Forger une nouvelle alliance anglo-japonaise

Renforcer les liens nippo-britanniques : les jeunes années de l’empereur Naruhito à Oxford

Politique Échanges internationaux International

Okabe Noburu [Profil]

Ces derniers mois, le dispositif de sécurité mobilisé entre le Japon et la Grande Bretagne a été renforcé, que ce soit par le biais de manœuvres conjointes, le développement d’avions ou d’autres activités impliquant le déploiement des Forces d’autodéfense japonaises et des forces armées britanniques. Cette évolution de la situation semble pointer du doigt une résurgence de l’Alliance anglo-japonaise scellée entre les deux pays depuis plus d’un siècle, grâce aux liens forts qui unissent les maisons royales du Japon et de la Grande Bretagne. Le séjour de deux ans à Oxford effectué par l’actuel empereur Naruhito a contribué à approfondir ces relations.

Recherche cavalière pour le bal

Parmi les autres documents des Archives nationales, on peut citer une lettre datée du 11 décembre 1985, envoyée par la division de l’Extrême-Orient du ministère des Affaires étrangères à l’attention de l’ambassade du Japon à Londres. Elle y remercie le prince pour les plateaux en laque et les tasses qu’il a offerts au membre de son personnel. L’un d’entre eux était adressé à Liz Webb, qui avait depuis peu commencé à travailler au bureau du ministère des Affaires étrangères. Elle avait été choisie pour accompagner le prince, qui était seul, à un bal de fin d’étude au début de l’été cette année.

Liz Webb, qui avait déjà fait connaissance avec le prince, a soumis un rapport à ses supérieurs hiérarchiques du bureau du ministère des Affaires étrangères sur le déroulement de la soirée. Toutefois, la teneur de ce document n’a jamais été révélée et le prince ne l’a pas non plus mentionné dans ses mémoires.

Dans un essai publié par le Club national de la presse nationale du Japon, Yamaki Hiroyuki, qui avait été le correspondant de l’agence de presse japonaise Jiji Press à Londres et avait couvert le séjour du prince en Grande Bretagne, a révélé que ce dernier avait en fait eu en tête une cavalière pour le bal, une jeune femme brillante de nationalité norvégienne qui était dans la même classe que lui. Yamaki Hiroyuki ajoute que le prince lui avait envoyé une note l’invitant à l’accompagner, une proposition qu’elle avait acceptée. Il semblait vraiment très heureux.

Au final, ce n’est pas la jeune Norvégienne qui allait devenir la cavalière du prince Hiro. C’est Liz Webb qui l’accompagnera. Elle est d’ailleurs plus tard devenue experte de la Russie au bureau du ministère des Affaires étrangères. C’est notamment elle qui a dirigé les recherches sur l’empoisonnement à l’agent neurotoxique d’un agent du KGB à la retraite à Salisbury en mars 2018.

Lorsque le prince a rencontré pour la première fois Owada Masako (qui deviendra sa future épouse) à la réception de bienvenue pour la visite de la princesse d’Espagne Elena, en octobre 1986, il a tout de suite été charmé par son franc-parler. Comme Liz Webb, Owada Masako était diplomate, et faisait partie du ministère des Affaires étrangères depuis 1987. Peut-être le prince Hiro a-t-il vu un trait de caractère de Liz Webb dans Owada Masako, qui était vive, sérieuse, avec une personnalité bien marquée. La soirée que le prince passa avec Liz Webb a peut-être influencé ses pensées… Au fil des années qu’il avait passées à l’étranger, son idéal féminin avait changé ; la femme idéale pratique le sport, exprime ses opinions et parle des langues étrangères.

Des liens très forts avec le prince Charles

L’Ordre de la Jarretière est également à l’origine des liens forts qui unissent les deux maisons royales. Ordre de chevalerie fondé en 1348 par Édouard III, l’Ordre de la Jarretière est l’un des ordres britanniques les plus élevés. Ceux qui en sont décorés deviennent Chevaliers de la Jarretière.

