Le mystère Yokota Megumi : où est la Japonaise enlevée par la Corée du Nord ?

Politique International

La question des ressortissants japonais enlevés par la Corée du Nord dans les années 1970 est dans l’impasse depuis longtemps. L’une des victimes, Yokota Megumi, kidnappée le 15 novembre 1977 à l’âge de 13 ans, est devenue une figure symbolique. Son père Shigeru (décédé en 2020) et sa mère Sakie croient que leur fille est toujours vivante et ont toujours appelé à la revoir. Portant à ce jour, rien ne s’est encore produit... Nous revenons sur plus de 40 ans de lutte pour le retour de Megumi au Japon.

Une fille de 13 ans disparaît mystérieusement

Ce devait être une journée ordinaire. Le 15 novembre 1977, Yokota Megumi, 13 ans, élève de première année de collège, se rend à l’école après avoir pris son petit-déjeuner avec sa famille. La classe se déroule comme d’habitude. Après les cours, elle participe à l’entraînement de son club de badminton. Puis, sur le chemin du retour, elle disparaît.... Telle qu’une histoire de kamikakushi, un « enlèvement par les dieux », un motif bien connu des contes traditionnels japonais.

Megumi était une élève active, brillante, même. La police lance des recherches tout azimuts, ne négligeant aucune possibilité : accident, enlèvement, fugue… mais aucun indice n’apparaît. Son père Shigeru et sa mère Sakie ont le cœur brisé, mais continuent à marcher le long de la côte, le long de la mer du Japon, à la recherche d’indices. Lorsqu’un corps non identifié est retrouvé dans la mer du Japon, on cherche à savoir s’il s’agit de Megumi, mais il s’avère que non. Dans le livre qu’ont publié ses parents, bien longtemps après, Megumi e no Yuigon (« Testament pour Megumi » ; interviewer : Ishidaka Kenji / Gentôsha, 2012), sa mère Sakie, prise au piège, passait ses journées à penser à la mort.

Un espion nord-coréen passe aux aveux

Ce n’est qu’une douzaine d’années plus tard, dans les années 1990 que les choses commencent à bouger. L’élément déclencheur a été un entretien avec Ishidaka Kenji, producteur au bureau d’information de l’Asahi Broadcasting Corporation. Ishidaka avait enquêté et rendu compte de la disparition d’un grand nombre de personnes autour du programme de rapatriement vers la Corée du Nord des Coréens qui vivaient alors au Japon, programme qui avait commencé dans les années 1950. Au cours de son enquête, il avait eu l’occasion de parler avec des agents nord-coréens qui lui avaient raconté avoir enlevé des ressortissants japonais.

En 1995, la diffusion du documentaire « Vagues de ténèbres : Opérations nord-coréennes contre le sud » met en lumière le cas de Hara Tadaaki, cuisinier dans un restaurant chinois d’Osaka, enlevé en 1980 par un espion nord-coréen, Sin Gwang-su, qui s’est fait passer pour sa victime et s’est livré à des activités d’espionnage au Japon et dans d’autres pays asiatiques.

En février 1995, Ishidaka avait appris que Kim Kil-uk, un complice de Sin Gwang-su, avait été libéré sur parole et vivait sur l’île de Jeju, en Corée du Sud, où il l’a rencontré personnellement et l’a interviewé. Kim, en pleurs en pleine rue, a reconnu avoir participé à l’enlèvement de Hara. Le documentaire indiquait comme certain que 13 autres ressortissants japonais portés disparus, dont trois couples disparus sur la côte de la mer du Japon, et Arimoto Keiko, une étudiante disparue alors qu’elle étudiait à Londres, relevaient du même cas de figure.

Ishidaka a plus tard déclaré :

« Même après la diffusion nationale de l’émission, aucun autre média n’a donné suite à la question des enlèvements, et le gouvernement japonais ne s’y est pas intéressé. Cependant, un rédacteur d’une autre chaîne qui avait vu l’émission m’a recommandé d’écrire un livre sur le sujet, et j’ai donc continué à couvrir la question de mon côté. Ce faisant, j’ai obtenu des informations selon lesquelles une jeune fille en première année de collège avait été enlevée dans les années 1970 et était toujours en vie en Corée du Nord. L’information provenait d’une déclaration faite aux services de renseignement sud-coréens par un ancien agent nord-coréen qui avait fait défection en Corée du Sud. »

La jeune fille en question a été identifiée comme étant Yokota Megumi en janvier 1997. L’année précédente, Ishidaka avait écrit le premier article dans une revue sud-coréenne sur les informations relatives à son kidnapping, ce qui a constitué le premier lien avec la disparition de Megumi.

