
La scène politique japonaise en 2024 : des élections après un dernier baroud de Kishida Fumio ?
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La cote de popularité du Premier ministre Kishida Fumio était déjà en berne quand des allégations de malversations financières systématiques sont venues ébranler le PLD (Parti libéral-démocrate), le parti au pouvoir. Certains le voient comme le plus grand scandale politique depuis l’affaire Recruit, qui a défrayé la chronique à la fin des années 1980. La confiance dans le gouvernement est au plus bas, le PLD doit trouver du sang neuf pour les prochaines élections à la Chambre des représentants. Mais négocier ce tournant est plus compliqué qu’il n’y paraît. Détaillons les défis qui attendent Kishida, le PLD et la scène politique japonaise en 2024.
Un scandale très japonais
Le scandale des frais de campagne a éclaté à la fin du mois de novembre 2023, quand les médias ont rapporté que le bureau du procureur général du district de Tokyo enquêtait sur des plaintes pour malversations financières mettant en cause plusieurs factions du PLD. La Seiwa Seisaku Kenkyûkai, communément appelée « faction Abe » (du nom de son ancien meneur, feu Abe Shinzô), la grande faction du parti est dans la ligne de mire. Elle aurait systématiquement sous-déclaré les revenus provenant de réceptions pour collecter de fonds et aurait frauduleusement redistribué des sommes non déclarées à des membres du groupe qui les auraient utilisées à des fins privées. Depuis 2018, 500 millions de yens (3,15 millions d’euros) auraient ainsi été détournés vers des caisses noires (du fait des délais de prescription ce qui est antérieur à 2018 ne peut être pris en compte).
Vu la taille de la faction Abe et son influence, Kishida avait choisi de nommer des membres du groupe à des postes clés du gouvernement et du parti. Mais, à la mi-décembre, il a dû les démettre de leurs fonctions, les informations ayant fuité montraient que chacun d’entre eux avait reçu des sommes secrètes se chiffrant en millions de yens. Le 14 décembre, juste après la clôture de la dernière session extraordinaire de la Diète, Kishida a accepté la démission de quatre membres de son cabinet, dont Matsuno Hirokazu, Secrétaire général du cabinet et Nishimura Yasutoshi, ministre de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie. Trois cadres du PLD ont également démissionné : Hagiuda Kôichi, président du Conseil de Recherche politique, Takagi Tsuyoshi, président de la commission des affaires de la Diète ainsi que Sekô Hiroshige, secrétaire général de la chambre des Conseillers. Cinq ministres d’État ont également été remplacés. (Voir notre article : Le gouvernement japonais remanié d’urgence après une affaire de fraude : la nouvelle liste des membres)
Bien qu’à ce stade le Premier ministre ne soit pas encore impliqué en personne, le scandale et la purge ont sérieusement entaché son image et compromis son avenir à la tête du parti. Le soutien de la faction Abe a été essentiel pour le cabinet Kishida. Le parti était resté uni derrière le gouvernement en dépit de sa forte impopularité. Mais aujourd’hui, la faction est furieuse d’avoir été exclue des coulisses du pouvoir, elle lui a retiré son soutien alors que la cote de popularité du Premier ministre est au plus bas.
Des jours sombres pour Kishida
Les Japonais sont de plus en plus mécontents et déçus des agissements de Kishida. Sa cote, temporairement remontée à environ 38 % au premier semestre 2023 (sondage Jiji en mai) est brutalement retombée. Son image s’est tout d’abord ternie quand son propre fils, engagé comme secrétaire du parti, a dû être renvoyé pour « comportement inapproprié ». Puis il y a eu ce moment chaotique de la distribution et la gestion des cartes à puce My Number ID entachée d’erreurs et suivie de l’élimination des autres cartes d’assurance maladie.
Espérant inverser la courbe des sondages, Kishida a remanié son cabinet et remplacé quelques responsables du parti en septembre 2023, mais cela n’a pas produit l’effet escompté. En octobre, les électeurs ont tourné en dérision sa proposition de réduire temporairement l’impôt sur le revenu de 40 000 yens par personne. Ils n’ont vu dans cet effet d’annonce qu’une tentative désespérée de s’acheter des soutiens (surtout que le Premier ministre venait de plaider pour augmenter les impôts afin de financer l’augmentation des dépenses de défense). À ce stade, les Japonais semblaient s’être définitivement détournés de Kishida Fumio.
