Les liens entre la secte Moon et la droite japonaise : comment en finir avec la controverse ?

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Makihara Izuru [Profil]

Depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Abe Shinzô, les liens qui unissent le Parti libéral-démocrate à la secte Moon sont au cœur d’une intense controverse. L’auteur de cet article en explore les origines et les ramifications et appelle le parti au pouvoir à prendre des mesures fortes contre ce culte religieux, proche du monde politique japonais depuis la Guerre froide.

Le défi des groupes religieux organisés

À côté même des répercussions politiques, la controverse met les nouvelles sectes et les groupes religieux traditionnels au pied du mur, il leur faut repenser la nature et la portée de leurs activités dans la société japonaise. L’important est de mettre un frein au prosélytisme et un terme à l’extorsion de fonds tout en protégeant la liberté de culte. Il convient aussi de se demander s’il est convenable que les organisations religieuses bénéficient d’allégements fiscaux ou d’autres traitements spéciaux.

Dans le cas où la dissolution de la secte Moon serait ordonnée, il faudrait également réfléchir à la réinsertion sociale des membres de la secte. Souvenons-nous à cet égard de la haine et de l’ostracisme auxquels ont été confrontés les anciens adeptes de la secte Aum. On souhaite que la secte Moon parvienne à se réconcilier avec la société japonaise, qu’elle s’abstienne désormais de toute activité politique et se consacre à son culte. Cela contribuerait à la diffusion dans la société nippone d’un esprit de tolérance religieuse.

La religion est une question sensible qui touche de près à la conception individuelle de la vie et de la mort. D’autres groupes religieux japonais ont publié des déclarations se positionnant dans chacun des camps, et il est peu probable que la polémique prenne fin de sitôt. À mesure que le débat se poursuit, d’autres questions ne manqueront pas d’émerger.

Pas de fin en vue

Au vu de ces différents facteurs, le PLD se trompe lourdement s’il pense que la tempête va rapidement s’apaiser.

Si le gouvernement ordonne la dissolution, la solution du problème se retrouvera entre les mains du système judiciaire. Si l’on en juge par les cas précédents, il faudra au moins six mois à la Cour suprême pour rendre sa décision. Et même si Yamagami a été jugé légalement responsable de ses actes, la procédure pénale — au tribunal de première instance à la Cour suprême — pourrait durer de longues années, et elle sera sans aucun doute très médiatisée.

Il y a aussi la question de la loi promulguée le 10 décembre 2022 qui est venue réglementer les demandes de dons par les groupes religieux et vise à protéger les victimes de pratiques abusives. La loi a été rédigée et adoptée à la hâte sous l’intense pression des partis d’opposition. La formulation des notions juridiques clés ne manquera pas de s’avérer problématique. Il n’est pas aisé, par exemple, de voir si elle permettra de soulager les victimes collatérales dont les ménages ont été appauvris par la secte. Mais il est presque certain que la loi ouvrira la porte à une série de procès qui toucheront tant des adeptes de la secte, que d’anciens membres et leurs parents des parents, et suscitera des attentes pour une législation plus forte.

Il faudra des années pour résoudre les problèmes soulevés par la controverse de la secte Moon, notamment pour gérer l’héritage négatif du conservatisme japonais hérité de la Guerre froide et redéfinir la place à donner aux cultes dans la vie japonaise. Mais ce processus a, d’ores et déjà, un impact majeur sur l’image et la vie politique dans le Japon du XXIe siècle.

(Photo de titre : s’exprimant sous le pseudonyme d’Ogawa Sayuri, une enfant d’adeptes de la secte Moon raconte avec émotion les difficultés qu’elle a connues en grandissant dans cet environnement particulier. Le 7 octobre 2022 en conférence de presse à Tokyo. Jiji)

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Makihara IzuruArticles de l'auteur

Professeur au Centre de recherche en sciences et technologies avancées de l’université de Tokyo, ses recherches portent sur les systèmes d’administration publique. Diplômé en droit de l’Université de Tokyo en 1990, il commence sa carrière à la faculté de droit de l’Université du Tôhoku. Il est notamment l’auteur de « L’alternance politique, et après ? 20 ans de réforme politique »(Seiken kôtai o koete : Seiji kaikaku no 20-nen).

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