50 ans après la prise d’otages au chalet Asama : pourquoi l’Armée Rouge Unifiée s’est-elle sabordée ?
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Le 28 février 1972, le dixième jour depuis le début de l’affaire du chalet Asama (Asama sansô jiken), la police a finalement donné l’assaut, et, bien que l’otage ait été sauvée, deux policiers et un civil étaient tués dans la fusillade.
Les cinq membres de l’Armée Rouge Unifiée ont finalement été arrêtés, tous vivants, après avoir résisté dix jours aux jets d’eau sous pression et aux gaz lacrymogènes des forces de police : le chef Sakaguchi Hiroshi, 25 ans, Bandô Kunio, 25 ans, Yoshino Masakuni, 23 ans, Katô Michinori, 19 ans, et son jeune frère Motohisa, 16 ans.
Le plus dangereux des groupes de l’extrême-gauche radicale
Qui était l’Armée Rouge Unifiée ? Le groupe s’est formé le 15 juillet 1971 en tant que coalition des forces de la Fraction Armée Rouge de la Ligue communiste et du Comité de la préfecture de Kanagawa du Parti de la gauche Révolutionnaire du Parti communiste japonais, ce qu’exprime le terme « unifiée ». Ce mot ne doit cependant pas cacher le fait que ses deux organismes ne représentaient qu’un nombre très restreint de personnes : la Fraction Armée Rouge s’était fortement réduite à cette époque, et la Gauche Révolutionnaire n’avait jamais dépassé le stade de groupuscule. Ces deux entités s’étaient constituées pour la lutte illégale à une époque où de nombreux étudiants, ressentant l’impasse du mouvement étudiant, avaient commencé à prendre leurs distances avec les mouvements de la gauche traditionnelle. Dans ce contexte, cette nouvelle coalition était considérée par la police comme le groupuscule le plus radical des nouvelles organisations de l’ultragauche.
La Fraction Armée Rouge était elle-même une émanation de la Ligue communiste, familièrement appelée « le Bund », elle-même créée le 10 décembre 1958 autour de Shima Shigeo, un dissident du Parti communiste japonais. C’est de là qu’est née la Fraction Armée Rouge en 1969, dont l’objectif était de déclencher une révolution mondiale simultanée sur la base des théories de son président, Shiomi Takaya, et prévoyait un soulèvement armé comme étape préliminaire, dans le but de construire une base internationale, ce qui conduisit l’année suivante à l’incident du premier détournement d’avion au Japon, dit « détournement du Yodo ».
De son côté, le groupe Gauche Révolutionnaire avait été créée en avril 1966 par Kawakita Mitsuo, membre de la Ligue marxiste-léniniste, après avoir invité Kawashima Gô, membre du Front marxiste, à rejoindre le groupe d’étude « Alarm Bell », formé par des membres qui avaient quitté le PCJ ou en avaient été expulsés. Adepte de Mao Zedong, le groupe avait pour slogan le « patriotisme anti-américain » et, sur la base de la théorie maoïste : « un gouvernement ne peut être constitué que par les armes », il était chargé de dévaliser les armureries de fusils de chasse et de cartouches.
La vie misérable en communauté dans une maison de montagne
Les autorités en charge de la sécurité publique pensaient que le fait que les deux groupuscules aient uni leurs forces était le signe que ceux-ci étaient acculés le dos au mur. Néanmoins, la Fraction Armée Rouge avait un intérêt concret à cette coalition : elle avait de l’argent, obtenu au cours d’une opération appelée « Opération M », des braquages en série d’institutions financières. La Gauche révolutionnaire, de son côté, détenait les armes de chasse et les munitions cambriolées dans les armureries. Ces séries de braquages avaient conduit à l’arrestation de plusieurs membres des deux groupuscules. La plupart de leurs planques avaient été fouillées de fond en comble par la police, au cours de l’opération « Appartment roller ».
Au départ, la Fraction Armée Rouge et la Gauche révolutionnaire se réunissaient indépendamment dans des locaux contrôlés par l’un ou l’autre. Mais à partir de fin novembre 1971, les deux groupes se réunissent dans une maison de montagne abandonnée sur le mont Haruna (préfecture de Gunma) et s’y installent de façon permanente. De ce moment, l’Armée Rouge Unifiée existe non seulement sur le papier, mais de façon effective. La Fraction Armée Rouge est composée de 9 membres, dont 8 hommes et 1 femme, la Gauche Révolutionnaire de 19 membres, 10 hommes et 9 femmes. Soit un total de 28 membres.
