
La secte Moon et ses victimes japonaises : la nécessité d’une éducation religieuse
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Après « l’échec » de Jésus, un second Messie autoproclamé
La doctrine de l’Église de l’unification explique qu’Ève a commis l’adultère avec l’ange déchu « Ruchel » [prononciation coréenne de Lucifer] qui deviendra ensuite Satan, et que cette mauvaise lignée qui a tourné le dos à Dieu s’est étendue à l’humanité entière en passant par Adam. Dieu n’a pas pu réaliser son plan, qui était de laisser une lignée innocente issue des enfants que Jésus aurait eus avec une femme, et il a envoyé un second Messie, Sun Myung Moon, le fondateur de l’Église de l’unification.
Selon cette doctrine, la Corée est la « nation Adam », le Japon, la « nation Ève ». Il est donc naturel qu’Ève qui a entraîné Adam la chute se dévoue à la Corée. En bénissant des cérémonies de mariages collectifs, le second Messie permettait l’union de croyants compatibles, qui créeraient ensuite des familles centrées sur Dieu et donneraient naissance à des enfants dépourvu du péché originel. Environ 7 000 Japonaises vivent en Corée aujourd’hui après s’être mariées de cette façon.
L’image de l’Église de l’unification en Corée est surtout celle d’un zaibatsu, c’est-à-dire un conglomérat d’entreprises. La mission assignée à la branche japonaise est de collecter des fonds et de les envoyer en Corée. Aux États-Unis, elle possède le quotidien conservateur The Washington Times et se concentre sur des activités de lobbying. Elle y a aussi d’importantes activités commerciales, à commencer par la société « True World Foods », un grossiste qui fournit en poisson des restaurants de sushis dans tout le pays.
« Pourquoi cette religion qui a une doctrine anti-japonaise attire-t-elle tant de croyants au Japon ? Les journalistes étrangers me posent souvent cette question. Un des facteurs qui l’explique est le manque de connaissance des Japonais par rapport à la religion. C’est pour cela qu’ils ne trouvent pas bizarre une doctrine qui parle d’un second Messie ou de mariages collectifs. Ils acceptent l’idée qu’à moins d’accumuler de bonnes actions sous la forme de contributions financières, leurs ancêtres continueront à souffrir en enfer et leur propre salut ne sera pas assuré. S’ils avaient plus de connaissances sur le christianisme majoritaire ou le culte des ancêtres traditionnel du Japon, ils n’adhéreraient pas cette religion. »
La secte Aum existe encore...
La séparation des religions et de l’État ainsi que la liberté de culte qu’établit la Constitution japonaise ont leur origine dans une réflexion sur le shintoïsme d’État qui existait avant-guerre. Enseigner une religion spécifique est interdit dans l’enseignement public, mais les élèves n’ont quasiment aucune occasion d’acquérir des connaissances sur les religions dans le cadre scolaire.
« Il faut enseigner dès l’école primaire une connaissance élémentaire des religions, qui porte sur les diverses religions qui existent dans le monde. Cela créera dans la société un socle de connaissances sur les religions et leurs grands concepts, qui permettra à tous de se méfier des doctrines trop éloignées de ces fondements. À moins d’avoir ces connaissances, il est impossible de trouver bizarre quelqu’un qui vient vous présenter des thèses infondées et vous demande de l’argent. Sans elles, chacun est sans défense en de telles occasions. »
Le professeur Sakurai reçoit depuis des années des étudiants et des parents tourmentés par les sectes.
