Les liens entre la secte Moon et la droite japonaise : comment en finir avec la controverse ?
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Pourquoi cette indignation ?
Suite à l’assassinat de l’ancien Premier ministre Abe Shinzô le 8 juillet 2022, les liens unissant le Parti libéral-démocrate (PLD, au pouvoir) à la secte Moon (aussi appelée Église de l’Unification) ont fait l’objet d’une enquête approfondie. Arrêté pour le meurtre, Yamagami Tetsuya était affilié par sa mère à la secte qui a extorqué à la famille du suspect des millions de yens de dons, la conduisant à la ruine. Son ressentiment envers la secte Moon s’est reporté sur la personne de Abe, dont il avait des raisons de penser qu’il était étroitement lié au groupe. Si cette affaire embarrasse le PLD et le gouvernement du Premier ministre Kishida Fumio, elle soulève plus largement la question du statut des organisations religieuses au Japon.
Peu après l’assassinat de l’ancien dirigeant japonais, les dossiers traitant des liens des membres du PLD avec la secte Moon ont refait surface et la controverse s’est intensifiée quand Kishida Fumio a annoncé son intention de donner des funérailles nationales à Abe Shinzô. La réaction de l’opinion a été immédiate, elle s’est inquiétée (à plus de 70 % dans la plupart des sondages) que le PLD n’en fasse pas assez pour régler la question de la secte Moon, entraînant à sa suite une forte baisse de la cote de popularité de l’administration Kishida.
Avant de poursuivre, demandons-nous pourquoi la relation du PLD à la secte Moon déplait tant à l’opinion publique japonaise. Relevons deux raisons fondamentales.
La première est que la secte extorque des fonds, et ce depuis les années 1980. Des plaintes et rapports relatent que des adeptes ont fait l’objet d’intimidation et de contraintes afin qu’ils fassent à ce culte des dons aux montants exorbitants, réduisant dans certains cas leurs familles à la pauvreté. Ces révélations ont suscité un fort élan de sympathie à l’endroit même de l’assassin présumé d’Abe, Yamagami étant perçu comme une victime collatérale.
La deuxième raison est liée aux doctrines vaguement basées sur la tradition chrétienne. La secte Moon rend Eve responsable de la déchéance de l’humanité, or elle identifie le Japon à Eve quand la Corée est associée à Adam et en conclut qu’il est juste et approprié que le Japon serve la Corée. Une doxa anti japonaise qui reste naturellement en travers de la gorge de nombreux citoyens de l’Archipel nippon.
Historiquement, la relation du PLD à la secte Moon remonte à l’époque de la Guerre froide, une période où le groupe était très proche de la frange anticommuniste et droitiste du parti. L’aile conservatrice du PLD, qui a favorisé la montée du nationalisme japonais, s’est ainsi volontairement alliée à une organisation fondamentalement anti japonaise. Il est assez naturel que l’opinion publique demande des comptes au parti au pouvoir.
Une réponse lente et inadaptée
Ni le PLD ni le cabinet Kishida n’ont semblé comprendre à quel point la question était délicate. Ils ont cru que le tumulte était passager et que la secte Moon pouvait être considérée comme un collectif de soutien comme un autre. Nouer des alliances électorales avec de tels collectifs — qu’ils soient religieux ou non — étant légal, les instances du parti n’ont pas réalisé la gravité du problème. Un fossé béant s’est creusé entre leur perception de la situation à la réception de l’opinion publique.
Face aux accusations toujours plus nombreuses, le PLD a réagi. Un sondage a été mené auprès de ses députés élus à la Diète. Mais les résultats publiés le 8 septembre 2022 ainsi que l’enquête dans son ensemble ont été critiqués, jugés superficiels et peu fiables. En réaction, le parti propose seulement d’aménager son récent code de conduite. Pire encore, la liste des députés du PLD en liaison avec la secte Moon a continué de s’allonger, et ce même après la publication des résultats du sondage. Certes le PLD a officiellement demandé à ses politiciens de terrain de révéler leurs liens et de couper les ponts, mais aucun autre effort pour mesurer l’étendue du problème avant les élections locales unifiées prévues pour avril 2023 ne semble à l’ordre du jour.