À vrai dire, lorsque les deux groupes opèrent leur jonction sur le mont Haruna, 2 hommes et 1 femme de la Gauche Révolutionnaire étaient déjà morts au cours d’une « synthèse », une sorte d’autocritique exigée des membres dont la sincérité de l’engagement dans la lutte totale est mise en doute, sous le prétexte d’améliorer leurs qualités et de surmonter leurs faiblesses psychiques de combattants.
Un peu plus tard, un nouveau membre les rejoint, soit un total de 29 membres dans la maison du mont Haruna, et même 30 si l’on compte le bébé de l’un des couples.
Cinq personnes assiégées
En août 1971 déjà, la Gauche Révolutionnaire avait exécuté deux de ses membres, un homme et une femme, qui s’étaient échappés d’une précédente base. 8 hommes et 4 femmes seront ensuite exécutés sur le mont Haruna, soit 14 victimes au total. Dans quelles circonstances ? C’est ce que nous allons maintenant découvrir.
Tout d’abord, Mori Tsuneo (26 ans), le leader de la Fraction Armée Rouge, entreprend d’asseoir son hégémonie. En réponse, Nagata Hiroko (26 ans), la présidente de la Gauche Révolutionnaire, s’en prend indirectement à lui en jugeant problématique l’attitude de la seule femme membre de la Fraction Armée Rouge. Après cette contre-attaque, Mori exige que les combattants effectuent leur « transformation communiste ». Mori entend par là encourager les combattants révolutionnaires à acquérir les qualités pour se battre pour la guerre révolutionnaire jusqu’à l’anéantissement. Cette transformation passe par l’exigence que les combattants dont le comportement est jugé problématique effectuent leur « synthèse ».
En fin de compte, la violence est devenue systématique pour « favoriser la synthèse » : 12 personnes en sont mortes. Ceux qui sont morts avant d’avoir mené à bout leur synthèse étaient déclarés « vaincus », d’autres personnes ont été lynchées ou encore « condamnées à mort » et exécutées. Parmi les facteurs qui ont favorisé cette situation, on peut citer le manque de cohérence dans la pensée politique des deux groupuscules d’origine, l’incompétence des leaders, l’incapacité des cadres à rectifier la dérive, et l’aveuglement des simples membres qui ont suivi le mouvement sans se poser de questions. Également l’environnement très rude dans une zone montagneuse extrêmement froide, et la précarité alimentaire.
Alors que le bilan s’alourdissait, quatre membres (deux hommes et deux femmes) ont saisi l’un après l’autre la première opportunité qui se présentait et ont réussi à s’enfuir. L’une des femmes était la mère du bébé qui lui avait été retiré, et l’autre s’est enfuie avec ce bébé, dont elle avait la garde. Comprenant qu’ils ne pouvaient plus demeurer dans leur base du mont Haruna, le groupe restant est passé temporairement par le mont Kaba, et c’est lors d’un nouveau transfert, sur le point d’atteindre une autre base sur le mont Myôgi que 4 d’entre eux, dont Mori et Nagata, sont arrêtés. Les neuf restant abandonnent la base du mont Myôgi et traversent la montagne jusqu’à Karuizawa. Mais 4 sont arrêtés à la gare de Karuizawa où ils étaient descendus pour faire quelques achats. Il n’en reste alors plus que 5, qui investissent le chalet Asama et s’y barricadent.
La nouvelle gauche en régression après l’incident
Dès le début du siège de du chalet Asama, Gotôda Masaharu, commissaire général de l’Agence nationale de la police, donne l’instruction suivante : « Tous ces criminels doivent être arrêtés vivants. Si nous les abattons, ils deviendront des martyrs, et resterons notre problème jusqu’à la fin des temps ».
C’était au plus fort de la guerre du Vietnam. Les mouvements pacifistes et de soutien au peuple vietnamien étaient très puissants, en particulier parmi les étudiants, et bénéficiaient d’un large soutien parmi la population.
L’incident du chalet Asama a marqué le retournement de la population japonaise qui avait jusque-là regardé les actions de l’Armée Rouge Unifiée avec une certaine sympathie. Quand, après la fin du siège et l’arrestation des 5 de l’Asama, a été révélée la purge de 14 membres par leurs propres camarades, cela a durablement dissuadé de nombreux sympathisants de rejoindre le mouvement de la Nouvelle Gauche, dont le déclin fut dès lors inexorable.
