La question des manuels d’histoire japonais

Révolution dans les manuels d’histoire japonais : quelles sont les nouvelles méthodes d’éducation ?

Éducation

Ogawa Kôji [Profil]

Au printemps 2022, les lycées japonais ont modifié leurs programmes pédagogiques pour proposer un nouveau cours obligatoire, mêlant à la fois l’histoire moderne du Japon et du monde. Le proviseur d’un lycée s’intéresse à ce nouveau cours dont l’enseignement se veut centré sur l’élève et ses compétences, plutôt que sur l’apprentissage par cœur.

Une pensée historique critique

L’histoire moderne et contemporaine est un cours unique qui rapporte deux crédits (à raison de cours de 50 minutes par semaine) avec des objectifs ambitieux. Il propose une approche différente du modèle jusqu’alors établi des cours d’histoire au lycée, où le professeur distribuait des documents photocopiés et faisait un cours magistral, sans interaction aucune, et que les élèves prenaient quelques termes en note dans la marge. Ces termes, ils les mémorisaient puis ils les oubliaient rapidement, une fois le contrôle passé. Désormais, l’approche est différente. L’idée est de demander aux élèves de lire des documents historiques, de les inviter à poser des questions sur les changements survenus au cours de la période étudiée et de les faire réfléchir par eux-mêmes pour chercher des réponses à ces questions.

Les manuels pensés pour le nouveau programme sont truffés d’exemples de questions et de problèmes permettant une étude plus approfondie. Par exemple, « Shôjutsu rekishi sôgô » (Jikkyô Shuppan, 2022) invite les élèves à comparer les balbutiements du Japon vers la modernisation à la fin de l’époque d’Edo (1603-1868) avec des tendances similaires dans l’Empire ottoman, en Égypte, en Thaïlande ou en Chine à l’époque de la dynastie Qing. Non seulement les élèves sont amenés à réfléchir plus en profondeur sur les grandes tendances historiques, mais également à appréhender le Japon en tant que nation dans le monde.

La nouvelle approche des manuels encourage également les élèves à lire, à interpréter des documents et à parfaire leurs capacités de réflexion et de communication tout en analysant les problèmes contemporains sous différents angles. Par exemple, « Meikai rekishi sôgô » (Teikoku-Shoin, 2022) évoque l’évolution de l’opinion publique sur la Conférence navale de Washington. Dans ce manuel, les élèves doivent analyser un éditorial de journal japonais contemporain faisant l’apologie de cette conférence, voyant en elle un pas vers le désarmement et la paix dans le monde.

De cette façon, avec le nouveau programme, l’apprentissage par cœur est plus « historique », faisant intervenir non plus des listes de termes sans fin apprises par cœur mais la connaissance comme base de la pensée critique et de la communication.

« Chaque élève a sa propre conception de l’histoire »

Cela dit, le programme d’histoire moderne et contemporaine n’est qu’une ébauche, avec de nombreux problèmes à résoudre. Tout d’abord, malgré une approche différente, les nouveaux manuels sont toujours remplis d’informations factuelles. Les élèves seront alors simplement testés sur leurs capacités de mémorisation et non de réflexion.

Autre souci : les manuels se contentent souvent de mettre des récits en parallèle (« pendant ce temps, au Japon ») au lieu de présenter une perspective mondiale, qui intègre tous les récits.

Par exemple, dans les manuels japonais, la croissance rapide du Japon est presque exclusivement expliquée à l’aide de facteurs internes. Ils ne traitent pas des tendances mondiales plus larges telles que la division internationale du travail, qui a vu le jour pendant la Guerre froide ou de la résurgence économique de l’Asie de l’Est dans son ensemble. En se concentrant sur les facteurs propres au Japon pour expliquer le miracle japonais, comment comprendre la phase de stagnation de l’économie qui a succédé ? Peut-elle être interprétée autrement que comme un cas d'« essoufflement du système » ? Si ce cloisonnement de l’histoire en trois branches distinctes est encore bien présent aujourd’hui dans les écoles supérieures japonaises, une approche analytique plus intégrée commence à voir le jour sous la forme d’une « histoire globale ». Cependant, la route est encore longue pour parvenir à une intégration véritablement dynamique de l’histoire du Japon et de l’histoire du monde dans les programmes pédagogiques des lycées.

Enfin, l’un des objectifs du nouveau programme devrait être de faire une place plus importante à un apprentissage centré davantage sur l’élève et plus interactif. Jusqu’à présent, les cours d’histoire ont été pensés et dispensés par un professeur aux connaissances abondantes transmettant, sans grande interaction, son savoir aux élèves. Mais je pense que chaque élève a sa propre conception de l’histoire, qui repose sur un contexte et une vision du monde propres à chacun, et aucune conception de l’histoire n’est inférieure à celle d’un autre. Certes, je possède peut-être des connaissances historiques plus approfondies et je suis plus habitué à l’analyse des questions historiques, mais il y a des choses que je ne comprends pas, tout comme mes étudiants.

Je crois que nous devons repenser notre façon de traiter les élèves et les voir davantage comme des compagnons d’exploration. Pour moi, ce nouveau programme est une opportunité pour les enseignants comme pour les élèves d’analyser des questions historiques qui n’ont ni bonne ni mauvaise réponse. Il est là mon objectif pour le nouveau programme d’histoire moderne et contemporaine.

(Photo de titre : les nouveaux manuels de lycée depuis avril 2022. Dans le sens des aiguilles d’une montre : géographie, éducation civique et histoire moderne et contemporaine. Jiji Press)

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Ogawa KôjiArticles de l'auteur

Proviseur du lycée Sonan de la préfecture de Nagano. Né en 1966, il est diplômé de l’Université de Tokyo, spécialisé en histoire occidentale. Il a occupé les fonctions de directeur de lycée préfectoral et de membre du conseil scolaire dans les communautés de la préfecture de Nagano. De 2015 à 2016, il a été membre d’un groupe de travail spécial qui portait sur le programme d’études sociales de l’enseignement secondaire (histoire, géographie et éducation civique), sous l’égide du Conseil central de l’éducation du ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie.

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