Le 17 octobre, Kishida tente de stopper l’hémorragie. Pour freiner la fuite de ses soutiens publics, il annonce une enquête gouvernementale visant la secte Moon et sa stratégie de collecte de fonds. En vertu de la loi sur les corporations religieuses, le ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie (MEXT) peut adresser des questions à une organisation religieuse soupçonnée d’abus et, en fonction des résultats obtenus, demander une ordonnance du tribunal pour dissoudre le groupement religieux sectaire. Ainsi, la controverse a pris un nouveau visage, pour déboucher sur une question de gouvernance d’un parti politique. Au départ, il s’agissait de voir si le PLD allait rompre de manière décisive avec la secte Moon, mais le problème s’est élargi à la question fondamentale des relations de la société japonaise avec la secte Moon en particulier, ou plus généralement aux cultes religieux.
Mais cette réaction pourtant décisive s’attaque-t-elle vraiment à la racine du problème ? Même si la secte Moon était officiellement dissoute, la communauté des croyants demeurerait. Or à la différence des deux groupes précédemment dissous en vertu de cette loi (citons le cas de la secte Aum), la secte Moon dispose elle d’un vaste réseau mondial qui sera sans doute prompt à se mobiliser pour soutenir la communauté japonaise.
Pour de sévères sanctions à l’encontre des politiciens
Si des mesures fortes semblent nécessaires, elles devraient avant tout s’attacher à apporter des réponses à la forte défiance de l’opinion qui voudrait en savoir plus sur les liens unissant le PLD à la secte Moon. Une première étape consisterait à mener une enquête approfondie sur les politiciens du PLD tant au niveau national que local et que dans un second temps, le monde politique coupe les ponts avec l’organisation.
Donc dans un premier temps, il faut que l’enquête soit détaillée, approfondie puis que les résultats soient rendus publics et expliqués dans leur intégralité. Elle ne doit pas se limiter aux politiciens en exercice ; au contraire, il faut se concentrer sur les relations entre la secte Moon et l’ancien Premier ministre Abe. Le PLD et le gouvernement doivent mettre fin à la défiance de l’opinion qui soupçonne les soutiens de la secte d’avoir contribué à maintenir Abe au pouvoir pendant une période record de sept ans et huit mois.
Ensuite, les partis politiques doivent s’engager à exclure tout député ou membre d’assemblées locales dont on découvrirait qu’il est en lien avec la secte Moon. Cette étape est cruciale si nous voulons que nos élus regagnent la confiance de la population. Cette organisation est fortement impliquée dans la politique japonaise depuis des décennies, il est certain qu’elle se remettra à courtiser les politiciens une fois éteint l’embrasement médiatique...
Et ce ne serait pas la première fois que de telles sanctions seraient prises. Suite au scandale de corruption « Scandal Recruit » de 1988-89, l’ancien Premier ministre Nakasone Yasuhiro a dû quitter le PLD, des artistes japonais ont été radiés du monde du show-business lorsqu’on a découvert qu’ils étaient liés aux « forces antisociales », c’est-à-dire au syndicat du crime. La secte Moon, avec ses extorsions de fonds, doit également être traitée en force antisociale. Il est possible que certains politiciens n’aient pas réalisé à quel type d’organisation ils avaient affaire, mais ceux qui persistent maintenant que la vérité a été révélée devraient être contraints de quitter leur parti, voire leurs fonctions.
Malheureusement, la direction du PLD semble croire que la controverse s’essoufflera d’elle-même. Cette attitude est apparue clairement à l’occasion de la nomination de Yamagiwa Daishirô. En effet, contraint à la démission le 24 octobre dernier pour avoir caché ses liens étroits avec la secte Moon, l’ex-ministre de la Revitalisation économique a été quelque jours plus tard placé à la tête du groupe de travail Covid-19 du parti.
Un coup dur pour les conservateurs
À l’époque de la Guerre froide, le grand-père d’Abe Shinzô, le Premier ministre Kishi Nobusuke (en poste de 1957 à 1960), avait tissé un fort lien idéologique avec la secte Moon, virulemment anticommuniste. La « Fédération internationale pour la victoire sur le communisme », branche politique de la secte créée en 1968, a joué un rôle important dans la politique de la Guerre froide, contribuant à diffuser l’idéologie anticommuniste et apportant son soutien aux politiques conservatrices. Force clé, elle a joué un rôle décisif dans les années 1980, notamment à l’occasion de l’adoption de la Loi sur la surveillance et le contre-espionnage.
