Promouvoir ou réglementer ? Une stratégie japonaise ambigüe en matière d’énergie nucléaire

Politique Environnement

Le Premier ministre Kishida Fumio semble avoir fait revenir le Japon vers une meilleure acceptation du nucléaire dans le bouquet énergétique du pays. Des obstacles subsistent toujours cependant, y compris les dépenses pour la construction de nouvelles centrales et le maintien des structures existantes, ainsi que des questions concernant les réglementations qui rendent un grand nombre de personnes sceptiques vis-à-vis de cette énergie décarbonée.

Kishida Fumio avide de reconnaissance

Pourquoi alors, est-ce le Premier ministre Kishida, initialement sceptique quant à la dépendance à l’énergie nucléaire, qui a décidé de prendre le risque de perdre le soutien de l’opinion publique pour le retour du Japon sur la voie de l’énergie de l’atome ? Abe Shinzô était lui pourtant pro-nucléaire.

Même avant de devenir le chef du gouvernement nippon, Kishida Fumio était connu pour son manque de vision politique. Mais, en décembre 2022, il annonce plusieurs revirements politiques historiques. Non seulement, son gouvernement a annoncé un retour à une part plus importante du nucléaire dans le bouquet énergétique du pays, mais également une possible transformation dans la politique sur la sécurité du Japon, avec la révision de documents clés sur la sécurité, une augmentation significative du budget militaire et une décision officielle d’autoriser les Forces d’autodéfense du Japon à développer des « capacités de contre-attaque » pour cibler les positions militaires qui agresseraient le Japon à l’étranger.

Kishida Fumio n’aurait pas pu cacher son exubérance, se vantant tout autour de lui d’ « avoir fait ce que Abe Shinzô n’avait pas pu faire ». Par ailleurs, le 4 janvier 2023, en conférence de presse, il a qualifié le caractère historique de son gouvernement comme axé sur la confrontation « tête baissée » de problèmes difficiles et non résolus que la nation ne pouvait simplement pas remettre à plus tard. Il a ensuite reporté son attention sur l’une des questions les plus épineuses : le déclin du taux de natalité. Il s’est alors engagé à mettre en place des mesures « à un niveau totalement différent », pour la pérennité de la société nippone tout entière.

Kishida Fumio n’est pas devenu Premier ministre pour mettre en œuvre un programme en particulier. Alors que sa survie en politique semble être son premier objectif, il adopte une approche plutôt pragmatique pour prolonger son gouvernement en se taillant une réputation de quelqu’un qui s’attaque à des problèmes difficiles qui ne peuvent plus être remis à plus tard. Il cherche ainsi la reconnaissance de son gouvernement et du PLD, avec pour objectif d’augmenter le nombre de ses soutiens et son influence politique.

Le problème de retraitement et d’élimination des déchets nucléaires

Même si le gouvernement fait marche arrière et revient à une politique énergétique qui repose sur l’optimisation de l’utilisation du nucléaire, les défis restent nombreux. Certains experts ont des doutes quant à la construction de nouvelles centrales nucléaires. Les coûts seront probablement considérables pour les réacteurs nucléaires de nouvelle génération, tels que les réacteurs à eau légère utilisés dans les nouvelles centrales nucléaires en Europe. Leurs coûts peuvent atteindre 1 000 milliards de yens (6,1 milliards d’euros). Si la population soutient le redémarrage du nucléaire en général, ce n’est pas nécessairement le cas lorsqu’il s’agit de la construction de centrales nucléaires à proximité de zones résidentielles. Pour autant, les réactions négatives de la population locale risquent de rester un frein. D’autres inquiétudes se sont également élevées quant à l’allongement significatif des périodes d’exploitation des centrales et du maintien de règles de sécurité efficaces, alors que la conception des structures devient obsolète et que les équipements se détériorent.

Traditionnellement, l’une des critiques formulées par les détracteurs de l’exploitation de centrales nucléaires au Japon est l’absence d’une politique de cycle complet du combustible, avec un retraitement et un stockage en toute sécurité du combustible usé. Et c’était un problème auquel la société Rokkasho, dans la préfecture d’Aomori, était censé remédier, tout du moins partiellement. Cependant, cette structure ne devrait plus être achevée, et aucun site de stockage final pour les déchets hautement radioactifs n’a été décidé. Le cycle du combustible nucléaire « interrompu » au Japon semble donc se poursuivre.

