
La mort et la politique : histoire des funérailles nationales au Japon
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Les cérémonies à la mémoire des dirigeants de l’ère Meiji
Les funérailles nationales sont financées par l’État en tant que cérémonies destinées à pleurer la perte d’une personne ayant accompli de grandes choses au service de la nation. Bien des gens considèrent qu’elles constituent le plus grand honneur qu’on puisse recevoir.
C’est en 1868, à la Restauration de Meiji, que le Japon a fait un pas de géant dans la modernité. Une décennie plus tard, en 1878, Ôkubo Toshimichi, l’un des plus puissants dirigeants de l’ère Meiji, a été assassiné par un ancien samuraï mécontent. L’année précédente, le gouvernement de Meiji s’était trouvé confronté à la Rébellion de Satsuma, une insurrection menée par Saigô Takamori, un acteur clef de la Restauration. Le gouvernement a réussi à en venir à bout, mais s’est retrouvé gravement fragilisé.
Itô Hirobumi — qui allait devenir Premier ministre du Japon — et d’autres ont voulu organiser à grands frais de grandioses funérailles pour Ôkubo, afin de faire passer le message que l’empereur et de nombreux citoyens pleuraient sa mort, et de réprimer par la même occasion les tendances subversives. Quelque 1 200 personnes se sont rassemblées à la résidence d’Ôkubo pour la cérémonie funéraire, et cet événement a servi de prototype pour les funérailles nationales qui allaient suivre. Depuis lors, les personnages puissants du moment en ont fait un outil au service de leurs ambitions politiques.
Les premières funérailles nationales officielles ont eu lieu en 1883 en hommage à Iwakura Tomomi, un autre grand personnage de la Restauration de Meiji. Le statut de cérémonie nationale leur a été attribué par le grand ministre d’État, qui était alors le plus haut dignitaire du gouvernement de Meiji. D’autres funérailles nationales ont eu lieu par la suite, à la mémoire de personnages importants de la puissante faction des dirigeants des anciennes provinces de Satsuma (aujourd’hui préfecture de Kagoshima) et Chôshû (aujourd’hui préfecture de Yamaguchi).
En 1909, Itô Hirobumi a été assassiné par balles dans la gare de Harbin, au nord de la Chine, et des obsèques nationales ont été célébrées à sa mémoire. Une foule immense a envahi le parc Hibiya, à Tokyo, pour pleurer la perte du dirigeant de Meiji mort à l’étranger. Puis en 1912, l’empereur Meiji est décédé et a fait l’objet des premières funérailles nationales, selon les normes modernes, dédiées à un empereur japonais.
La législation funéraire
Quand l’empereur Taishô, le successeur de l’empereur Meiji, est tombé gravement malade, le gouvernement s’est empressé de promulguer des textes de loi sur les funérailles à la mémoire des empereurs et des membres de la famille impériale. En octobre 1926, une loi sur les funérailles nationales est entrée en vigueur, deux mois seulement avant la mort du souverain.
La loi ne contenait que cinq articles. Le premier stipulait que des funérailles nationales seraient accordées aux empereurs, impératrices et anciennes impératrices. Le troisième déclarait que ces funérailles pouvaient être attribuées pour services émérites reconnus par l’empereur. Mais le cinquième autorisait le Premier ministre à décréter des funérailles nationales avec l’accord de l’empereur, ce qui voulait dire que le gouvernement de l’époque pouvait bel et bien prendre des décisions en la matière.
Des héros de la marine
Dans l’ambiance militariste des années 1930 et 1940, deux funérailles nationales ont été consacrées à des héros de la marine japonaise. Les premières ont eu lieu en 1934, en hommage à Tôgô Heihachirô, qui avait joué un rôle déterminant en tant qu’amiral de la Flotte combinée du Japon pendant la Guerre russo-japonaise. Les secondes se sont déroulées en 1943, en l’honneur de l’amiral Yamamoto Isoroku, qui avait supervisé l’attaque surprise de 1941 sur Pearl Harbor, à l’origine de l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale. Son avion avait été abattu au-dessus des îles Salomon et sa mort gardée secrète pendant environ un mois. Mais en fin de compte ses funérailles nationales ont été mises à contribution pour renforcer le moral de la population en temps de guerre. Yamamoto a été la première personne n’appartenant ni à la famille impériale ni à l’aristocratie (Tôgô avait été élevé au rang de pair) à recevoir des funérailles nationales.
Le cortège des funérailles nationales de l’amiral Yamamoto Isoroku traverse le parc Hibiya, à Tokyo, le 5 juin 1943. (Kyôdô)
En 1947, avec l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution d’après-guerre, la loi sur les funérailles nationales a cessé de s’appliquer. Dans le même temps, l’article 25 de la nouvelle Loi sur la Maison impériale, promulguée la même année, stipulait que « Au décès de l’empereur, les rites des funérailles impériales seront célébrés ». Il était donc clair que l’empereur ferait l’objet de funérailles nationales, mais le flou continuait de régner quant à savoir qui d’autre y avait droit.
En 1951, alors que l’occupation du Japon était toujours en cours sous l’autorité du Quartier général du Commandement suprême des forces alliées, l’impératrice Teimei, mère de l’empereur Hirohito, est décédée. Au titre de la législation précédente, elle aurait reçu des obsèques nationales, mais en l’absence de tout texte de loi, le Premier ministre Yoshida Shigeru a décidé de ne pas lui en accorder. Ceci étant, vu que le coût de la cérémonie a été prélevé sur le budget public de la famille impériale plutôt que sur ses fonds privés, il s’est agi en fin de compte, malgré l’absence de statut officiel, de funérailles quasi-nationales.
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