Rejet de l’eau traitée de Fukushima : l’ancien ministre de l’Environnement Hosono Gôshi s’exprime

Société Environnement

En août dernier, 12 ans et demi après la catastrophe, le Japon a débuté le rejet en mer des eaux traitées de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima Daiichi. Hosono Gôshi, membre du Parlement, qui a joué un rôle important dans la mise en place des mesures d’urgence en mars 2011, évoque en toute franchise les décisions qu’il a prises, leur impact et l’approche scientifique qu’il adopte pour l’élimination de l’eau.

Hosono Gôshi HOSONO Gōshi

Membre de la Chambre des représentants (Parti libéral démocrate, 5e district de Shizuoka). Né dans la préfecture de Kyoto en 1971, il obtient son diplôme à l’université du même nom. Il est élu pour la première fois à la Chambre basse en 2000 en tant que membre du Parti démocrate du Japon, formation au pouvoir de 2009 à 2012. Hosono Gôshi était conseiller spécial du Premier ministre Kan Naoto en mars 2011, lorsque le tremblement de terre et le tsunami au nord-est du pays ont provoqué un accident majeur à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Deux mois plus tard, en avril, il est officiellement chargé de conseiller le Premier ministre sur l’accident de Fukushima et, en septembre, il est nommé ministre d’État en charge de la prévention et de la réponse aux catastrophes nucléaires. Il est ensuite nommé ministre de l’Environnement et ministre d’État responsable de la politique et de l’administration de l’énergie nucléaire. Après avoir quitté le Parti démocrate pour rejoindre le Kibô no Tô (Parti de l’espoir), formation qui ne durera que quelques années, Hosono Gôshi devient indépendant pour finalement rejoindre le PLD en 2021.

L’ennemi, c’est la désinformation

HOSOYA  Vous avez fustigé un certain nombre d’organes de presse pour leur couverture non scientifique, qui exagère les dangers de l’eau traitée. Que pensez-vous de la responsabilité journalistique qui incombe aux médias dans ce domaine ?

HOSONO  Je n’ai pas commencé à interpeller les médias sans raison. J’ai constaté que les médias japonais étaient abondamment cités en Corée du Sud, en gros titres même. Ils citaient également les noms de prétendus experts japonais. Les choses présentées sous cet angle, les Sud-Coréens ne pouvaient que penser que si telle était la façon dont le processus de rejet de l’eau était couvert au Japon, alors en effet, ce dernier devait vraiment être dangereux. En d’autres termes, si nous restions les bras croisés et laissions ce type de journalisme se répandre dans notre propre pays sans prendre la moindre mesure, les mêmes idées auraient pris racine non plus dans, mais au-delà de nos frontières. Et là était ma peur ; si nous ne luttions pas contre ces idées fausses, elles pouvaient se diffuser dans le monde entier.

Les médias émettent deux objections fondamentales. La première est que le rejet de l’eau traitée constitue un risque biologique. Cette théorie, je peux clairement l’infirmer, à l’aide des résultats des études approfondies menées par le gouvernement et en attirant l’attention sur le fait que de l’eau contenant du tritium est régulièrement rejetée par des installations nucléaires du monde entier, pas seulement celles de Fukushima. 

Plus récemment, les critiques des médias ont porté sur la crainte que le rejet de l’eau traitée, même s’il est prouvé scientifiquement sûr, ne soit à l’origine de craintes elles-mêmes infondées et de rumeurs préjudiciables (pour les produits de la mer japonais). À ces médias, je leur réponds que si des craintes infondées sont pour vous sources d’inquiétudes, la chose à faire est plutôt de relayer des faits scientifiques, qui eux montrent que le processus de rejet de l’eau est sûr. Si vous passez tout votre temps à parler de craintes infondées sans prendre la peine d’étayer vos propos à l’aide de données scientifiques concrètes, alors dans les faits, c’est vous qui répandez ces craintes. J’ai pris conscience qu’il fallait également contrer ce genre de couverture.

Il est vrai que certains résidents de Fukushima nourrissent des craintes concernant les stigmates de la radioactivité, et je les comprends, étant donné tout ce qu’ils ont subi jusqu’à maintenant. Mais pour aborder avec justesse un phénomène, il faut s’intéresser à la façon dont il s’inscrit dans un ensemble plus vaste. Se contenter du regard de personnes préoccupées est de parti pris et ne prend pas en compte la situation dans son ensemble. Ce point a été un autre axe de ma campagne d’information.

La vision erronée de la Chine

HOSOYA  Le Japon a mis en place des efforts concertés afin de garantir l’approbation de différents gouvernements et agences internationales pour le projet de rejet de l’eau traitée, et il me semble qu’ils ont montré leur soutien, dans l’ensemble. Mais avec la Chine, le projet de rejet de l’eau a ouvert une boîte de Pandore, devenant une énième source de tensions et de frictions. Comment pensez-vous que le gouvernement japonais pourrait répondre aux critiques formulées par Pékin ?

HOSONO  Les cinq États disposant officiellement de l’arme nucléaire jouissent d’un statut privilégié pour ce qui est du traitement des matières radioactives, dont les eaux usées, et leurs programmes d’armes nucléaires sont totalement exemptés de toute inspection [de l’Agence internationale de l’énergie atomique, ou AIEA]. Ils en savent plus que bien d’autres pays puisqu’ils sont confrontés à ces questions depuis de nombreuses années. Le gouvernement chinois critique la façon dont le Japon gère les eaux usées tout en sachant parfaitement que le projet de rejet ne pose aucun danger d’un point de vue scientifique.

J’imagine que Pékin y a vu un bon moyen de resserrer les vis avec le Japon, d’un point de vue diplomatique. La Chine s’est probablement dit que la Corée du Sud réagirait de la même façon, faisant des émules dans tous les autres pays d’Asie de l’est. Mais Pékin avait tout faux ; l’opinion publique a peut-être manifesté un certain mécontentement mais il s’agit d’un pays démocratique, et comme il dépend des énergies nucléaires, il n’a pas d’autre choix que de rejeter des eaux usées dont la haute concentration (en radionucléides) est plus élevée que l’eau rejetée ici dans le cadre du projet de rejet de l’eau à la centrale de Fukushima Daiichi. Ce qui a amené le président sud-coréen, Yoon Suk-yeol, à adopter une approche différente de celle de Pékin. Le Japon est également parvenu à apaiser les craintes des pays du sud-est asiatique et des îles du Pacifique.

Je pense que la mission d’inspection de la sécurité menée par l’AIEA a été décisive. Au début, je craignais que les scientifiques du groupe de travail n’exercent leur droit de veto et n’empêchent la mission de publier une conclusion favorable. Mais ce sont des scientifiques, après tout, et les données recueillies et analysées par la mission étaient sans appel.

HOSOYA  Et que fera Pékin ensuite ?

HOSONO  Je pense que des négociations, ou ce qui s’y apparente, entre la Chine et le Japon sont engagées pour tendre vers une sorte de trêve. Mais en prenant en compte tout ce qui a été fait jusqu’à présent, je ne pense pas que de nouvelles études soient nécessaires. L’inspection de l’AIEA a permis de tirer des conclusions définitives, un processus auquel la Chine a participé.

(Voir notre article pour plus de détails : Rejet en mer de l’eau traitée de la centrale de Fukushima : qu’est-ce que le fameux tritium ?)

(Interview réalisée le 29 novembre 2023 par Ishii Masato, de Nippon.com. Photo de titre : la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, le 24 août 2023. Jiji)

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