Ikeda Daisaku, le parti Kômeitô et l’organisation religieuse Sôka Gakkai : une histoire de compromis

Politique

Takahashi Masamitsu [Profil]

En novembre dernier, le mouvement bouddhique Sôka Gakkai, le plus influent du Japon, a perdu un leader de longue date. Ikeda Daisaku est décédé à l’âge de 95 ans. Un journaliste politique vétéran revient sur l’héritage laissé par ce dernier, notamment la croissance de l’organisation religieuse, la naissance du parti politique Kômeitô en tant que parti populiste-pacifiste et les tensions éthiques et idéologiques provoquées par son alliance avec le parti au pouvoir, le PLD.

Des efforts pour propager la Sôka Gakkai dans 192 pays

La Sôka Gakkai a été fondée en 1930 par l’enseignant Makiguchi Tsunesaburô, en tant que société laïque affiliée à l’école bouddhique Nichiren Shôshû. Dissoute pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a connu une croissance rapide dans les années 1950. Son deuxième président, Toda Jôsei, axe alors sa campagne de recrutement sur les groupes à faible revenu.

En 1960, après la mort de ce dernier, c’est Ikeda Daisaku qui reprend les rênes. Il a seulement 32 ans. Quatre ans, plus tard, il fonde le bras politique de la Sôka Gakkai, le Kômeitô (ou « Parti de l’intégrité »). Avec le leadership charismatique de Ikeda Daisaku, la Sôka Gakkai se développe comme jamais, mais ses relations avec la Nichiren Shôshû, elles, se détériorent. En 1979, il n’a d’autre choix que de renoncer à sa fonction de président, même s’il conserve le contrôle de facto sur la Sôka Gakkai, en tant que président honoraire. En 1990, la Sôka Gakkai et le Nichiren Shôshû se séparent définitivement.

Alors que les relations avec l’école mère deviennent de plus en plus compliquées, Ikeda Daisaku continue à attirer de nouveaux adeptes vers la Sôka Gakkai, en augmentant sa propre autorité et son prestige en tant que leader religieux et en répandant la foi bien au-delà des frontières de l’Archipel.

Son autorité spirituelle grandit alors qu’il développe et répand sa propre interprétation du bouddhisme de Nichiren, répandant un système de croyance qu’on pourrait appeler « ikedaïsme ». Par ailleurs, son prestige bénéficie des liens qu’il avait personnellement noués avec des leaders politiques dans comme hors des frontières du Japon. Dans son cercle de connaissances, on retrouve des Premiers ministres, encore en exercice ou non, tels que Ikeda Hayato, Satô Eisaku, Fukuda Takeo, et des personnalités internationales telles que le premier ministre chinois Zhou Enlai, le président de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev et le président sud-africain Nelson Mandela.

Ikeda Daisaku accordait une importance toute particulière aux relations entre Tokyo et Pékin. En septembre 1968, s’exprimant à l’occasion d’un rassemblement d’étudiants de la Sôka Gakkai, au summum de la Guerre froide, il fait une proposition audacieuse : normaliser les relations diplomatiques entre le République populaire de Chine et le Japon. La Sôka Gakkai reconnaît en lui celui qui a jeté les bases de l’accord de 1972, qui définit les relations diplomatiques entre Tokyo et Pékin. Il s’agit de l’un de ses plus gros succès.

Ses affinités avec la Chine se reflètent dans la politique du Kômeitô. À la suite de l’incident de la place Tiananmen en 1989, le gouvernement chinois fait l’objet de critiques sévères de la part de la communauté internationale, pour la violente répression du mouvement démocratique étudiant. Le Japon est alors le premier membre du G7 à restaurer des relations de haut niveau avec Pékin, en partie en réponse au lobbying vigoureux du Kômeitô.

En 1975, Ikeda Daisaku crée la Sôka Gakkai Internationale (SGI) en tant qu’organisation faîtière mondiale, dont il est lui-même le président. Il conserve sa position à la tête de la SGI, même après sa démission en tant que président de la Sôka Gakkai (Japon) en 1979. Avec des disciples présents dans pas moins de 192 pays, la renommée de Ikeda Daisaku dépasse vite largement les frontières de l’Archipel.

À ce jour, la Sôka Gakkai compte plus de 8 millions de foyers au Japon et quelque 2,8 millions de membres à l’étranger.