La Fraction Armée Rouge cherche des opportunités à l’étranger
Comme nous l’avons déjà indiqué, la Fraction Armée Rouge cherchait à établir des bases internationales pour ses activités en dehors du Japon. Dès le 31 mars 1970, bien avant l’incident du chalet Asama, Tamiya Takamaro et 9 autres activistes avaient détourné un avion de la Japan Airlines sur la Corée du Nord. C’est l’affaire dite « détournement du Yodo »
D’autre part, Shigenobu Fusako, membre féminin de la première heure de la Fraction Armée Rouge, avait quitté l’Archipel et rejoint le Front de Libération de la Palestine après avoir contracté un mariage blanc avec Okudaira Tsuyoshi, lequel se suicida à la grenade lors de l’incident dit de la « fusillade de l’aéroport de Tel-Aviv » en compagnie de 2 autres membres le 30 mai 1972. De son exil au Liban, Shigenobu organisa l’Armée Rouge Japonaise. Ce dernier était en désaccord avec Mori Tsuneo, ce qui l’incita à continuer la lutte hors du Japon, faisant semblant d’abandonner la Fraction Armée Rouge à Mori. Cette Fraction Armée Rouge est également appelée la « 2e Fraction Armée Rouge, de façon à la distinguer de la 1e, dirigée par Shiomi Takaya, arrêté par la police le 15 mars 1970, soit avant le détournement du Yodo.
Groupuscule constitué en décembre 1974, l’Armée Rouge Japonaise a revendiqué l’occupation et la prise d’otages des ambassades américaine et suédoise à Kuala Lumpur, en Malaisie, le 4 août 1975, revendiquant la libération de Bandô Kunio et d’autres personnes jugées au même moment pour l’incident du chalet Asama et d’autres crimes.
Bandô fut libéré par mesure extra-judiciaire et quitta le Japon. Il fait aujourd’hui encore l’objet d’un mandat de recherche international. Yoshino purge une peine de prison à vie, et les frères Katô ont été libérés. L’aîné est sorti de prison et le cadet du centre d’éducation pour mineurs. Sakaguchi Hiroshi, le leader du groupe lors de l’incident du chalet Asama, a refusé de quitter le pays quand l’incident de Kuala Lumpur lui offrait une opportunité de partir comme Bandô, déclarant au téléphone au commando de Kuala Lumpur que « la lutte armée était une erreur ». Il a ensuite été condamné à mort et emprisonné à la prison de Tokyo. Mais la peine capitale ne sera pas exécutée tant que Bandô n’est pas arrêté et condamné. Ainsi, l’affaire de la Fraction Armée Rouge Unifiée n’est toujours pas terminée.
Chronologie des actions de la Fraction Armée Rouge et de la Gauche Révolutionnaire
Année | Date | Principaux événements |
---|---|---|
1958 | 10 décembre | Création de la Ligue communiste |
1959-60 | Lutte contre le Traité de sécurité américano-japonais de 1960 (mouvement Anpo) | |
1969 | 12 avril | Création de la Gauche Révolutionnaire |
28 août | Sission de la ligue communiste et création de la Fraction Armée Rouge | |
1970 | Lutte contre le Traité de sécurité américano-japonais de 1970 | |
31 mars | Détournement du Yodo | |
1971 | 15 juillet | Union de la Fraction Armée Rouge et de la Gauche Révolutionnaire pour former l’Armée Rouge Unifiée |
Entre le 4 et 10 août | Assassinat d’une femme et un homme qui tentaient de quitter le groupe de la Gauche Révolutionnaire | |
1972 | 2 janvier | Les 28 membres de l’Armée Rouge Unifiée (dont 3 sont déjà morts à ce stade) se rassemblent dans une base de montagne sur le mont Haruna, dans la préfecture de Gunma |
19 février | Cinq membres de l’Armée Rouge Unifiée se barricadent dans le chalet Asama (une maison de repos appartenant à la compagnie Kawai Musical Instruments Manufacturing Co., Ltd) | |
22 février | Un civil est touché par balle (décédé le 1er mars) | |
28 février | Cinq personnes arrêtées pour effraction, deux policiers molestés | |
Du 7 au 14 mars | Exhumation d’un total de 14 victimes de lynchage | |
30 mars | Fusillade à l’aéroport de Tel Aviv (revendiquée à postériori par l’Armée Rouge Japonaise), avec 24 personnes tuées (26 en comptant les auteurs de la fusillade) et 76 blessés graves | |
1974 | Décembre | Formation de l’Armée Rouge japonaise |
1975 | 4 et 5 août | Incident de Kuala Lumpur (attaque de l’Armée Rouge Japonaise contre les ambassades américaine et suédoise) |
1997 | 15 février | Cinq membres de l’Armée Rouge Japonaise en exil au Liban sont interpellés ; Okamoto Kôzô, qui a obtenu l’asile politique dans ce pays, est relâché |
2000 | 8 novembre | Shigenobu Fusako arrêtée au Japon |
2001 | 14 avril | Shigenobu annonce la dissolution de l’Armée Rouge Japonaise depuis sa cellule |
Chronologie établie par Nippon.com
(Photo de titre : février 1972, un policier pointe une arme contre le chalet Asama, à Karuizawa, préfecture de Nagano. Kyodo)
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