Les jeunes Japonais éloignés de la politique : comment les sensibiliser à l’importance du vote ?

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Maiguma Kôichi [Profil]

Au Japon, si le taux de participation aux élections chez les jeunes continue d’être bien bas, un professeur estime que l’attention portée à cette faible participation est trop importante, au détriment de celles d’autres catégories de la population. Aux gens âgés de montrer l’exemple, et aux jeunes de ne pas s’éloigner des questions politiques de leur pays.

L’école, c’est la société, et un étudiant est un citoyen

Tout d’abord, force est de reconnaître avec quelle superficialité est abordée l’éduction civique, même s’il est vrai que les éducateurs ont fait quelques efforts pour remédier à la situation. S’il est devenu possible de voter à partir de 18 ans, l’intérêt pour ce changement n’a pas duré. Même après que le ministère de l’Éducation a levé l’interdiction effective des activités politiques étudiantes, qui datait de 1969, les écoles maintiennent toujours une certaine distance par rapport à la politique de nos jours, soi-disant au nom de la « neutralité ». (Voir notre article : Pourquoi les jeunes Japonais s’intéressent-ils aussi peu aux mouvements sociaux et politiques ?)

Simuler des élections est un bon moyen de bien comprendre la situation. La date du scrutin est laissée à la discrétion de la classe. Le vote est complètement fictif. Même s’il ne s’agit que d’une simulation, il serait tout de même mieux d’avoir un scrutin avec de vraies formations politiques et de vrais candidats, un scrutin qui aurait lieu en même temps qu’un vrai scrutin.

Les enseignants devraient aussi réfléchir au fait qu’ils n’ont jusqu’à présent pas considéré les étudiants comme des citoyens. Typiquement, le statut des étudiants en tant qu’individus ayant reçu une éducation pour endosser le rôle de « personnes qui représentent une nation et une société paisibles et démocratiques », Article 1 de la Loi fondamentale sur l’éducation, n’est pas reconnu. Par exemple, pendant la pandémie, dans de nombreux établissements, ce sont les enseignants seuls qui ont décidé de maintenir ou non les voyages scolaires. Et les règlements intérieurs absurdes dans les écoles bien trop éloignés des capacités émotionnelles des élèves, qui perpétuent un mode de pensée archaïque, n’en sont qu’une autre manifestation.

Un groupe de recherche du ministère des Affaires intérieures et des Communications a déclaré que « Les étudiants devraient s’impliquer dans la société, penser par eux-mêmes et prendre leurs propres décisions en tant que citoyens ». C’est probablement la raison pour laquelle les écoles encouragent les étudiants à participer à des activités communautaires et bénévoles. Mais la société n’est pas un endroit différent de l’école. L’école, c’est la société, elle en est son prolongement. À quoi bon former des personnes capables de « citoyenneté sensée » (article du même acte) s’ils sont mis à l’écart du processus de décision sur des questions sociales importantes qui les touchent de près, telles que le règlement intérieur d’un établissement scolaire ? L’éducation à la citoyenneté ne doit pas s’arrêter à la sortie de la salle de classe.

J’habite à Matsue, dans la préfecture de Shimane, la seule capitale préfectorale abritant une centrale nucléaire. De janvier à mars 2022, les demandes ont été soumises à Matsue et dans trois villes environnantes, Izumo également dans la préfecture de Shimane, ainsi que Yonago et Sakaiminato dans la préfecture de Tottori, pour la tenue d’un référendum, pour ou contre le redémarrage d’un réacteur à la centrale nucléaire de Shimane. Dans les quatre villes, le nombre de signatures recueillies était largement supérieur au nombre requis par la loi. Cependant, l’opposition des quatre maires a eu pour conséquence que les demandes rédigées par les municipalités ont été complètement ignorées par les assemblées. Les politiques évoquent toujours la façon dont les « citoyens jouent un rôle de premier plan », martelant qu’ils « accueillent favorablement toute participation ». Mais, voilà le résultat ; les opinions des citoyens sont allègrement ignorées. Les écoles ne sont peut-être qu’un microcosme de cette société.

Aux électeurs âgés de donner l’exemple !

