La peine de mort au Japon : entendre les cris des condamnés et des surveillants pénitentiaires

Société

Sakamoto Toshio [Profil]

D’après une enquête d’Amnesty International, 18 pays ont appliqué la peine de mort en 2021. Le Japon en fait partie. Un ancien surveillant pénitentiaire devenu écrivain, qui a assisté à plusieurs exécutions, parle de la manière dont les choses se passent jusqu’au jour de l’exécution des condamnés et des émotions complexes créées par son ancien métier.

Les sentiments complexes des surveillants pénitentiaires

Quel est l’état d’esprit des surveillants pénitentiaires qui sont en contact avec les condamnés à mort ? J’ai posé la question à une de mes connaissances qui exerce ce métier. Voici sa réponse : « Comme il n’y a aucun traitement qui vise à la prise de conscience de ce qu’ils ont fait, je ne sais rien de ce qu’ils ressentent. Je veille à ne pas les irriter, je me conduis avec eux de la même manière que je toucherai un endroit sensible et enflé. En bref, je fais très attention à eux. »

À propos du fait qu’il y a un demi-siècle, les condamnés étaient informés de leur exécution la veille ou l’avant-veille, alors qu’aujourd’hui, c’est le jour même, ce surveillant pénitentiaire m’a dit que même s’il comprenait que cela ne pouvait changer dans l’immédiat, il estimait que si les condamnés étaient traités de manière plus fine, ce serait mieux de leur annoncer la veille.

Aujourd’hui, les condamnés à mort vivent dans un isolement total, dans des cellules individuelles. Ils sont surveillés 24 heures sur 24 par une caméra fixée au plafond, destinée à prévenir évasions et suicides. Cet équipement est considéré comme un dispositif de sécurité essentiel, car il permet de détecter très tôt des problèmes médicaux comme un accident vasculaire cérébral. Mais en 2018, un condamné détenu à la prison de Kumamoto a engagé des poursuites contre l’État. Il réclamait des dommages et intérêts pour l’atteinte à la vie privée que représentait cette surveillance vidéo permanente. Le tribunal de Kumamoto a reconnu que cette pratique était en partie illégale et a condamné l’État à lui payer des dommages et intérêts.

Le surveillant pénitentiaire commente en ces termes ce jugement : « Il faut garantir que les condamnés à mort soient en bon état physique et psychologique afin qu’ils puissent subir leur peine, et pour moi, les caméras sont nécessaires. »

Par le passé, plusieurs actions en justice ont été lancées pour contester la constitutionnalité de la pendaison qui serait un châtiment cruel, mais les tribunaux l’ont toujours jugée conforme à la Loi suprême. Il n’empêche que ce mode d’exécution n’a pas changé depuis 1873. Aux États-Unis, on est passé d’abord à la chaise électrique, puis à la chambre à gaz, et enfin à la mort par injection létale, pratique qui a aussi été adopté par la Thaïlande où les condamnés étaient autrefois fusillés par un peloton d’exécution. Au Japon, on n’a jamais envisagé de changer le mode d’exécution.

Il ne fait aucun doute que la peine de mort par pendaison fait peser sur les surveillants pénitentiaires un fardeau mental extrêmement important. Lorsque j’ai demandé au surveillant pénitentiaire ce qu’il pensait d’un changement du mode d’exécution, en lui parlant de la Thaïlande, il m’a répondu que pour lui, ce serait une bonne chose si le Japon aussi passait à l’injection létale, en ajoutant que la peine de mort par pendaison procurait à lui et à ses collègues l’indicible sentiment de culpabilité d’avoir eux-mêmes tué, une idée qui les marquait au plus profond d’eux-mêmes. Il m’a dit que des années plus tard, il continuait à rêver de ces moments. Tous les surveillants pénitentiaires ne le vivent peut-être pas de cette façon, mais je pense que beaucoup d’entre eux font leur métier en ayant des sentiments du même ordre.

La trappe ouverte de la chambre d'exécution du centre de détention de Tokyo (Reuters)
La trappe ouverte de la chambre d’exécution du centre de détention de Tokyo (Reuters)

Des tueries à l’aveugle ayant pour but la condamnation à mort

Le fait est que la peine de mort ne concerne qu’environ 1 % des jugements rendus au Japon pour des des crimes auxquels elle peut être appliquée (assassinats et autres). Autrement dit, même si 99 % des familles des victimes la souhaitent, la plupart des accusés sont condamnés à des peines de prison. Les situations dans lesquelles les juges peuvent la choisir sont limitées par une jurisprudence qui a créé des critères rigoureux pour son choix. Ces critères, qui concernent notamment le nombre de victimes et la manière dont les crimes ont été commis, sont largement connus. Ce serait la raison pour laquelle se produisent aujourd’hui des tueries à l’aveugle avec plusieurs victimes, dont leurs auteurs auraient pour mobile le désir d’être condamné à mort. (Voir notre article : Pourquoi les « suicides élargis » se produisent-ils au Japon ?)

Aujourd’hui, la peine de mort n’est plus dissuasive, puisqu’elle peut aussi inciter ce genre de crime. Lorsqu’on débat du maintien ou de l’abolition de la peine de mort, l’idée qu’il faut la maintenir est guidé par le résultat des enquêtes d’opinion, ou les sentiments des familles des victimes, mais cela ne correspond pas entièrement à la réalité. La plupart des auteurs d’homicides condamnés à des peines de prison les effectuent en se repentant de leurs fautes, et nombre d’entre eux demandent à compenser les torts qu’ils ont causés aux familles de leurs victimes avec l’argent qu’ils gagnent par leur travail en prison.

Plus de 80 % des réponses faites aux quatre enquêtes quinquennales au sujet de la peine de mort réalisées par le gouvernement depuis 2004 sont favorables à son maintien, mais afin de prévenir de nouvelles tueries par des personnes recherchant la peine de mort, il faut relancer le débat national sur ce sujet, en veillant à ce que les Japonais connaissent cette nouvelle réalité.

Que pensez-vous de la peine de mort ?

(Photo de titre : la salle d’exécution. Derrière la paroi en verre se trouve la pièce où le directeur du centre de détention et le procureur y assistent.)

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Sakamoto ToshioArticles de l'auteur

Écrivain. Né en 1947 dans la préfecture de Kumamoto. Employé comme gardien de prison à la prison d’Osaka en 1967. Depuis lors, il a travaillé pour le ministère de la justice et dans des prisons de tout le pays, jusqu’à sa retraite en 1994 en tant que chef du département des affaires générales du centre de détention de Hiroshima. Auteur de nombreux ouvrages sur les prisons et les détenus.

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