L’enfer du Zéro Covid en Chine : les jeunes n’attendent plus rien d’un État « anormal »
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Le Zéro Covid « pendant les cinq prochaines années » ?
En juin dernier, le gouvernement chinois a annoncé une réduction substantielle, pour les personnes entrant en Chine, de la période obligatoire de quarantaine en établissement centralisé : le séjour des voyageurs dans ces structures est passé à une semaine au lieu de deux. Mais le gouvernement chinois a bien précisé qu’il maintenait le cap de sa politique Zéro Covid.
L’annonce du gouvernement est venue peu après les remarques anxiogènes, publiées sur Internet, d’un haut responsable à Pékin du Parti communiste chinois. Le Beijing Daily, principal organe d’information du PCC dans la capitale, a publié des extraits d’un discours prononcé le 27 juin par Cai Qi, secrétaire du Comité municipal de Pékin du PCC, où figurait une citation disant que Pékin continuerait d’appliquer les mesures Zéro Covid « pendant les cinq prochaines années ».
La réaction des médias sociaux a été aussi rapide que furieuse. Certains utilisateurs ont exprimé leur exaspération à l’idée de devoir supporter des mesures strictes pendant une demie décennie ; d’autres ont déclaré publiquement leur intention de revoir leur volonté à long terme de vivre à Pékin. Webo, un site de microblogging populaire en Chine, s’est empressé d’interdire l’usage du hashtag « pendant les cinq prochaines années » et le Beijing Daily, a supprimé la référence à cette phrase en parlant d’une « erreur d’édition ».
Zhao Qingyun, le président du Beijing Daily, s’est efforcé sans tarder de donner une explication détaillée de l’incident sur Webo, en demandant aux gens qui fréquentent le site de faire circuler ce message :
La phrase « pendant les cinq prochaines années » ne figurait pas dans les remarques du secrétaire Cai ; c’est le journaliste qui l’a ajoutée par erreur. Peut-être est-ce difficile de comprendre comment cela est arrivé, mais le journaliste, pressé de publier son article au plus vite en utilisant un formulaire préétabli, s’est contenté de survoler les principaux points du discours du secrétaire Cai. La phrase passe-partout « pendant les cinq prochaines années » était inscrite dans le formulaire, et elle y est restée avec d’autres propos sur le maintien des mesures de contrôle de la pandémie. À l’évidence, le journaliste n’avait pas les idées claires.
L’article est resté en ligne amputé des seuls mots « pendant les cinq prochaines années » :
Le treizième Congrès municipal de Pékin du PCC s’est ouvert ce matin. Le camarade Cai Qi a déclaré que Pékin allait maintenir les mesures Zéro Covid de contrôle de la pandémie [pendant les cinq prochaines années] et s’attacher résolument à la protection contre les contaminations extérieures ainsi que contre la transmission interne. La ville va maintenir et améliorer les « quatre responsabilités conjointes » (locale, unité de travail, organisationnelle et individuelle) de Pékin, les mécanismes de prévention de la contamination et le dispositif de réaction d’urgence des « quatre mesures anticipées » (détection, annonce, isolation et traitement précoces). Pékin va mettre en œuvre des contrôles globaux de la pandémie qui seront scientifiques, précis et dynamiques.
Mais la désinvolture avec laquelle le Beijing Daily a fait fi de ces préoccupations était-elle justifiée ? Pour bien des Chinois, lire le passage ci-dessus avec ou sans la phrase « pendant les cinq prochaines années » ne change pas nécessairement grand-chose. Toute considération sur la véracité des propos « pendant les cinq prochaines années » attribués au secrétaire Cai mise à part, ses remarques ont consterné le public. Plutôt que d’écarter la controverse en se focalisant sur l’erreur supposée du journaliste, Zhao aurait dû, en tant que personnage prééminent des médias de Pékin, se demander en premier lieu pourquoi le public était tellement sensible aux commentaires de Cai.