Une entrée dans le monde de la politique

En 1964, seulement quatre ans après avoir pris les rênes de la Sôka Gakkai, Ikeda Daisaku plonge la tête la première dans le monde de la politique, avec la formation du Kômeitô (ou « Parti de l’intégrité »).

Les formations politiques au Japon sont alors fortement polarisées, avec le sempiternel Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir à droite, soutenu par les grandes entreprises, et le Parti socialiste du Japon, formation d’opposition à gauche, soutenu par les syndicats. Dans l’espace étroit entre les deux, il n’existait pas de parti politique représentant les intérêts du « peuple », des « masses populaires » constituées par les employés des petites et moyennes entreprises ou les commerçants. C’est justement ce groupe de personnes que Ikeda Daisaku décide de cibler. Le Kômeitô a ainsi été créé, dont le soutien de ces « masses populaires » était la base, qui prônait comme mesure phare une politique sociale qui serait une soupape de sécurité pour les classes à faible revenu.

Le pacifisme est également un principe qui tient à cœur à la Sôka Gakkai, et ce depuis sa création. Dans les années 1940, le gouvernement militariste japonais avait sévèrement réprimé la Sôka Gakkai, organisme dissident et pacifiste. Makiguchi Tsunesaburô, son premier président, avait refusé de se retirer et était mort dans sa cellule, en prison. Il était donc normal pour le bras politique de la Sôka Gakkai de se positionner en tant que parti de la paix et en tant qu’adversaire du PLD, formation conservatrice, qui était en faveur de la révision de la Constitution, laquelle stipule un renoncement à la guerre de la part de l’Archipel.

Crise et métamorphose

Après la création du Kômeitô en 1964, la plus importante décision politique prise par Ikeda Daisaku a probablement lieu en 1999, lorsque le PLD se rapproche du Kômeitô pour entamer des pourparlers de coalition.

Pendant les 30 premières années, le Kômeitô reste un parti antigouvernemental, même lorsqu’il coopère avec le PLD sur certains dossiers spécifiques. En 1993, lorsque le PLD perd sa majorité à la Chambre basse (ou Chambre des représentants), le Kômeitô rejoint une coalition anti-PLD, présidé par le Premier ministre de l’époque Hosokawa Morihiro. Il s’agissait alors d’un développement naturel, cohérent avec les positions qui avaient été celles du parti depuis sa formation.

Seulement, de nouveaux défis apparaissent après le retour au pouvoir du PLD, au sein d’une coalition pour le moins peu probable, avec le Parti socialiste. À cette époque-là, le Kômeitô et la Sôka Gakkai font l’objet d’attaques concertées à la Diète, accusés de violer la séparation de la religion et de l’État définie par l’Article 20 de la Constitution. Des appels sont lancés à plusieurs reprises afin d’amener Ikeda Daisaku à comparaître devant la Diète, pour qu’il témoigne des amendements proposés à la Loi sur les corporations religieuses. Si Ikeda Daisaku réussit à échapper à un interrogatoire devant la Diète, la menace bien réelle d’une attaque soutenue par le gouvernement lui-même, avec Ikeda Daisaku en ligne de mire, inquiète profondément le Kômeitô comme la Sôka Gakkai.

En 1998, le PLD essuie un véritable camouflet à la Chambre haute (ou Chambre des conseillers). Même si le parti garde le contrôle de la Chambre basse et du gouvernement, le Premier ministre nouvellement nommé, Obuchi Keizô, sait qu’il aura besoin de la coopération des petits partis s’il veut faire adopter des textes de loi majeurs par la Chambre haute. Il entreprend donc de former une coalition avec le Parti libéral (conservateur) et le Kômeitô. Au terme de discussions politiques avec les deux autres partis, le Kômeitô accepte de rejoindre la coalition dans les intérêts de la « stabilité politique ». Sans aucun doute, la décision finale a été prise par Ikeda Daisaku.

Le Kômeitô vivait un revirement de situation des plus étonnants, lui qui avait attaqué la politique du PLD jusqu’au moment où il avait été sollicité pour former avec lui une coalition.

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Takahashi MasamitsuArticles de l'auteur

Membre du comité éditorial de l’agence Jiji Press. Né en 1961, il étudie les sciences politiques à la faculté de droit de l’Université Keiô puis entre à l’agence dont il devient chef du service politique, puis responsable du bureau de Kobe avant d’arriver à son poste actuel en 2015.

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