Comment sauver le Japon du naufrage ? L’ancien vice-ministre des Finances nous confronte à la réalité

Économie

La situation des finances publiques du Japon est sans doute la plus grave au monde, mais il y a toutefois des économistes et des politiciens pour affirmer que cela n’est pas préoccupant, car les finances de l’État n’ont rien à voir avec celles des personnes privées. Nous en parlons avec Yano Kôji, ancien vice-ministre des Finances, qui ne mâche pas ses mots pour décrire la réalité de la situation. Entretien dans nos bureaux de Nippon.com.

Yano Kôji YANO Kōji

Né en 1962 dans la préfecture de Yamaguchi. Diplômé de l’université Hitotsubashi, il intègre le ministère des Finances, gravant les échelons en travaillant notamment comme secrétaire du Secrétaire général du cabinet, puis directeur-général du Bureau des impôts et du Bureau du budget et vice-ministre administratif des Finances. Il quitte ensuite le monde de la bureaucratie pour devenir entre autres professeur invité à l’université de Kanagawa et conseiller spécial chez Nippon Life Insurance.

Changer la définition de la vieillesse en accord avec la progression de la longévité

— Que pensez-vous du système dans lequel on commence à percevoir sa pension à 65 ans, et l’on ne paie plus qu’un dixième des frais médicaux à partir de 75 ans ?

Si l’on ne révise pas la définition selon laquelle on est une personne « âgée » à partir de 65 ans, et à partir de 75 une personne « très âgée », on aura beau procéder chaque année à de petites réformes de l’assurance sociale, ça ne servira quasiment à rien. On a reculé l’âge du départ à la retraite de 60 à 65 ans, mais depuis personne ne s’est mêlée de rediscuter de cet âge. Il est crucial de se pencher à nouveau dessus.

Évolution de la population

Il y avait 153 centenaires en 1963, année du début des statistiques sur le sujet. Puis le chiffre est monté à 1 000 en 1981, et la barre des 10 000 a été franchie en 1998. En 2023, nous avons dépassé les 90 000. Grâce aux progrès de la médecine, la durée de vie moyenne ne cesse de progresser. Malgré cela, l’âge où l’on commence à percevoir la retraite n’a pas changé. Elle est de 65 ans, comme autrefois. Nous devrions nous réjouir du fait qu’on vive plus longtemps, mais il ne fait aucun doute qu’il est de plus en plus difficile de soutenir les seniors.

— Les dépenses de soin augmentent beaucoup...

Lorsqu’on atteint l’âge de 75 ans, le reste à charge du patient descend à 10 % du total. Aucun autre pays que le Japon n’est assez bête pour demander à ses citoyens — dès qu’ils ont 75 ans et pas de revenus — de ne payer qu’un reste à charge aussi bas, même s’ils sont en bonne santé et qu’ils ont 500 millions de yens d’économies. Si la durée de vie moyenne s’allonge, on relève petit à petit l’âge à partir duquel on est classé comme personne âgée. Le mieux serait de concevoir un système où cela se fait automatiquement. Puisque nous avons bien l’indexation des prix ou des salaires, pourquoi ne pas avoir de même une indexation de la longévité ? Il faudrait que chacun se rende compte que si l’espérance de vie augmente, l’âge auquel on devient officiellement une personne âgée remonte petit à petit, avec un certain retard sur la réalité. Je ne pense pas que quelqu’un puisse nier cela sur le plan de la logique.

La Chine et la Corée du Sud, qui finiront par nous dépasser en matière de taux de population âgée, observent le Japon pour voir où il réussit et où il échoue. S’il échoue, ils essaieront de faire mieux. Jusqu’à quand s’agrippera-t-il à la définition qu’on devient « personne âgée » à partir de 65 ans ou de 75 ans ? En tant que pays développé confronté à de tels problèmes, ce que devrait faire le Japon est clair.

Si nous ne voulons pas travailler plus longtemps, alors il faudra alors accepter une diminution drastique des pensions, une augmentation des impôts ou des cotisations sociales. Il est impossible d’avancer si nous disons « non » à tout. L’idéal est de créer une société où l’on vit longtemps en continuant de travailler en bonne santé.

— Si l’on décide de procéder à une augmentation des impôts, certains affirment qu’il faut relever le taux d’imposition des plus riches.

Les taux d’imposition japonais sont élevés, et les augmenter n’est pas réaliste. C’est aussi vrai de l’impôt sur les sociétés. Le Japon est un pays exceptionnel dans la mesure où la taxe à la consommation est faible. On ne la relèvera jamais seul, mais si l’on considère l’égalité entre les générations, le problème structurel qu’est le déclin démographique, les tendances internationales de la fiscalité, et la compétitivité internationale, on ne peut que donner une place centrale à cet impôt.

Apprendre de ses échecs ne suffit plus

— Vous ne cessez de sonner l’alarme sur la crise des finances publiques, mais pour l’instant, la faillite n’est pas encore là.

Je ne peux rien prévoir avec certitude, mais ne rien faire pour nos finances est dangereux. Lorsque celles-ci vont mal, les taux d’intérêt remontent nécessairement. Aucun pays dans l’histoire n’y a échappé.

— Selon certains, nous n’avons pas de soucis à nous faire car la dette japonaise est en grande majorité détenue par les Japonais.

Ceci était vrai quand les Japonais la détenait à 97 %, mais le taux est aujourd’hui descendu à environ 85 %. Dans le flux des transactions, les non-Japonais négocient 30 à 40 % des obligations au comptant, et 60 à 70 % des obligations à terme. Les partisans de l’optimisme sont courageux, mais ils me font penser aux bôsôzoku, ces jeunes motards qui roulent à 180 km/h sur les autoroutes urbaines. Ils font cinq ou dix tours, convaincus qu’ils sont immortels, mais finissent tous par mourir.

Dans le lac qu’est le marché des obligations d’État japonais, nage la baleine qu’est la Banque du Japon (BoJ). Elle absorbe plus de la moitié de l’eau (les obligations) mais si les prix augmentent, elle en sera de moins en moins capable. Si la BoJ se retire graduellement, qui traitera l’énorme inondation des obligations d’État ? La chute du yen entraînée par des prix élevés est en cours.

Je concluerai par dire que les hommes sages apprennent de l’histoire ce qu’il faut pas faire, mais les idiots ne le comprennent que lorsqu’ils souffrent directement. Notre naufrage a déjà commencé, alors soyons intelligents et réagissons.

(Interview menée par Tani Sadafumi, de Nippon.com. Photos de Nippon.com)

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