Le Japon, prisonnier des illusions des JO et des Expos universelles : à quand le réveil ?

Économie

La ville de Sapporo, sur l’île de Hokkaidô, a renoncé à être candidate aux Jeux olympiques et paralympiques d’hiver 2030. Sa candidature n’a en effet pas réussi à susciter d’enthousiasme, notamment en raison des problèmes de corruption et d’entente illicite qui ont entaché les Jeux olympiques de Tokyo de 2021. Par ailleurs le chantier de l’Exposition universelle d’Osaka 2025, qui doit se tenir dans deux ans, a pris du retard, et les délais de nombreux aménagements ne sont pas respectés. Si les olympiades et les Expositions universelles avaient dynamisé le Japon pendant la période de croissance rapide, aujourd’hui, les gens ont du mal à croire que cela puisse se reproduire. Comment le Japon peut-il briller tout en restant ancré dans la réalité ?

À qui les JO d’hiver 2034 ?

Yamashita Yasuhiro, président du Comité olympique japonais (COJ), et Akimoto Katsuhiro, maire de Sapporo, ont tenu une conférence de presse le 11 octobre dernier. Le président du COJ a été le premier à prendre la parole et il a déclaré : « Le Comité olympique japonais et la ville de Sapporo ont décidé de retirer la candidature de Sapporo pour les Jeux olympiques d’hiver de 2030, et d’étudier désormais une candidature pour ceux de 2034. Suite aux problèmes (scandales) liés aux Jeux de Tokyo 2021, nous avons travaillé à une réévaluation du système de gestion de ce genre d’événements ainsi qu’à la mise en place d’une nouvelle gouvernance, mais affirmer à l’heure actuelle que nous bénéficions de la compréhension des habitants de Sapporo est difficile, et c’est ce qui m’a conduit à proposer ce nouvel horizon à M. Akimoto. »

Lors de la 141e session du Comité international olympique (CIO), qui s’est ouverte le 15 octobre en Inde, il a été décidé que l’organisme attribuera simultanément les Jeux d’hiver de 2030 et de 2034, ce qui va à l’encontre du désir de la ville de Sapporo qui a annoncé qu’elle allait travailler à une candidature pour 2034. Trois villes européennes, en Suède, en Suisse et en France, se sont déclarées candidates à ceux de 2030, et la candidature de Salt Lake City, la ville américaine hôte des Jeux d’hiver de 2002, paraît favorite pour 2034. Les deux décisions devraient être prises avant la fin de l’année, ce qui ne laisse pas à Sapporo le temps de revoir sa position. Sa candidature pour 2034 n’a dans les faits aucune chance d’être sélectionnée...

Le maire de Sapporo a déclaré, pendant une réunion du conseil municipal postérieure à cette session du CIO, qu’il souhaitait œuvrer à faire une réalité de la candidature de la ville, non pas basée sur le calendrier mais sur un dialogue plus suivi que jusqu’à présent avec les habitants. La ville n’a pas encore annoncé qu’elle pensait être candidate à l’organisation des Jeux de 2038, mais elle doit sans doute revoir sa stratégie, en tenant aussi compte de son retrait complet de la course aux Jeux de 2034.

Au niveau local, des groupes d’habitants lancent des pétitions pour demander que la ville ne puisse se porter candidate qu’à condition d’organiser un référendum local. Il paraît difficile de progresser dans ce projet en ignorant la volonté des habitants, car la question est clivante.

Osaka 2025 : des budgets qui grossissent encore et encore...

L’Exposition universelle d’Osaka 2025, qui aura lieu pendant six mois à partir d’avril sur une île artificielle dans la baie d’Osaka, prévoyait en 2018, au moment du lancement du projet, un budget de 125 milliards de yens, qui lui permettrait de de construire un pavillon pour chaque pays. Deux ans plus tard, ce chiffre atteignait 180 milliards, et il est récemment passé à 235 milliards de yens (1,43 milliard d’euros). Les organisateurs expliquent qu’ils n’avaient pas anticipé la hausse du prix des matières premières et du coût du personnel, mais si l’inflation continue, il est à craindre que le coût de la construction sera multiplié par deux par rapport au projet initial.

Des difficultés sont aussi à prévoir du point de vue des revenus. Les pré-ventes de billets ont été confiées à 16 entreprises, dont celles présidées par le président et le vice-président de la Fédération économique du Kansai, mais il semble qu’elles ne progressent pas. Chaque entreprise s’engage à acquérir cent cinquante à deux cent mille billets dont le prix est fixé à 6 000 yens (35 euros). Le montant pour chaque entreprise est donc de 900 millions à 1 milliard de yens, et elles semblent hésiter à finaliser leur promesse puisqu’il est à présent apparent que les préparatifs de l’ouverture ont pris du retard.