« Conseiller ces personnes ne suffit pas. Il y a par exemple à Sapporo où se trouve le campus de l’Université de Hokkaidô deux dojos d’Aleph, le nouveau nom de la secte Aum. Aleph adhère toujours aux idées de son ancien gourou Asahara Shôkô, et continue à démarcher les étudiants dans tout le pays. Le problème Aum n’est pas résolu. »
Sakurai explique que le démarchage religieux passe souvent aujourd’hui par les réseaux sociaux, comme le fait Aleph. « Au début, les démarcheurs ne rencontrent pas les personnes et ne disent rien de leur véritable identité. Lorsqu’ils pensent qu’une personne peut être convertie, ils organisent une rencontre dans un café ou ailleurs, ou l’invitent à une quelconque manifestation ou cercle d’études. Ils prennent leur temps pour attirer ces personnes graduellement. Il est à craindre que des étudiants qui ont souffert de l’impossibilité de se faire des amis pendant la crise sanitaire acceptent ces invitations sans se douter de rien. »
Assurer la transparence des informations en exigeant une ordonnance de dissolution
Le principe de séparation entre l’État et les religions interdit à l’État d’avoir une relation spéciale avec une religion spécifique, mais n’interdit pas que les groupes religieux participent à la politique ou aux élections. Ils sont nombreux, à commencer par la Sôka Gakkai, à le faire.
« Dans le cas de la secte Moon, le problème est que les politiciens ont caché leurs liens avec elle. S’ils avaient révélé qu’ils recevaient de manière organisée une aide d’une organisation religieuse qui nuisait aux citoyens en pratiquant des “ventes spirituelles” ou en demandant des dons d’un montant élevé, ils auraient reconnu qu’ils plaçaient leur propre intérêt au-dessus de celui du peuple ou de la nation. »
Maintenant que le problème est apparu au grand jour, que peut faire l’exécutif ?
« La mesure la plus concrète est de prendre une ordonnance de dissolution telle que la prévoit la loi sur les personnes morales religieuses. Il faut que le conseil consultatif sur les personnes morales religieuses auprès du ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et des Technologies (MEXT) débatte de ce sujet. Le résultat de ce débat au sein de cet organisme qui réunit des juristes, des spécialistes des religions et des représentants des organisations religieuses, doit être présenté à la nation. »
La première fois qu’une ordonnance de dissolution a été prise remonte en 1995. Elle concernait la secte Aum. Il n’y a eu qu’une autre, en 2002 pour le temple Myôkaku-ji dont les pratiques de « ventes spirituelles » posaient problème. Étant donné qu’aucun responsable de la secte Moon n’a été arrêté ou qu’aucune action en justice contre elle n’existe, nombreux sont ceux au sein du gouvernement qui pensent que demander une telle ordonnance serait difficile, mais le gouvernement est aussi de plus en plus critiqué pour l’insuffisance de sa réponse au problème. Le 17 octobre, le Premier ministre Kishida a annoncé l’ouverture d’une enquête conformément à la loi sur les personnes morales religieuses. Cette enquête pourrait ouvrir la voie à une demande d’ordonnance de dissolution.
« Faire ainsi contraindrait l’organisation religieuse à fournir des informations pour réfuter les accusations et permettrait la divulgation d’informations sur son fonctionnement. Si elle mérite une demande de dissolution en tant que personne morale religieuse, très rares seront les politiciens qui voudront avoir des liens avec elle. C’est une façon de faire extrêmement efficace et commode pour rectifier les relations entre la politique et la religion. Le public s’en méfiera aussi, et cela aura un grand impact. »
Notons par ailleurs que le 24 octobre, le ministre de la Révitalisation économique Yamagiwa Daishiro a donné sa démission après avoir été l’objet de nombreuses critiques concernant ses relations avec l’Église de l’Unification...
Mais même si elle devait perdre sa qualité de personne morale religieuse, elle pourrait continuer à avoir des activités en tant qu’organisation religieuse.
« Comme les organisations qui lui sont affiliées continueront à exister comme ONG, elle pourra se restructurer et continuer à mener des activités en changeant de forme. Il y a une limite à ce que la régulation juridique peut accomplir. C’est exactement pour cela qu’il faut améliorer la connaissance du fait religieux pour permettre aux individus de mieux se protéger. »
(Texte et interview d’Itakura Kimie, de Nippon.com. Photo de titre : les fidèles de l’Église de l’unification manifestent contre les « persécutions » dont ils feraient l’objet, le 18 août 2022 à Séoul. AFP-Jiji)