Fuir un « pays anormal »
Les Chinois ont raison de s’inquiéter à propos de l’avenir. Alors qu’ailleurs dans le monde l’idée de « vivre avec le virus » est de mieux en mieux acceptée, le gouvernement chinois poursuit son irrationnelle et inhumaine politique Zéro Covid. Privés tant de la possibilité de sortir de chez eux que de nourriture, des habitants de gratte-ciel font entendre leur colère en frappant des casseroles à leurs fenêtres et en criant « laissez-nous sortir ! »
Bien qu’on ne puisse pas exclure la possibilité que des fausses nouvelles y aient été insérées, il reste que des vidéos de gens sautant de leurs immeubles ont fait leur apparition sur les médias sociaux. Une vidéo particulièrement choquante a circulé, où l’on voit un petit enfant tomber d’une fenêtre tandis que deux adultes (probablement ses parents) sont emmenés vers un établissement de quarantaine. Il existe presque à coup sûr des gens qui se sont affaiblis physiquement ou même qui sont morts à cause de l’impossibilité de sortir de chez eux.
Les histoires tragiques ne manquent pas. Une mère a fait du porte à porte en demandant que son fils, dont la température atteignait 40 degrés, ait droit à un traitement contre la fièvre. Personne ne lui a ouvert sa porte. Un agent de la sécurité publique en tenue de protection a capturé un chien dans un lourd filet et a traîné l’animal qui jappait dans une cage à chien pour l’emmener on ne sait où. Un homme qui devait être le propriétaire s’est lancé à la poursuite de l’agent, avec pour seul résultat d’être jeté à terre et roué de coups de pied.
Plusieurs personnes ont évoqué des images de la Révolution culturelle. À l’époque, les « gardes rouges » se démenaient pour faire table rase des « Quatre Vieilleries » (vieilles idées, vieille culture, vieilles coutumes, vieilles habitudes). Les gardes rouges, en s’attaquant aux gens qu’ils percevaient comme des « éléments contre-révolutionnaires », ont par la même occasion mis à mal le précieux patrimoine culturel de la Chine. S’inspirant de ce précédent, les netizens (citoyens du Net) chinois ont commencé à appeler « gardes blancs » les agents de la sécurité publique en tenue de protection blanche.
Étant donné qu’elles ne sont pas tenues de présenter des papiers attestant leur appartenance à la police, on ne sait pas vraiment qui sont les personnes costumées qui emmènent les gens en quarantaine. Ceux chargés de ces contrôles doivent certes être nombreux et autorisés à recourir à la force en cas de besoin. Mais il est tout à fait possible que des individus sans emploi régulier ou des maraudeurs se fassent passer pour des agents publics et prennent prétexte des contrôles effectués au nom de la pandémie pour commettre des actes de violence.
Beaucoup de citoyens sont accablés et se demandent « Qu’avons-nous fait de mal ? Pourquoi sommes-nous traités comme des criminels ? » À Shanghai, l’expression « 1,4 milliard contre 1 » s’est répandue. Elle témoigne de la détresse inspirée par le constat que, en dépit de l’hostilité de 1,4 milliard de Chinois, le statut de politique « correcte » élaborée par un personnage unique — « l’empereur » Xi Jinping — attribué à une politique fait que tout le monde doit s’y soumettre.
