Le cinéma japonais en crise : misogynie et sexisme sur fond de mauvaises conditions de travail

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Le mouvement #Me Too est arrivé tardivement au Japon, mais les accusations récentes de harcèlement sexuel et d’agression portées contre des réalisateurs japonais n’ont étonné personne au sein de l’industrie, et sont généralement perçues comme la partie émergée de l’iceberg. Nous avons interviewé une spécialiste du cinéma japonais et des questions de genre au sujet des origines du problème, qui vont de misogynie et préjugés sexistes jusqu’aux violations fondamentales des normes du travail.

Kinoshita Chika KINOSHITA Chika

Professeure en études cinématographiques à l’École supérieure d’études humaines et environnementales de l’Université de Kyoto. Elle a reçu sa maitrise de l’université de Tokyo en 1996, spécialité « culture et représentation », et un double doctorat de l’université de Chicago en 2007. Professeure adjointe au département d’études cinématographiques à l’Université de Western Ontario. Elle a aussi enseigné à l’Université d’Iowa, l’Université de Michigan, l’Université d’Art et de Culture de Shizuoka, ainsi que l’Université Métropolitaine de Tokyo avant de prendre ses fonctions à l’Université de Kyoto en 2016. Elle a notamment publié « Mizoguchi Kenji : l’esthétique et la politique des films » (Mizoguchi Kenji ron—eiga no bigaku to seijigaku)

Le métier de coordinatrice d’intimité : entre adultes consentants

Le conseil pour l’amélioration de la production vidéo commencera à travailler au printemps 2023, mais son impact sur les abus éventuels reste incertain. Beaucoup sont convaincus que des mesures plus urgentes sont nécessaires pour améliorer les conditions de travail et faire face au harcèlement et à la violence sexuelle qui sévissent dans l’industrie du cinéma japonais.

Des réformes urgentes sont particulièrement nécessaires pour le tournage de scènes intimes. Dans les pays occidentaux, il existe des spécialistes, appelés coordinatrices d’intimité, qui assurent que ces scènes sont filmées selon une procédure déterminée à l’avance, et que les participants sont tous consentants à chaque étape du tournage. Suite au mouvement #MeToo qui a sensibilisé les gens envers les problèmes de tournage, la demande pour les coordinatrices d’intimité a explosé en Europe et en Amérique du Nord.

Au Japon, de tels spécialistes, il en existe peu. Kinoshita explique : « C’est un métier qui demande une connaissance directe du processus de production ainsi que de très bonnes compétences en communication. » Au sein des tournages au Japon, c’est souvent la scripte qui est responsable du bon déroulement des scènes intimes, s’assurant que les droits de chacun sont respectés à tous moments.

« Les scriptes sont traditionnellement des femmes qui font partie du cercle intérieur du réalisateur, et peuvent donc donner leur avis au sujet de la réalisation. Mais de nos jours, il arrive qu’il n’y ait pas de scripte, pour faire des économies. Je pense qu’il est vraiment urgent d’augmenter le nombre de femmes au sein du processus de production. »

Mais ce n’est pas seulement le fait que les femmes sont victimes de la situation actuelle qui risque de compromettre la qualité et le prestige de l’industrie japonaise du cinéma. À l’ère de #MeToo, des rumeurs de harcèlement sexuel et d’agression peuvent impacter les recettes d’un film de façon directe. Kinoshita remarque que beaucoup de gens ne veulent pas aller voir des films connus pour l’environnement abusif de la production, où les employés sont systématiquement surmenés et subissent un harcèlement sexuel au quotidien.

« Si nous n’agissons pas rapidement pour régler le problème de harcèlement et de violence sexuelle, ainsi que les mauvaises conditions de travail, c’est l’industrie qui va en souffrir. Il est déjà difficile de trouver du personnel... comme trop de gens abandonnent ce métier. Si ça continue comme ça, bientôt, il risque de ne plus y avoir personne. »

Les femmes pionnières du cinéma japonais

La promotion d’une participation significative de la part des femmes dans l’industrie du cinéma est une priorité pour Kinoshita. Elle espère que son nouveau projet de recherche, « Les Femmes pionnières du cinéma japonais », sera une source d’inspiration pour une nouvelle génération de créatrices.

Les Femmes pionnières met l’accent sur la période du début du cinéma parlant, dans les années 1920, jusqu’aux années 1970, l’âge d’or des studios au Japon. Pendant toute cette période, on n’entendait quasiment jamais parler de femmes réalisatrices dans le cinéma japonais.

Kinoshita explique : « Sous le système des studios, pour devenir réalisateur, il fallait d’abord devenir réalisateur adjoint, et seuls les hommes étaient employés en tant que tels. Il était donc impossible aux femmes d’y accéder. »

Sans se laisser décourager, elles ont trouvé d’autres moyens d’exprimer leur créativité et sont devenues scénaristes, scriptes, et éditrices de film, ainsi que spécialistes en art, éclairage, maquillage et costumières.

« J’ai l’impression que le monde a oublié le rôle des femmes dans l’industrie japonaise du cinéma », dit Kinoshita.

« Les femmes créatrices de l’époque parlaient peu de leur travail. Je pense qu’elles se rendaient compte que, dans un monde exclusivement masculin, trop parler pourrait leur apporter des ennuis. Mais je voulais savoir comment elles sont arrivées à se construire dans un monde dominé par les hommes. J’espère qu’en mettant en évidence la riche singularité et la contribution variée de ces femmes pionnières, nous pourrons autonomiser la jeune génération d’aujourd’hui. »

(Reportage, texte et interview par Itakura Kimie, de Nippon.com. Photo de titre : Pixta)

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