Lorsque Shigeru, le père de Megumi, a entendu l’histoire de Ishidaka, il a d’abord été sceptique. Un point le retenait, cependant : la personne qui avait été enlevée était décrite comme une « sœur jumelle ». Pour être précis, Megumi a un frère jumeau, fait qui n’avait jamais été mentionné par les médias. Sakie, qui a plus tard rencontré Ishidaka avec Shigeru, se souvient dans son « Testament pour Megumi » qu’elle « ne pouvait s’empêcher de trembler » en écoutant son récit.

La rencontre historique avec Kim Jong-il

Lorsqu’il est devenu clair que Megumi avait été arrachée à ses parents par la Corée du Nord, Ishidaka et quelques autres ont lancé un appel aux familles des autres personnes enlevées dans différentes régions et, en mars 1997, L’Association de liaison des familles des victimes d’enlèvement par la Corée du Nord (« Association des familles ») a été créée, avec Yokota Shigeru comme président. En août de la même année, 500 000 signatures ont été recueillies et soumises au bureau du Premier ministre, et les médias ont commencé à couvrir de façon répétée la question des enlèvements. Les preuves étaient déjà nombreuses. Néanmoins, la Corée du Nord a toujours maintenu que toute cette histoire était une invention.

La situation a changé radicalement avec la visite du Premier ministre Koizumi Jun’ichirô à Pyongyang le 17 septembre 2002. Kim Jong-il a reconnu la réalité des enlèvements et a présenté ses excuses. Cinq victimes ont été rendues au Japon.

Toutefois, le nom de Yokota Megumi ne figurait pas parmi les survivants signalés. À cette époque, la Corée du Nord a indiqué que sur les 13 personnes enlevées que le Japon avait identifiées comme telles à l’époque, 8, dont Megumi, étaient décédées et 1 n’avait jamais mis le pied dans le pays. Les 5 ressortissants japonais qui furent rendus au Japon à cette époque étaient les 4 survivants, plus Soga Hitomi, qui ne figurait pas sur la liste des personnes recherchées par le Japon.

La Corée du Nord a fourni des photos de Yokota Megumi après son enlèvement (© Yokota Shigeru/Jiji Press)
La Corée du Nord a fourni des photos de Yokota Megumi après son enlèvement (© Yokota Shigeru/Jiji Press)

Les thèses de la mort de Megumi remises sérieusement en question

L’explication de la Corée du Nord était que Megumi s’était suicidée après avoir épousé Kim Yong-nam, originaire de Corée du Sud et installé en Corée du Nord, et avoir eu un enfant avec lui. Malgré le choc de cette information, Shigeru a participé à la conférence de presse en tant que représentant de l’association des familles et s’est exprimé :

« Le résultat [concernant Megumi] est malheureux : elle est décédée. Nous avons appris qu’elle était mariée et qu’elle avait une fille. Mais la Corée du Nord avait affirmé jusqu’à présent qu’il n’y avait pas eu d’enlèvements. Pourquoi les croirions-nous aujourd’hui ? Mais nous sommes heureux pour les familles qui ont appris que les leurs sont en bonne santé. »

Or, les huit certificats de décès fournis par la Corée du Nord se sont révélés être des contrefaçons. Il restait donc encore de l’espoir. Ishidaka a déclaré à ce propos :

« Le certificat de décès a été préparé à la hâte lors d’une visite d’une équipe d’envoyés du gouvernement japonais en 2002, et il était rempli de détails peu naturels, comme le fait que les décès avaient soi-disant été confirmé par le même hôpital, pour des décès survenus à des dates et des lieux totalement différents. En outre, la Corée du Nord a d’abord raconté que Megumi était morte en 1993, mais les témoignages des kidnappés qui sont revenus au Japon ont révélé qu’elle était toujours en vie cette année-là, et la Corée du Nord est ensuite revenue sur cette date, disant qu’elle était décédée en 1994... Ces réponses suspectes suggèrent que Megumi est peut-être toujours en vie. »

Face aux appels de l’association des familles pour établir la vérité, Toyo a exigé de Pyongyang qu’elle mène une nouvelle enquête. En novembre 2004, la Corée du Nord a fourni au gouvernement nippon les restes mortuaires et les photographies que Kim Yong-nam, le mari de Megumi, avait conservés. Cependant, l’expertise de la partie japonaise a prouvé que l’ADN des restes mortuaires n’appartenait pas à Megumi.

En outre, l’enterrement est la pratique commune en Corée du Nord et il est étrange que les restes qui ont été remis au Japon soient des restes incinérés. L’explication nord-coréenne, selon laquelle son mari aurait déterré et incinéré le corps de Megumi trois ans après sa mort, et a conservé ses restes à la maison, est trop tirée par les cheveux pour être prise au sérieux.