Le sourd écho du scandale des fonds détournés n’a rien arrangé. Les personnalités au cœur de l’affaire se sont entêtées à ne pas s’excuser. Jour après jour, les Japonais ont constaté que Matsuno, le Secrétaire général du cabinet, refusait de répondre aux questions de la presse et des partis d’opposition. Ils ont vu que des fonctionnaires impliqués juraient de « poursuivre leurs activités » comme si les allégations n’étaient rien d’autre qu’un feu de paille. Quand il devint impossible d’ignorer le tumulte, Kishida s’est engagé de façon grandiloquente à se faire « boule de feu » pour « restaurer la confiance du peuple dans le PLD » mais, sans proposer aucune piste concrète de réforme. Dans un sondage d’opinion Jiji publié le 14 décembre (réalisé du 8 au 11 décembre 2023), le cabinet Kishida était à seulement 17 % d’opinion favorable.
Improbable défenseur de la réforme
Impossible de savoir jusqu’où ira le scandale puisque les allégations et l’enquête ne se limitent pas à la faction Abe. Les dernières nominations de Kishida au cabinet et au parti ne sont guère plus que des expédients décidés dans l’urgence et de nouvelles révélations pourraient nécessiter d’autres remaniements d’ici la fin janvier. Lors de la prochaine assemblée de la Diète, les partis d’opposition reviendront alors à la charge pour critiquer Kishida à l’occasion des délibérations sur le budget 2024. S’il ne réagit pas avec un plan de réforme convaincant intégrant des mesures pour régler le problème systémique des factions du PLD, le gouvernement pourrait se trouver paralysé.
Il faudrait amender deux points, réformer d’une part la loi sur le contrôle des fonds politiques pour améliorer la transparence et revoir complètement le code d’éthique du PLD, mais aussi dissoudre les factions historiques et institutionnalisées du parti. Malheureusement, le PLD n’a jamais brillé pour ses velléités de réforme. Après le scandale Recruit, le parti était sous pression, il aurait dû attaquer le mal à la racine, éradiquer la corruption mais aussi réformer le système électoral et son mode de financement. En 1991, le cabinet PLD du Premier ministre Kaifu Toshiki a présenté trois importants projets de réforme qui devaient être discutés en priorité à la session ordinaire de la Diète. Mais cette proposition de loi n’a jamais passée le cap de la commission à cause de la résistance farouche de la faction Kaifu(*1). Il semble peu probable que Kishida ait plus de succès.
Les précédents Premiers ministres issus du PLD avaient pris garde de quitter leur poste de chef de faction pendant leur mandat afin de prendre leurs distances (même superficiellement) avec le clientélisme et des intrigues politiques internes au parti. Kishida, lui, a choisi de rester à la tête de sa faction et a continué de participer aux réunions. Le 7 décembre 2023, il annonçait enfin son retrait du groupe, mais cette décision tardive semblait plus tactique qu’éthique.
Kishida essaiera sans doute de se faire passer pour le champion de la réforme alors que le scandale occupe le devant de la scène à la Diète. Mais il est peu crédible dans ce rôle de croisé partant en lutte contre les intrigues politiques entre factions. En outre, il n’a pas les soutiens nécessaires pour rallier le PLD à une refonte significative de la loi sur le contrôle des fonds de campagne. Le parti n’est plus derrière lui.
(*1) ^ L’échec du projet de réforme de Kaifu a préludé à la défaite électorale historique du PLD de juillet 1993. C’est ainsi qu’un gouvernement de coalition anti-PLD (le premier gouvernement non-PLD depuis la formation du parti en 1955) a pu voir le jour. Ce cabinet a fait adopter un important train de réformes, incluant de nouvelles restrictions sur le financement des partis, une réforme électorale centrée sur une combinaison de circonscriptions uninominales et l’introduction de la proportionnelle pour les élections à la Chambre basse.