Le commentaire qui suit a lui aussi été publié sur Internet : « Les libertés quotidiennes ont certes été rognées au nom du Covid-19 à New York et à Tokyo, mais pas à la même échelle qu’en Chine. Les riches vont à coup sûr quitter la Chine. Qui resterait dans un pays aussi anormal ? »
« Nous sommes la dernière génération »
Une autre vidéo qui a largement circulé sur les médias sociaux de Shanghai un mois après le début du cantonnement de la ville mérite d’être mentionnée. On y voit un autre agent de la sécurité publique en tenue de protection blanche expulser une famille de sa maison pour être emmenée dans un établissement public de quarantaine. L’agent crie à la famille : « Si vous n’obéissez pas aux ordres de la ville, le châtiment pèsera sur votre famille pendant trois générations ! » Un homme situé à proximité réplique du tac au tac : « Très bien. De toutes façons, nous sommes la dernière génération. »
Le hashtag #LastGeneration (DernièreGénération) a vite commencé à amplement circuler, ce qu’on peut tout à fait interpréter comme un signe de la détermination de bien des jeunes à ne pas avoir et ne pas élever des enfants en Chine.
Nombre de jeunes Chinois ont été influencés par les récits des médias officiels selon lesquels le Covid-19 serait un complot américain, dont la Chine serait glogalement en train de triompher grâce à ses politiques de lutte contre le Covid-19. Comment expliquer que, seul dans son coin, un agent de la sécurité publique ait eu l’audace de lancer des menaces contre des gens et leurs descendants ?
Le confinement dans des villes cosmopolites comme Shanghai — une politique sur laquelle les gens n’ont pas leur mot à dire et qui leur fait courir le risque de mourir de faim — a généré dans les médias sociaux des commentaires du genre « Je comprends enfin ce que ressentent les Ouïghours ou les habitants de Hong-kong ». Le recours répété à des mesures autoritaires de ce type, il est vrai, n’est pas envisageable dans un pays libre.
Les jeunes Chinois en détresse
La crise de l’emploi à laquelle les jeunes Chinois se trouvent confrontés constitue pour eux un autre sujet d’anxiété. L’une après l’autre, les boutiques ferment et les entreprises font faillite. À elle seule, la politique officielle de fermeture des écoles de rattrapage a privé d’emploi quelque 10 millions de personnes. L’informatique et d’autres secteurs d’activité sont le théâtre de restructurations génératrices elles aussi de pertes d’emploi. Selon les estimations du Bureau national chinois des statistiques, le taux de chômage de la tranche 18-24 ans atteint 18,2 % dans les zones urbaines, ce qui représente une augmentation de 2,2 % par rapport à 2021. En plus de cela, il est prévu que 10,8 millions d’étudiants passent leur diplôme cet automne et fassent leur entrée sur le marché du travail.
Il serait commode de se contenter de dire que les restrictions liées au Covid-19 restent en place. Mais en fait, c’est le système chinois de contrôle de la société, avec la surcharge que le Covid-19 fait peser sur lui, qui reste en place. Les mesures prises visent non seulement à contrôler l’état de santé des habitants, mais aussi à renforcer la surveillance qui leur est imposée. Où que vous soyez et quoi que vous fassiez vous êtes dans le collimateur. Si vos comportements suscitent le moindre doute, l’accès à certains lieux vous sera interdit. Peut-être même votre compte en banque sera-t-il bloqué.
Bien des jeunes Chinois envisagent de s’expatrier parce qu’ils ne veulent pas se marier ou élever des enfants dans un pays comme la Chine telle qu’elle apparaît aujourd’hui à leurs yeux. Ces gens-là ont inventé un néologisme pour contourner la censure de l’État. Runxue est employé sur Internet dans le sens de « run-ology » (science de la fuite). Dans la romanisation pinyin de ce mot composé, le premier caractère, qui veut dire « humide » ou « mouillé », ressemble au mot anglais « run » (courir). Le second caractère voulant dire « apprendre » en chinois, l’expression, qu’on pourrait traduire par « techniques pour fuir la Chine », fait désormais référence à l’émigration.
Dans une Chine de plus en plus « anormale », qui persiste dans sa politique du Zéro Covid, cette nouvelle forme de connaissance se diffuse rapidement chez les internautes.
(Photo de titre : codes QR trouvés à Pékin lors de l’imposition des restrictions liées au Zéro Covid. © Sung Ho, Kyôdô)