Un paradoxe japonais : devenir propriétaire demeure difficile, alors qu’il y a un « stock » de logements
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La crise du Covid-19 a aggravé la baisse de la natalité au Japon : il n’y a eu en 2021 que 810 000 naissances, le nombre le plus bas de ces dernières décennies, alors qu’en 2000, il y en avait eu 1,19 million. Le déclin démographique progresse à un rythme plus rapide que celui prévu par les projections gouvernementales. Mais la construction de tower mansion, ces immeubles d’habitation de grande hauteur, continue dans les grandes villes, ainsi que le développement de nouveaux lotissements sur d’anciens terrains agricoles en banlieue des grandes villes et dans les villes régionales. Ce phénomène de surabondance des logements est manifeste depuis plus de cinq ans. Quels changements a apporté la crise sanitaire ?
Le nombre de logements en hausse
Depuis la fin de la guerre, le nombre total de logements n’a cessé de progresser. D’après l’enquête statistique quinquennale du ministère des Affaires intérieures et des communications, le stock de logements dépassait de 16 % le nombre de foyers en 2018. Du point de vue des chiffres, les logements ne manquent pas au Japon.
Qu’en est-il des tendances du prix de l’immobilier ? L’évolution de l’indice des prix de l’immobilier montre une reprise du prix des appartements, neufs et anciens depuis environ 2013. Le prix des maisons individuelles est reparti à la hausse depuis avril 2020, en raison du manque d’artisans et de la pénurie de bois et de matériaux de construction. Sur le marché immobilier, la demande d’acquisition est revitalisée par plusieurs facteurs : tout d’abord les taux d’intérêts très bas, et l’expérience du télétravail pendant la crise sanitaire, qui a entraîné une nouvelle prise de conscience de la mauvaise qualité des logements loués, et une insatisfaction vis-à-vis des logements actuels, (« bruyants à cause des murs trop fins », « trop petits », « pas assez de pièces »).
L’indice des prix des appartements a grimpé en avril 2022 pour atteindre 1,8 fois le prix moyen en 2010, qui est la base de référence. Celui d’un appartement de 70 mètres carrés neuf arrivé sur le marché en 2021 est par exemple de 87,57 millions de yens (610 000 euros) dans les 23 arrondissements de Tokyo, de 64,75 millions (450 000 euros) dans la région métropolitaine de Tokyo, et de 59,43 millions (410 000 euros) dans la ville d’Osaka (chiffres fournis par « Les tendances du marché des appartements dans l’ensemble du Japon », Real Estate Economic Insitute Co.) Cette demande pour des appartements aussi chers émanerait principalement d’acheteurs mariés ayant chacun un revenu annuel supérieur à 7 millions de yens (48 000 euros), et d’acheteurs souhaitant investir dans l’immobilier ou prévoir leur succession. Entraîné par cette hausse, le prix des appartements anciens s’élève aussi.
Alors que le stock de logements augmente, l’accès à la propriété demeure difficile pour les gens ordinaires ou les jeunes. Dans le cadre des mesures économiques prises pour liquider les nombreuses mauvaises créances consécutives à l’explosion de la bulle économique du début de la dernière décennie du siècle dernier, le gouvernement a fait progresser la dérégulation notamment en matière de coefficients d’occupation des sols, afin de parvenir à une utilisation efficiente des terrains dont le prix trop faible empêchait la revente. Cela a rendu possible la construction d’appartements plus vastes que ceux qui existaient, et le boom de la construction de tours résidentielles comportant de nombreux logements se poursuit dans les grandes villes.
La construction résidentielle étant l’affaire du secteur privé, elle s’est naturellement concentrée sur des zones où l’on pouvait prévoir une rentabilité élevée, et le nombre de logement continue à croître en hauteur dans ces quartiers. Mais si le stock de logements chers dans les métropoles a augmenté, leur prix reste trop élevé pour les gens ordinaires.
Des opérations de promotion immobilière dangereuses
Alors que l’achat d’un logement, appartement ou maison individuelle, reste difficile en raison de la hausse des prix de l’immobilier, la crise sanitaire a poussé au développement du télétravail, et à la tendance à rechercher en banlieue des logements plus vastes, avec des possibilités d’aménagement plus libres, à un prix plus accessible.
Le problème avec cette tendance est qu’elle conduit de plus en plus à transformer en terrains constructibles des terrains agricoles situés dans des zones inondables. Les zones agricoles en périphérie des villes peuvent être réparties en deux classes, celles où il n’y a pratiquement pas de règles en matière d’aménagement résidentiel, et celle où il existe des restrictions. Mais depuis la révision de la Loi de planification urbaine de 2000, ces dernières peuvent être allégées par les collectivités locales si elles le jugent nécessaire. Cela fait qu’aujourd’hui de nombreuses municipalités souhaitent urbaniser des zones agricoles.