Pourquoi Megumi ne peut pas rentrer au Japon

Pourquoi la Corée du Nord persiste-t-elle à cacher la vérité sur Megumi ? Selon certaines informations, Megumi aurait enseigné le japonais aux enfants de Kim Jong-il (décédé en 2011), le père de l’actuel leader. Est-il possible que la Corée du Nord ne veuille pas révéler la vérité sur Megumi parce qu’elle en sait trop sur le fonctionnement interne de la famille Kim, considéré comme un secret d’État ?

En mars 2014, Shigeru et Sakie ont rencontré la fille de Megumi, c’est-à-dire leur propre petite-fille, Kim Eun-kyung, à Oulan-Bator, en Mongolie, où ils ont passé cinq jours ensemble. Déjà en 2002, lors du sommet Japon-Corée du Nord, Eun-kyung avait été interviewée par les médias japonais et avait déclaré, les larmes aux yeux, qu’elle souhaitait que son grand-père et sa grand-mère puissent venir la voir. La jeune fille, qui avait 15 ans cette année-là, était alors accompagnée de sa fille de 10 mois, l’arrière-petite-fille de Shigeru et Sakie.

Sakie tenant son arrière-petite-fille (© Arita Yoshio/Jiji Press)
Sakie tenant son arrière-petite-fille (© Arita Yoshio/Jiji Press)

« Aucune preuve convaincante n’a jamais été présentée concernant la mort de Megumi, et sa localisation reste inconnue à ce jour. Shigeru croyait fermement que sa fille était vivante et il a été actif pour l’association des familles pendant de nombreuses années en songeant au jour où ils seraient réunis. Mais il est mort de vieillesse en 2020, à l’âge de 87 ans, n’ayant pas pu réaliser son souhait. Il a dû être très déçu de devoir finir sa vie dans une situation où les hommes politiques n’ont été courageux qu’en paroles et n’ont jamais agi réellement, le laissant sans aucun espoir de solution. » (Ishidaka Kenji)

En février 2023, Sakie a eu 87 ans, l’âge auquel Shigeru est décédé. Interrogée par la presse en mai, elle a révélé que peu de temps auparavant, elle avait eu un malaise à son domicile et qu’elle souffrait de graves palpitations cardiaques. Elle a alors déclaré : « Mon Dieu, je suis mal. S’il vous plaît, donnez-moi la force de m’accrocher ». Elle a déclaré à la presse qu’elle croyait toujours en une solution, ajoutant : « La seule chose qui me soutient est mon désir d’aider Megumi à s’en sortir. »

Le temps qu’il reste aux familles des personnes enlevées, et pas seulement à Sakie, s’amenuise de jour en jour : en février 2020, la mère d’Arimoto Keiko, Kayoko, est décédée à l’âge de 94 ans. Le frère de Taguchi Yaeko, Iizuka Shigeo, qui avait succédé à Shigeru à la tête de l’association des familles, est décédé en décembre 2021. Lors de la conférence de presse, le fils aîné de Taguchi Yaeko, Iizuka Koichirô, a déclaré que sa mère était toujours hospitalisée et a appelé le gouvernement japonais à se pencher sérieusement sur la situation.

Iizuka Kôichirô (à gauche) a été élevé par Shigeo (à droite), le frère de Yaeko, après le kidnapping de sa mère Taguchi Yaeko. En arrière-plan, une photo de Taguchi Yaeko avant son enlèvement. (Avril 2005, Jiji Press)
Iizuka Kôichirô (à gauche) a été élevé par Shigeo (à droite), le frère de Yaeko, après le kidnapping de sa mère Taguchi Yaeko. En arrière-plan, une photo de Taguchi Yaeko avant son enlèvement. (Avril 2005, Jiji Press)

En mai, le Premier ministre Kishida Fumio a déclaré, lors d’une réunion sur la question des enlèvements, que « le moment est venu de changer courageusement la situation actuelle ». Il a ajouté : « J’aimerais organiser des pourparlers de haut niveau sous mon contrôle direct afin de réaliser un sommet [Japon-Corée du Nord] dès que possible », mais aucune mesure concrète n’a été prise jusqu’à présent. Est-il seulement en mesure d’obtenir des résultats qui ne finissent pas en simples paroles creuses ?

Megumi, qui avait 13 ans lorsqu’elle a été enlevée, a 60 ans en 2024. Presque 50 ans de trop.

(Reportage et texte de Nishioka Chifumi, de Power News. Photo de titre : Yokoto Sakie, la mère de Megumi, en conférence de presse le 30 mai 2023 à Kawasaki. À sa droite, le portrait de son mari Shigeru, décédé en 2020. Jiji Press)

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