Par ailleurs, aucun plan d’évacuation en cas d’accident nucléaire complexe n’a été prévu par les municipalités à proximité des centrales existantes et même dans le cas contraire, leur efficacité peut être mise en doute. Avec l’attaque et l’occupation par Moscou d’une centrale nucléaire en Ukraine, il serait tout à fait plausible que les installations nucléaires deviennent la cible d’une attaque militaire ou terroriste.

L'usine de retraitement du combustible nucléaire à Rokkasho, dans la préfecture d'Aomori. (© Kyôdô)
L’usine de retraitement du combustible nucléaire à Rokkasho, dans la préfecture d’Aomori. (© Kyôdô)

La reprise des activités des centrales existantes n’a par ailleurs pas progressé comme certains membres du parti au pouvoir et du milieu des affaires l’auraient souhaité. Et ils ont manifesté leur mécontentement vis-à-vis de l’Autorité de régulation du nucléaire (ARN), notamment en raison de processus d’inspection jugés trop longs. Cependant, nombre des centrales faisant l’objet d’inspections se trouvent dans des environnements difficiles, vulnérables aux catastrophes naturelles, rendant la démonstration de sécurité difficile. Cette situation est souvent aggravée par des données erronées soumises par des compagnies d’électricité lorsqu’elles demandent le redémarrage de réacteurs ou de centrales.

Entre promotion et régulation, des lignes floues

Mais la diminution du degré d’indépendance vis-à-vis de l’ARN est autrement plus problématique. Cette indépendance a été remise en question à la suite de la décision d’allonger significativement la durée maximum d’exploitation des centrales. En juillet 2022, d’anciens responsable du METI occupaient les trois plus importants postes au sein du secrétariat de l’ARN : secrétaire- général, secrétaire-général adjoint et ingénieur en chef. De plus, il a été révélé que dans la formulation des changements de la législation nucléaire, des responsables du secrétariat de l’ARN et de l’Agence des ressources naturelles et l’énergie du METI ont discuté des amendements, sans en informer au préalable l’ARN, alors que cela est requis par la loi. Les relations étroites entre le METI et le secrétariat semblent avoir été approfondies après une période d’apparente indépendance, après sa création en 2012.

Mais ce n’est pas tout. Il y a eu un autre problème en février 2023, lorsque les commissaires de l’ARN ont délibéré sur les amendements visant la prolongation du cycle de vie des centrales nucléaires, tout en transférant la juridiction administrative prévue pour de telles décisions de l’ARN (sur la base de la Loi sur la réglementation des matières premières nucléaires, des matières combustibles nucléaires et des réacteurs) au METI (en vertu de la Loi sur le commerce de l’électricité). Ishiwatari Akira, l’un de ces commissaires, s’est opposé à la proposition. Pour lui, les changements proposés n’amélioraient pas la sécurité ou ne reposaient sur aucun fondement scientifique. Malgré cela, la commission a, chose inhabituelle, décidé de voter sur la proposition plutôt que de former un consensus. Finalement, une majorité de 4 contre 1 a approuvé les propositions d’amendements.

Cependant, plusieurs membres de commissions qui s’étaient exprimés en faveur de la proposition ont plus tard exprimé leur mécontentement, se plaignant de n’avoir eu que peu de temps pour prendre une décision, selon un calendrier imposé par l’extérieur. Par ailleurs, le report des projets pour l’élaboration de règles concrètes, garantissant la sécurité après des prolongations de durée de vie pouvant aller jusqu’à 60 ans maximum et au-delà, comme cela est envisagé pour certaines installations nucléaires, a également créé un certain malaise. Telles sont les conséquences des pressions exercées sur l’ARN par un gouvernement qui souhaite une révision rapide de la législation.

Le gouvernement Kishida a brouillé la séparation entre les responsabilités de « régulation » et de « promotion » en matière de politique énergétique, pour une utilisation maximale de l’énergie nucléaire. Cette séparation a été mise en place en partie sur la base des leçons tirées de l’accident nucléaire qui a suivi la catastrophe de 2011 et pour rassurer la population. S’attirer les foudres de l’opinion publique ne pourrait que rendre plus difficiles la justification et la mise en œuvre de l’utilisation future de l’énergie nucléaire.

(Photo de titre : la centrale nucléaire de Takahama de Kansai Electric. Kyôdô)

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