Un journaliste japonais dévoile l’imposture de Vladimir Poutine

Politique International

Okabe Noburu [Profil]

Si le président russe a annoncé l’annexion de quatre régions de l’est et du sud de l’Ukraine, ce pays progresse dans la reprise de ses territoires, et la situation sur le terrain devient de plus en plus confuse. Vladimir Poutine a lancé cette attaque en annonçant qu’elle était destinée à empêcher l’expansion de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) vers l’Est, mais nous allons prouver l’imposture du dirigeant russe en démêlant les déclarations faites par feu Edouard Chevardnadze, l’ancien président de la Géorgie qui fut ministre des Affaires étrangères de l’URSS, dans une interview accordée autrefois à un journaliste japonais.

La Russie approuvait un élargissement à l’Est

La Russie avait au demeurant accepté l’expansion de l’OTAN à l’Est en échange de son entrée dans le G8.

Lors du sommet américano-russe qui s’est tenu en mars 1997 à Helsinki, la capitale finlandaise, le président Clinton avait promis qu’il soutiendrait l’adhésion de la Russie et à l’OMC et son entrée au G8. En échange, le président Eltsine avait accepté l’adhésion à l’OTAN de la Pologne, de la Tchéquie et de la Hongrie.

La même année, le président Eltsine avait conclu avec les pays de l’OTAN l’Acte fondateur OTAN-Russie, par lequel les deux parties s’entendaient pour ne pas se considérer comme ennemies, et les trois pays cités plus haut entraient dans l’OTAN. La Russie avait reconnu de facto l’élargissement à l’Est de cette organisation. Accorder à la Russie le statut de grande puissance en l’intégrant dans le G8 avait pour but de restaurer la fierté du pays blessé d’être le perdant de la Guerre froide.

Le Japon avait joué un rôle dans cette réconciliation. Avant le sommet de Helsinki, le président Clinton avait téléphoné à Hashimoto Ryūtarō, alors Premier ministre, pour lui demander sa coopération. Le Japon avait exprimé de la sympathie pour la frustration de la Russie qui avait accepté cet élargissement, et les relations entre les deux pays progressaient. Lors du sommet Russie-Japon de Krasnoïarsk, le président Eltsine avait exprimé son désir de résoudre la question des Territoires du Nord, et les deux parties avaient convenu de tout faire pour conclure un traité de paix d’ici à l’an 2000, mais ce retour au Japon n’a pas pu se réaliser.

M. Poutine qui a succédé à M. Eltsine au poste de président était à son entrée en fonction bien disposé vis-à-vis de la partie occidentale. Lors d’une visite à Londres en 2000, il avait déclaré qu’une adhésion de la Russie à l’OTAN n’était pas exclue si elle se faisait entre partenaires égaux. La Russie avait offert son plein support à la lutte des États-Unis contre le terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001.

En 2002, il s’était encore rapproché de l’OTAN en signant la déclaration de Rome intitulée : « Les relations OTAN-Russie : une qualité nouvelle », en lien avec la création du Conseil OTAN-Russie. Sur la base de cette déclaration, sept nouveaux pays, dont les trois pays baltes, ont rejoint l’OTAN. Vladimir Poutine lui-même a donc signé à deux reprises des documents indiquant que l’OTAN et la Russie n’étaient pas des ennemis. De plus, le fait qu’il ait laissé entendre que la Russie n’excluait pas de devenir un jour membre de l’OTAN ne concorde pas avec la raison donnée pour justifier l’invasion russe de l’Ukraine, à savoir l’élargissement à l’Est de l’OTAN qu’il considère comme un ennemi.

Lors de la conférence sur la sécurité de Munich en 2007, M. Poutine était inquiet de l’expansion de l’OTAN, et en 2008, lorsque promesse fut faite à la Géorgie et à l’Ukraine qu’elles rejoindraient à l’avenir l’OTAN, il a fait volte-face et a parlé d’une menace pour la Russie. En août de la même année, la Russie a attaqué la Géorgie avant d’annexer en 2014 la Crimée. La Russie a alors perdu sa place au G8.

La Russie veut empêcher l’infiltration de la démocratie

Il y a des gens qui critiquent l’expansion de l’OTAN et expriment de la compréhension pour les arguments de M. Poutine. George Kennan, ancien ambassadeur des États-Unis en URSS, qui avait proposé une politique de containment vis-à-vis de l’Union soviétique avait publié en février 1997 une tribune dans un journal américain, dans laquelle il qualifiait d’erreur l’élargissement de l’OTAN à l’Est et s’y opposait. Un autre universitaire américain, John Mearsheimer, de l’université de Chicago, critique « l’élargissement inconsidéré de l’OTAN qui a excité la Russie » ; selon lui « les États-Unis portent la première responsabilité de conflit entre la Russie et l’Ukraine », et il souligne l’existence à l’arrière-plan du complexe militaro-industriel.

Comme M. Chevardnadze, j’ai conscience que les pays voisins de la Russie visent à sortir de l’orbite russe, à prospérer grâce à l’économie de marché, et à devenir membres de l’Occident. De plus, ces pays indépendants et souverains ont le droit de choisir librement avec qui ils veulent s’allier.

La Russie qui tente de modifier unilatéralement les frontières par la force armée ne les attire pas du tout comme une nation avec laquelle ils veulent être liés. De plus, justifier une invasion au prétexte de la « menace » que constitue l’OTAN, alors même qu’elle l’avait approuvée, dépasse toutes les limites de l’acceptable.

La véritable raison de l’hostilité de M. Poutine est probablement la démocratie en Ukraine. Si la nation ukrainienne jouit de la liberté en florissant économiquement, cela ne pourra qu’ébranler le régime du Kremlin et faire douter le peuple russe de ses dirigeants. Il craint que le choix de la liberté et de la démocratie du peuple ukrainien, un peuple slave comme le peuple russe, ait des répercussions en Russie.

Il ne faut pas se laisser mener en bateau par les sophismes de M. Poutine qui continue à commettre des crimes de guerre sous le prétexte de la menace de l’élargissement de l’OTAN. Les Japonais qui connaissent mieux que personne le vrai caractère de la Russie qui occupe illégalement les quatre îles du Nord qu’elle a envahies il a de cela 77 ans, en rompant le pacte nippo-soviétique, doivent maintenant s’en rendre à nouveau pleinement compte.

(Photo de titre : le président géorgien Edouard Chevardnadze [à gauche] et le président russe Vladimir Poutine lors de leur participation au sommet informel de la CEI à Almaty au Kazakhstan en mars 2002)

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Okabe NoburuArticles de l'auteur

Journaliste. Après des études de sociologie à l’université Rikkyō, il entre au quotidien Sankei Shimbun en 1981 où il est affecté au service société et s’occupe des sujets relatifs à la Préfecture de police et l’Agence fiscale. Il étudie à l’université américaine Duke et au centre de recherche sur l’Asie de l’Est de l’université Columbia et rejoint ensuite le service étranger, devenant notamment directeur du bureau de Moscou et membre du comité de rédaction du siège du journal à Tokyo avant de diriger de décembre 2015 à avril 2019 le bureau de Londres. Aujourd’hui membre du comité éditorial du quotidien, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la diplomatie et le renseignement.

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