C’est en 2015, sous l’administration Abe, que le gouvernement accède à la demande de l’organisation. La secte est rebaptisée et devient officiellement la « Fédération familiale pour la paix et l’unification du monde » (une demande précédente avait été refusée au motif qu’un changement de nom pouvait servir à masquer l’implication antérieure de la secte dans des activités illégales ou controversées). Selon les médias, Abe Shinzô aurait également joué un rôle central dans les efforts faits pour conforter l’assise électorale de certains candidats : les plus faibles du PLD étaient présentés à des représentants de la secte. Ces faits, et d’autres encore, risquent d’alimenter les dissensions internes au PLD, certains membres jouant la transparence souhaitent divulguer tous les liens avec la secte pour les rompre quand d’autres préfèrent maintenir la relation dans l’ombre et entretenir le flou.
Les médias conservateurs alliés à l’aile droite du PLD ont été remarquablement silencieux à la suite de ces révélations. Certes ils étaient désireux de défendre Abe et les conservateurs, mais ils pouvaient difficilement fermer les yeux sur les liens du PLD avec une secte dont les doctrines sont si clairement contraires au patriotisme japonais. En refusant de prendre position sur cette question, ils risquent de s’aliéner l’opinion publique.
Plus la controverse entre le PLD et la secte Moon durera, plus elle portera préjudice à la cause conservatrice et finira par éroder la base du PLD. Ce dont ce parti et la politique japonaise ont besoin à l’avenir, c’est de reconstruire une idéologie et un camp conservateurs qui leur permette de regagner la confiance des Japonais.
Le défi des groupes religieux organisés
À côté même des répercussions politiques, la controverse met les nouvelles sectes et les groupes religieux traditionnels au pied du mur, il leur faut repenser la nature et la portée de leurs activités dans la société japonaise. L’important est de mettre un frein au prosélytisme et un terme à l’extorsion de fonds tout en protégeant la liberté de culte. Il convient aussi de se demander s’il est convenable que les organisations religieuses bénéficient d’allégements fiscaux ou d’autres traitements spéciaux.
Dans le cas où la dissolution de la secte Moon serait ordonnée, il faudrait également réfléchir à la réinsertion sociale des membres de la secte. Souvenons-nous à cet égard de la haine et de l’ostracisme auxquels ont été confrontés les anciens adeptes de la secte Aum. On souhaite que la secte Moon parvienne à se réconcilier avec la société japonaise, qu’elle s’abstienne désormais de toute activité politique et se consacre à son culte. Cela contribuerait à la diffusion dans la société nippone d’un esprit de tolérance religieuse.
La religion est une question sensible qui touche de près à la conception individuelle de la vie et de la mort. D’autres groupes religieux japonais ont publié des déclarations se positionnant dans chacun des camps, et il est peu probable que la polémique prenne fin de sitôt. À mesure que le débat se poursuit, d’autres questions ne manqueront pas d’émerger.
Pas de fin en vue
Au vu de ces différents facteurs, le PLD se trompe lourdement s’il pense que la tempête va rapidement s’apaiser.
Si le gouvernement ordonne la dissolution, la solution du problème se retrouvera entre les mains du système judiciaire. Si l’on en juge par les cas précédents, il faudra au moins six mois à la Cour suprême pour rendre sa décision. Et même si Yamagami a été jugé légalement responsable de ses actes, la procédure pénale — au tribunal de première instance à la Cour suprême — pourrait durer de longues années, et elle sera sans aucun doute très médiatisée.
Il y a aussi la question de la loi promulguée le 10 décembre 2022 qui est venue réglementer les demandes de dons par les groupes religieux et vise à protéger les victimes de pratiques abusives. La loi a été rédigée et adoptée à la hâte sous l’intense pression des partis d’opposition. La formulation des notions juridiques clés ne manquera pas de s’avérer problématique. Il n’est pas aisé, par exemple, de voir si elle permettra de soulager les victimes collatérales dont les ménages ont été appauvris par la secte. Mais il est presque certain que la loi ouvrira la porte à une série de procès qui toucheront tant des adeptes de la secte, que d’anciens membres et leurs parents des parents, et suscitera des attentes pour une législation plus forte.
Il faudra des années pour résoudre les problèmes soulevés par la controverse de la secte Moon, notamment pour gérer l’héritage négatif du conservatisme japonais hérité de la Guerre froide et redéfinir la place à donner aux cultes dans la vie japonaise. Mais ce processus a, d’ores et déjà, un impact majeur sur l’image et la vie politique dans le Japon du XXIe siècle.
(Photo de titre : s’exprimant sous le pseudonyme d’Ogawa Sayuri, une enfant d’adeptes de la secte Moon raconte avec émotion les difficultés qu’elle a connues en grandissant dans cet environnement particulier. Le 7 octobre 2022 en conférence de presse à Tokyo. Jiji)