Étant donné que les terrains agricoles sont souvent situés dans des zones inondables, leur prix est bien moins élevé que ceux qui se trouvent dans les zones déjà urbanisées, et cela rend possible une offre de logements à prix abordable. Les municipalités souhaitent accroître leur population, et les promoteurs vendre le plus grand nombre possible de logements. Quant aux acquéreurs, ils veulent des logements de grande superficie qui ne coûtent pas trop chers. Mais si l’on accorde la priorité à ces besoins, et que l’on continue à autoriser, dans une approche court-termiste, la transformation de terrains agricoles inondables en zone résidentielle, cela augmentera inéluctablement les coûts que la collectivité aura à prendre en charge lorsque surviendront des catastrophes naturelles et qu’il faudra reconstruire, un lourd fardeau qui sera transmis aux générations futures.
Résoudre le problème des maisons vides
Impossible de ne pas tenir compte l’existence des maisons vacantes lorsqu’on réfléchit au stock de logements. Leur nombre a plus que doublé dans les 25 ans après 1993, pour atteindre 8,49 millions, soit 13,6 % des maisons bâties. C’est un facteur qui contribue à la surabondance de logements.
On ne peut que constater avec regret que l’on ne réussit pas encore à utiliser efficacement ces habitations vides. La plupart de leurs propriétaires ont fortement tendance à les « garder telles qu’elles sont pour l’instant », pour des raisons diverses, comme les souvenirs qui les attachent à une habitation dont ils ont hérité, la difficulté de la vider, ou leur résistance à vendre un terrain qui est dans leur famille depuis des générations. De plus, beaucoup de ces maisons vacantes résultent de successions compliquées. Tout cela fait que même s’il existe une demande pour elles, très peu de maisons vacantes utilisables arrivent sur le marché.
Grâce aux connaissances des anciens, les villages et les villes établies de longue date forment des zones relativement peu exposées aux risques naturels. Les quartiers résidentiels planifiés pendant la période de croissance rapide de l’économie ont souvent été aménagés avec des mesures qui tenaient compte de ces risques. Comme l’urbanisation de tels quartiers s’est effectuée tôt, le vieillissement des habitants et la baisse démographique y progressent, et le remplacement générationnel y stagne.
Tout cela fait que dans les banlieues des métropoles et les villes régionales, les maisons vides ne sont pas réutilisées. Elles le demeurent, alors que les acheteurs potentiels à la recherche d’un logement dans des zones peu exposées aux risques naturels se heurtent en permanence à cette difficulté d’acquisition.
Des efforts sont cependant faits par des acteurs du secteur immobilier ou des ONG pour permettre la vente ou la mise en location de ces maisons vacantes. Certaines collectivités locales ont pris l’initiative de créer des « banques de maisons vacantes » qui présentent sur leur site internet des informations à leur sujet. Certaines d’entre elles connaissent un certain succès. Il faut probablement trouver des moyens efficaces pour renforcer ces efforts.
Des logements à un prix accessible pour tous
Ce problème structurel d’une surabondance de logements n’a pas vu de grands changements dans les cinq dernières années, et l’accès à la propriété est plutôt devenu encore plus difficile. Il n’est par ailleurs pas exclu que le prix des logements reparte à la hausse si les investisseurs étrangers, attirés par la faiblesse du yen, deviennent plus actifs au Japon en achetant pour revendre.
Pour atténuer la difficulté d’accès à l’achat, il est important de prendre des mesures destinées à augmenter le nombre de logements à un prix accessible à tous, et non d’offrir plus de logements. Par exemple, lorsqu’on assouplit le coefficient d’occupation des sols dans le cadre de la construction d’un immeuble d’appartements destinés à la vente, il faut aussi inclure le point de vue de l’offre de logements à un prix raisonnable, accessible aux personnes à revenus faibles ou moyens, avec pour perspective le bien-être public et le retour des bénéfices de l’opération. L’insuffisance de l’offre en logements de ce type est un problème dans toutes les grandes villes du monde. Aux États-Unis, les autorités publiques ne sont pas les seules à lancer des initiatives en ce sens, puisque les GAFA ou les grandes entreprises le font aussi.
On voit aussi apparaître de nouvelles tentatives pour promouvoir l’utilisation et la circulation des logements inutilisés, comme la taxe sur les logements vacants que la ville de Kyoto prévoit d’introduire, qui sera une première au Japon. Quoi qu’il en soit, au Japon, pays où la baisse démographique progresse et où les catastrophes naturelles se multiplient, il est indispensable de prendre en compte la manière de contrôler l’ensemble de l’urbanisation par un équilibre entre les localisations des zones résidentielles et le nombre de logements, et il ne fait aucun doute que nous sommes arrivés à un moment où il faut radicalement revoir la planification urbaine, ainsi que les mesures prises pour le logement depuis l’époque de la forte croissance économique.
(Photo de titre : Pixta)