Après ces inquiétudes sur le financement de cet évènement, le gouvernement a entamé des démarches destinées à lui permettre de financer le coût de la surveillance. Cette manifestation devait à l’origine être entièrement prise en charge par le secteur privé, mais le contribuable japonais serait finalement appelé à participer. Le Premier ministre Kishida a exprimé son intention de faire avancer les préparatifs sous le patronage de l’État, et il a aussi annoncé l’envoi sur place de hauts fonctionnaires du niveau des chefs de bureau du ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie et du ministère des Finances.

Dans un sondage d’opinion à ce sujet du quotidien Mainichi Shinbun, la réponse qui a obtenu le plus fort taux de soutien, avec 42 %, était « il faut réduire les dimensions de l’Exposition universelle, et en diminuer les coûts », tandis que 35 % des sondés estimaient qu’il fallait y renoncer. Les Japonais se montrent aujourd’hui sévères vis-à-vis de ce genre d’événements, comme ils le sont vis-à-vis des Jeux olympiques.

Yumeshima, l'île artificielle qui accueillera l'Expo universelle d'Osaka 2025. L'importante progression des coûts de construction ainsi que les retards de celle-ci sont la source de préoccupations. (Photo prise le 12 octobre 2023, AFP/Jiji)
Yumeshima, l’île artificielle qui accueillera l’Expo universelle d’Osaka 2025. L’importante progression des coûts de construction ainsi que les retards de celle-ci sont la source de préoccupations. (Photo prise le 12 octobre 2023, AFP/Jiji)

De grandes espérances investies dans une répétition du mythe de la croissance

Pendant la période de croissance rapide des années 1960 et 1970, le « plan de doublement du revenu national » du Premier ministre Ikeda Hayato a enthousiasmé la nation. À cette époque, le Japon a accueilli plusieurs événements de grande ampleur, comme pour courir après le mythe de la croissance. Je voudrais retracer ce qui s’est passé à cet égard après les Jeux olympiques de Tokyo de 1964, considérés comme le symbole de la reconstruction du pays après la Seconde Guerre mondiale.

La chronologie après ces Jeux est la suivante :

1970   Exposition universelle d’Osaka

1972   Jeux olympiques d’hiver de Sapporo en 1972

1975   Expo 75 Okinawa (exposition spécialisée orientée sur la mer)

1985   Exposition internationale de Tsukuba

1988   Jeux Olympiques de Nagoya (la ville était candidate, mais le CIO a choisi Séoul)

1990   Exposition horticole internationale d’Osaka

1998   Jeux olympiques d’hiver de Nagano

2005   Exposition universelle d’Aichi

2008   Jeux olympiques d’été d’Osaka (la ville était candidate, mais le CIO a choisi Pékin)

2016   Jeux olympiques de Tokyo (la ville était candidate, mais le CIO a choisi Rio de Janeiro)

2020   Jeux olympiques de Tokyo (reportés à 2021 en raison de la crise du Covid)

2025   Expo universelle d’Osaka

2030   Jeux olympiques d’hiver de Sapporo (Sapporo renonce à être candidat)

Il y a aussi des exemples d’événements supprimés, notamment l’annulation, dix mois avant la date à laquelle elle devait ouvrir, de l’exposition des villes mondiales prévue pour 1996 dans les nouveaux quartiers en bord de mer à Tokyo. C’était l’une des promesses électorales faites par le nouveau gouverneur de Tokyo, Aoshima Yukio, pendant sa campagne. Mais le développement immobilier sur le bord de la baie de Tokyo mis à l’arrêt par cette annulation a redémarré grâce au choix du CIO d’accorder les Jeux olympiques d’été de 2020 à Tokyo, à l’époque où Ishihara Shintarō était gouverneur.

Ceux de 2008 furent attribués à Pékin, et non à Osaka, qui était aussi candidat. Le site proposé était l’île artificielle de Maishima, dans la ville d’Osaka. Yumeshima, où doit avoir lieu l’Expo d’Osaka 2025, est juste à côté. Sur le plan de la mise en valeur de la baie d’Osaka, Jeux olympiques et expositions universelles fonctionnent de la même façon.

Une vision japonaise en retard sur son époque

Lorsque Sapporo s’est portée candidate à accueillir les Jeux d’hiver de 1972, l’idée était que cela stimulerait l’économie locale et que serait construit à cette occasion une ligne de train à grande vitesse Shinkansen jusque Sapporo. Aujourd’hui, l’inauguration d’une integrated resort, c’est-à-dire un complexe touristique intégré qui comprendra le premier casino sur le sol japonais, est prévue à Yumeshima. La tenue d’événements majeurs est toujours directement liée au commercialisme et au bénéfice du développement urbain.

