L’enfer du Zéro Covid en Chine : les jeunes n’attendent plus rien d’un État « anormal »

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Ako Tomoko [Profil]

Le recours extensif aux tests PCR, aux quarantaines et au bouclage des villes reste la marque de la politique « Zéro Covid » du gouvernement chinois. L’épidémie semble certes sous contrôle dans les grandes métropoles comme Pékin et Shanghai, mais l’avenir reste incertain du fait de l’essor des contaminations dans les villes de l’Est du pays. Le ressentiment à l’égard du gouvernement de Xi Jinping augmente de jour en jour à mesure que les autorités persistent à empiéter gravement sur les droits de l’homme et à contraindre les citoyens à sacrifier leurs moyens de subsistance. Une Japonaise spécialiste de la Chine nous explique.

« Nous sommes la dernière génération »

Une autre vidéo qui a largement circulé sur les médias sociaux de Shanghai un mois après le début du cantonnement de la ville mérite d’être mentionnée. On y voit un autre agent de la sécurité publique en tenue de protection blanche expulser une famille de sa maison pour être emmenée dans un établissement public de quarantaine. L’agent crie à la famille : « Si vous n’obéissez pas aux ordres de la ville, le châtiment pèsera sur votre famille pendant trois générations ! » Un homme situé à proximité réplique du tac au tac : « Très bien. De toutes façons, nous sommes la dernière génération. »

Le hashtag #LastGeneration (DernièreGénération) a vite commencé à amplement circuler, ce qu’on peut tout à fait interpréter comme un signe de la détermination de bien des jeunes à ne pas avoir et ne pas élever des enfants en Chine.

Nombre de jeunes Chinois ont été influencés par les récits des médias officiels selon lesquels le Covid-19 serait un complot américain, dont la Chine serait glogalement en train de triompher grâce à ses politiques de lutte contre le Covid-19. Comment expliquer que, seul dans son coin, un agent de la sécurité publique ait eu l’audace de lancer des menaces contre des gens et leurs descendants ?

Le confinement dans des villes cosmopolites comme Shanghai — une politique sur laquelle les gens n’ont pas leur mot à dire et qui leur fait courir le risque de mourir de faim — a généré dans les médias sociaux des commentaires du genre « Je comprends enfin ce que ressentent les Ouïghours ou les habitants de Hong-kong ». Le recours répété à des mesures autoritaires de ce type, il est vrai, n’est pas envisageable dans un pays libre.

Les jeunes Chinois en détresse

La crise de l’emploi à laquelle les jeunes Chinois se trouvent confrontés constitue pour eux un autre sujet d’anxiété. L’une après l’autre, les boutiques ferment et les entreprises font faillite. À elle seule, la politique officielle de fermeture des écoles de rattrapage a privé d’emploi quelque 10 millions de personnes. L’informatique et d’autres secteurs d’activité sont le théâtre de restructurations génératrices elles aussi de pertes d’emploi. Selon les estimations du Bureau national chinois des statistiques, le taux de chômage de la tranche 18-24 ans atteint 18,2 % dans les zones urbaines, ce qui représente une augmentation de 2,2 % par rapport à 2021. En plus de cela, il est prévu que 10,8 millions d’étudiants passent leur diplôme cet automne et fassent leur entrée sur le marché du travail.

Il serait commode de se contenter de dire que les restrictions liées au Covid-19 restent en place. Mais en fait, c’est le système chinois de contrôle de la société, avec la surcharge que le Covid-19 fait peser sur lui, qui reste en place. Les mesures prises visent non seulement à contrôler l’état de santé des habitants, mais aussi à renforcer la surveillance qui leur est imposée. Où que vous soyez et quoi que vous fassiez vous êtes dans le collimateur. Si vos comportements suscitent le moindre doute, l’accès à certains lieux vous sera interdit. Peut-être même votre compte en banque sera-t-il bloqué.

Bien des jeunes Chinois envisagent de s’expatrier parce qu’ils ne veulent pas se marier ou élever des enfants dans un pays comme la Chine telle qu’elle apparaît aujourd’hui à leurs yeux. Ces gens-là ont inventé un néologisme pour contourner la censure de l’État. Runxue est employé sur Internet dans le sens de « run-ology » (science de la fuite). Dans la romanisation pinyin de ce mot composé, le premier caractère, qui veut dire « humide » ou « mouillé », ressemble au mot anglais « run » (courir). Le second caractère voulant dire « apprendre » en chinois, l’expression, qu’on pourrait traduire par « techniques pour fuir la Chine », fait désormais référence à l’émigration.

Dans une Chine de plus en plus « anormale », qui persiste dans sa politique du Zéro Covid, cette nouvelle forme de connaissance se diffuse rapidement chez les internautes.

(Photo de titre : codes QR trouvés à Pékin lors de l’imposition des restrictions liées au Zéro Covid. © Sung Ho, Kyôdô)

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Ako TomokoArticles de l'auteur

Professeur associée à l’École des études libérales internationales, Université Waseda. Née en 1971. Occupe son poste actuel depuis 2009, après avoir été chercheuse à l’ambassade du Japon en Chine et professeur associée à l’Université pour femmes Gakushûin. Spécialiste des études chinoises contemporaines.

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