Cet ordre est décerné à ceux qui ont rendu service à la nation ou à différents chefs d’État, et est restitué au moment de leur décès. Dans les familles royales étrangères, en Europe, les monarques doivent être de confession chrétienne. Ainsi, pour l’heure, huit membres de familles royales, dont la reine du Danemark et les rois de Suède, d’Espagne et des Pays-Bas, se sont vus décerner cet ordre. L’empereur est le seul récipiendaire de cet ordre non chrétien. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, trois empereurs musulmans, chefs des empires ottoman et perse, qui avait rejoint les troupes contre la Russie, ont eux aussi reçu cet ordre. Toutefois, leurs distinctions ont été restituées à la monarchie britannique après leur mort.

Un an après le renouvellement de l’Alliance anglo-japonaise en 1905, qui a consolidé les liens entre le Japon et la Grande Bretagne, l’empereur Mutsuhito (renommé Meiji à titre posthume) s’est vu décerner cet ordre, tout comme ses trois successeurs, les empereurs Yoshihito (Taishô), Hirohito (Shôwa) et Akihito (le père de Naruhito, aujourd’hui retiré). Hirohito s’est vu supprimer son ordre après l’attaque japonaise sur Pearl Harbor en décembre 1941. Son titre de chevalier lui a toutefois été restitué en 1971.

Au cours de son séjour, la famille royale britannique a réservé un accueil chaleureux au prince Hiro, lequel a ressenti une connexion spéciale avec le prince Charles, pourtant de 12 ans son aîné. À Londres, ils sont allés voir un opéra et en Écosse, ils ont partagé le plaisir de la pêche au saumon et ont fait des barbecues. Peu avant le départ du prince Hiro, les membres de la famille royale britannique lui ont organisé un dîner. Le prince Charles a aussi participé à la rédaction de la préface de la traduction anglaise des mémoires du jeune prince Auprès de la Tamise.

Dans son message, le prince Charles a fait l’éloge du livre, soulignant notamment le détail raffiné de ses observations, la subtilité de son sens de l’humour et le sentiment d’espoir avec lequel le prince Hiro aborde toutes les activités qu’il entreprend. Il a salué les relations amicales et chaleureuses qui unissent les deux maisons royales, à l’origine de liens étroits et forts, et a remercié le prince pour tous les souvenirs qu’il avait partagés avec lui à Oxford.

La reine Elizabeth II fut la première à convier officiellement l’empereur Naruhito, ancien prince Hiro, pour une visite d’État, lors de son accession au trône en 2019. Le frère de l’empereur, le prince Fumihito, et son épouse se sont rendus à Londres pour le couronnement du roi Charles en mai 2023. Une visite du monarque au Japon et une visite officielle de l’empereur Naruhito et de l’épouse Masako en Grande Bretagne, où il sera le cinquième empereur japonais à recevoir l’Ordre de la Jarretière, seront tout autant d’occasions de continuer les décennies de relations entre les deux maisons royales et le signal de l’avènement d’une nouvelle ère d’amitié.

(Photo de titre : le futur empereur Naruhito entouré de ses camarades d’études à Oxford, en décembre 1983. Jiji)

Tags

diplomatie politique Grande-Bretagne international Royaume-Uni empereur Naruhito famille impériale

Okabe NoburuArticles de l'auteur

Journaliste. Après des études de sociologie à l’université Rikkyō, il entre au quotidien Sankei Shimbun en 1981 où il est affecté au service société et s’occupe des sujets relatifs à la Préfecture de police et l’Agence fiscale. Il étudie à l’université américaine Duke et au centre de recherche sur l’Asie de l’Est de l’université Columbia et rejoint ensuite le service étranger, devenant notamment directeur du bureau de Moscou et membre du comité de rédaction du siège du journal à Tokyo avant de diriger de décembre 2015 à avril 2019 le bureau de Londres. Aujourd’hui membre du comité éditorial du quotidien, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la diplomatie et le renseignement.

Autres articles de ce dossier