Mais dans notre époque de la faible croissance due au déclin démographique, il est difficile d’espérer un développement rapide. L’idée même de rendre le Japon plus visible sur la scène internationale en organisant des événements internationaux dans le pays paraît plutôt vide de sens.

Le commercialisme prime aujourd’hui, et les Jeux olympiques, qui sont souvent l’occasion de malversations, ont en grande partie perdu leurs valeurs éducatives et de paix internationale. À l’ère de l’internet, se procurer des informations venues du monde entier est simple, et les expositions universelles exposant les technologies scientifiques et la culture des pays hôtes ont perdu leur aspect innovant.

Jules Boycoff, un politiste américain, qualifie de « capitalisme de célébration » cette tendance à rechercher les profits liés au développement urbain impliquant des sommes gigantesques, qu’engendrent les événements célébrés par les foules. Les Jeux olympiques de Tokyo, qui ont eu lieu en 2021, au moment de la crise sanitaire en sont l’archétype.

Les opposants au réaménagement du quartier de Meiji Jingû Gaien, prévu dans le cadre de la rénovation complète du stade national, ont protesté vivement. L’abattage des arbres dans la zone périphérique du sanctuaire a été massivement critiqué, et les travaux sont aujourd’hui dans l’impasse. Ce réaménagement lancé à l’occasion de la candidature de Tokyo aux Jeux olympiques d’été de 2020 continue, deux ans après leur fin, à faire l’objet de contestations.

Pour que le Japon devienne un pays « petit mais brillant »

Dans un ouvrage intitulé « Vérification : Covid-19 et Jeux olympiques – une succession d’échecs du Japon qui ne sait pas changer » (Kenshô corona to gorin, kawarenu Nihon no shippai rensa), Yoshimi Shun’ya, professeur de sociologie à l’université Kokugakuin, écrit :

« Depuis les années 1990, le Japon du XXIe siècle vit une période de lente contraction. Proclamer la continuation de la “doctrine de la fête” dans un tel contexte n’apporte pas le bonheur. Ce que les gens recherchent plutôt aujourd’hui, dans une économie qui ne croît plus, c’est le moyen de vivre une vie plus satisfaisante. »

L’expression « doctrine de la fête » désigne la politique de développement du Japon d’après-guerre qui dépendait des « fêtes » que sont les Expositions universelles et les Jeux olympiques. Cela rejoint la signification du « capitalisme de célébration ».

« Pour transformer le système sociétal afin de gagner de l’argent à partir de l’extérieur, il faut s’adresser aux pays étrangers. Et il est indispensable que la population partage cette volonté de transformer la ville avec un grand événement de ce genre », souligne le maire de Sapporo. On peut comprendre qu’une métropole régionale japonaise qui vit le déclin démographique table sur la visite de touristes étrangers. Et que les Jeux olympiques en soient perçus comme un déclencheur.

Au milieu des années 1990, un livre intitulé « Le Japon, un pays petit mais au vif éclat » (Chiisakutomo kirari to hikaru kuni, Nihon), écrit par un politicien japonais, Takemura Masayoshi, secrétaire général du Nouveau parti Sakigake, décédé l’an dernier, avait attiré une vive attention. Il y suggérait que le Japon ne devait ni chercher à être une grande puissance économique, ni une grande puissance politique ni une grande puissance militaire, mais avoir pour objectif une forme de développement différent. Voici comment il expliquait des années après, sa décision de quitter le Parti libéral-démocrate pour fonder avec d’autres le Nouveau parti Sakigake : « J’avais envie de refroidir les politiciens et ceux de mes concitoyens qui s’enivraient encore de l’idée que le Japon était une grande puissance, à un moment où le pays continuait à souffrir des troubles engendrés par l’économie de la bulle. J’avais aussi utilisé l’expression “nation shitsujitsu ”, shitsu pour “bonne qualité”, et jitsu signifiant dans ce cas, “réel”, autrement dit, “la volonté de devenir un pays petit mais brillant”. » La citation provint d’un long article daté du 9 avril 2005 du journal Mainichi Shinbun, édition de Shiga.

Ces paroles gardent tout leur pouvoir suggestif aujourd’hui. Que doit faire le Japon dans une époque différente de la période de croissance rapide ? Au lieu de poursuivre des rêves du passé, ne ferait-il pas mieux de chercher à devenir un pays durablement brillant, dans des domaines discrets, et étroitement liés à la vie humaine, comme l’environnement, le bien-être et l’éducation ?

(Photo de titre : affiche de soutien à la candidature de Sapporo pour l’accueil des Jeux olympiques d’hiver de 2030. Mais l’enthousiasme espéré n’a pas été au rendez-vous auprès des habitants. Photo du 11 octobre 2023, à Sapporo. Jiji)

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