Au Japon, on répète souvent aux générations futures qu’ « un gouvernement local indépendant est une école de la démocratie », paraphrasant les propos du juriste britannique et homme politique James Bryce. Mais malheureusement, il y a un oubli fâcheux dans cette phrase : le mot « pratique ». « La meilleure école de la démocratie… est la pratique d’un gouvernement local indépendant. Cet oubli en dit long, et dans le même temps, fait perdre tout sens de la réalité. À la fin du XIXe siècle, Bryce voyait les origines de la démocratie aux États-Unis dans la « pratique » de débats par des citoyens qui se répartissent le nettoyage, l’entretien des routes et la gestion de ranchs. Au Japon, de nos jours, certaines personnes préfèreraient habiter dans des condominiums parce qu’elles ne veulent pas s’impliquer dans des associations de quartier. Les réunions de parents d’élèves pour choisir les membres des comités sont souvent qualifiées de « funérailles », comme si les parents qui étaient choisis étaient punis. Les enfants grandissent en observant leurs parents. Il faut reconnaître que les associations de quartier tout comme celles de parents d’élèves sont confrontées à un certain nombre de problèmes. Mais c’est justement ce qui en fait d’excellents lieux d’apprentissage. Les enfants ne sont pas les seuls à avoir besoin d’« écoles ».

Ma jeunesse coïncide plus ou moins avec les années 1990. À cette époque, le taux de participation à l’élection de la Chambre des représentants chez les jeunes dans la vingtaine se situait dans les 30 %, à peu près autant qu’aujourd’hui... Oui, l’intérêt de ces jeunes n’a absolument pas augmenté ; au contraire, le taux de participation de cette catégorie continue toujours à être le plus bas depuis un demi-siècle. Avons-nous donc bien le droit de critiquer les jeunes d’aujourd’hui, alors que nous n’avions pas fait mieux en notre temps ? Ajoutons que même parmi les personnes en âge d’élever des enfants, seule la moitié se rend aux urnes.

Continuons d’examiner la situation. Les personnes plus âgées disent souvent qu’il faut voter pour les politiques et non pour les personnes. Mais leurs belles paroles finissent par se traduire en « faites ce que je dis mais pas ce que je fais », car il n’est pas exclu qu’elles votent pour quelqu’un parce qu’elles ont un lien personnel avec lui, pour leur travail ou tout simplement parce que c’est un candidat célèbre et qu’elles en sont fans. Lorsque les étudiants de Poli Rangers ont procédé à leur « sondage d’entrée », ils ont tout de suite été confrontés à la sensation que les électeurs n’avaient pas forcément réfléchi trop longtemps avant de faire leur propre choix. Divers facteurs ont facilité la réélection de certaines personnes à plusieurs reprises, tandis que la tendance des politiques à se concentrer sur les questions éphémères et populaires du moment a créé un climat d’instabilité. Mais à qui la faute ? C’est aux électeurs plus âgés de donner l’exemple aux plus jeunes.

Ne vous désintéressez pas de la politique de votre pays

Il se peut que mes propos aient été un peu durs... J’ajouterai donc que des électeurs plus âgés ont également réfléchi à des solutions. Quid du vote en ligne ? Quid de l’abaissement de l’âge minimum pour les candidats ? Pourquoi ne pas mettre en place des « circonscriptions de jeunes » qui représenteraient les voix des jeunes et ou un système qui permettrait aux parents de voter par procuration pour leurs enfants ? D’autres idées ont également été proposées permettant aux électeurs de diviser leur vote par politique ou même de le déléguer à d’autres.

Mais comme aucune de ces idées ne sera retenue, il n’y a pas de quoi faire les fiers. La seule option que nous avons à l’heure actuelle est de nous excuser. Je n’irai pas par quatre chemins : mieux vaut ne pas attendre trop de la génération des électeurs plus âgés. Leur grand âge ne signifie en rien qu’ils sont exemplaires.

Mais pour conclure, laissez-moi vous dire ceci ; surtout ne vous éloignez pas des questions de politique dans votre pays. Même si nous prétendons ne pas être intéressés par certains sujets, ils ont à n’en pas douter un impact non négligeable sur nous. Et le type de politique qui vient mettre son grain de sel dans notre vie quotidienne est toujours... énervant ! (ussee wa !)

(Photo de titre : une simulation de vote dans un lycée de la ville de Matsue appelant à un amendement de la Constitution. Avec l’aimable autorisation de Maiguma Kôichi)

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Maiguma KôichiArticles de l'auteur

Professeur à l’université de Shimane. Né en 1972. Titulaire d’un doctorat en droit à l’université de Kyûshû, il est spécialisé en administration publique. Il mène des recherches pratiques sur la participation des citoyens dans des domaines tels que la politique, l’administration publique et les organisations à but non lucratif. Il participe à des activités communautaires et de parents d’élèves. Il est notamment l’auteur de « Mini-publics dirigés par des citoyens » (Jûmin shusai no mini-publics) et de « Compte-rendu de la première réunion de personnalisation à Matsue » (Dai-ichiki Jibungotoka kaigi in Matsue tenmatsuki).

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