjà cité, « la Corée du Nord s’intéresse de près à ses relations avec la Russie et au résultat des élections présidentielles américaines. La possibilité qu’elle recherche un dialogue avec le Japon existe. Dans ce système autoritaire, seul un petit nombre de personnes sont impliquées dans la prise de décision, ce qui fait qu’un changement d’orientation peut être décidé très rapidement pour s’adapter à une évolution de la situation mondiale. »

Si les négociations devaient reprendre, cela marquerait un retour à l’Accord de Stockholm par lequel le Japon s’engageait à lever, en échange de la réouverture des enquêtes par la Corée du Nord, ses sanctions, au nombre desquelles la fermeture de ses ports aux navires nord-coréens : il faut donc se préparer à résister à l’opposition que cela ne manquera pas de susciter dans l’archipel nippon.

Rechercher une résolution des questions liées aux droits humains et à la sécurité

Un leadership fort et et une réelle volonté populaire seront nécessaires pour résoudre le problème nord-coréen. Il ne faut pas laisser se désagréger la question des enlèvements qui est l’un des problèmes liés aux droits humains, mais éliminer simultanément la menace que pose le développement par la Corée du Nord de missiles et de l’arme nucléaire. Aucun de ces problèmes n’est facile à traiter, et il y aura sans doute des décisions difficiles à prendre.

La première étape importante est d’amener la Corée du Nord à la table des négociations. Déterminer s’il est intéressant de commencer par la normalisation des relations bilatérales ou de ne le faire qu’une fois les problèmes résolus devra être tactiquement déterminé en fonction de l’attitude du partenaire.

Conduire des enquêtes basées sur un consensus entre les deux gouvernements au sujet des enlèvements est une option. Même s’il existe de la méfiance et de la colère vis-à-vis de la Corée du Nord, il faut explorer toutes les méthodes pour s’approcher du cœur de la réalité de la question des enlèvements. Parvenir à la résolution du problème des droits humains et à la stabilité dans la sécurité sera impossible sans une forte détermination et une endurance réelle.

(Photo de titre : Koizumi Jun’ichirô, alors Premier ministre et Kim Jong-il, secrétaire général du parti du travail de Corée, à l’issue du sommet Corée du Nord-Japon à Pyongyang en mai 2004. Jiji)

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