L’isolement social au Japon

La réalité de l’isolement social au Japon : l’assistanat critiqué et la peur d’être jugé

Société

Ishida Mitsunori [Profil]

Pourquoi le problème de l’isolement social et de la solitude est-il exarcerbé au Japon ? Si la pandémie n’a certes pas aidé à améliorer la situation, la raison est plutôt à chercher dans les comportements des Japonais eux-mêmes envers les gens qui ont besoin d’assistance et qui ont peur de devenir « dérangeants » pour autrui.

La protection sociale : un système d’assistanat critiqué

La gravité de l’isolement social pourrait être attenué par la mise en place d’une société plus solidaire qui garantirait la subsistance des gens sans avoir à compter sur les autres. Mais l’antipathie innée envers la dépendance est aussi la raison pour laquelle les gens rechignent à accepter le soutien du gouvernement. C’est un cercle vicieux.

Le Japon est doté d’un système de protection sociale qui garantit un minimum vital à ses citoyens. C’est la manifestation pratique de la garantie constitutionnelle au « droit de maintenir des normes minimales pour une vie saine et cultivée ». Par contre, l’idée qu’il est « normal d’être protégé » n’y est pas vraiment répandue.

Par ailleurs, certains continuent de refuser absolument toute aide sociale malgré les soutiens qui leur sont proposés. Notons aussi qu’il n’est pas rare d’être critiqué en recevant une assistance car oui, assumer sa dépendance en sollicitant l’aide d’autrui reste toujours un tabou.

La sécurité sociale est, bien sûr, financée par les impôts, et peut donc être considéré comme un système d’aide mutuelle auquel tous ont droit. Mais ceux ayant une perspective moins généreuse croient qu’un tel système d’assistanat place un fardeau sur les contribuables. Ils se demandent : « Pourquoi aider les gens incapables et réticents de faire l’effort nécessaire pour subvenir à leurs besoins ? » Les personnes visées par cette question veulent éviter d’être mal vues ou harcelées, et elles finissent par se détourner des aides disponibles.

Ceux qui se tournent à contrecœur vers le système de sécurité sociale au Japon se trouvent donc dans des circonstances inéluctables pour des raisons indépendantes de leur volonté.

L’isolement social comme prix à payer pour la discipline

Le respect de l’individu et de la liberté entraine nécessairement des restrictions, créant ainsi une société d’un type particulier. Si le Japon peut paraître comme une société libre, éviter délibérément de déranger les autres impose de fortes contraintes sur chacun. Depuis le début de la pandémie de Covid-19 sur l’Archipel, les gens ont porté des masques et adapté leur comportement. Même sans la mise en place de mesures sévères, ils ont pu évité un raz-de-marée des cas d’infections comme c’est malheureusement le cas aux États-Unis ou en Europe. En revanche, ceux qui ne respectent pas les règles — et même ceux qui ont contracté le coronavirus — ont été considérés comme des nuisances par la société japonaise en général.

Le taux élevé de personnes en situation de solitude et d’isolement social au Japon est le prix à payer pour l’ordre et la discipline dans la société, ancrés dans la tendance à privilégier la responsabilité individuelle envers les autres et la société, plutôt que ses propres droits.

(Photo de titre : Pixta)

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Ishida MitsunoriArticles de l'auteur

Professeur à l’université de Waseda. Il fait ses études supérieures en sciences sociales à l’université métropolitaine de Tokyo d’où il obtient un doctorat en sociologie. Il enseigne à l’université pour filles d’Ôtsuma, avant de devenir professeur adjoint à l’université de Waseda, puis professeur agrégé en 2016. Ses recherches portent sur les liens sociaux dans la société contemporaine, y compris l’isolement et les problèmes liés à l’amitié. Ses œuvres comprennent « Le chemin difficile vers la création de liens » (Tsunagari-zukuri no airo), « Une société d’isolement et d’insécurité » (Koritsu fuan shakai) et « L’histoire sociale de l’amitié » (Yûjin no shakaishi).

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