L’agriculture intelligente au Japon : les avancées technologiques changent le visage du monde agricole

Technologie

L’agriculture intelligente, qui a recours à des technologies telles que la robotique et l’IA, a été brandie comme un moyen pour le Japon de remédier à la diminution et au vieillissement de sa population d’agriculteurs. Un expert en agronomie nous présente ici des robots prometteurs et examine la façon dont les innovations et l’Internet des objets (IdO) sont en train de changer le secteur agroalimentaire, et les transformations qui vont en résulter dans ce secteur d’activités.

Un paysage agricole japonais en mutation

Le secteur agricole japonais est confronté à une grave pénurie de main-d'œuvre due à la diminution et au vieillissement de sa population d’agriculteurs. Depuis 2015, le nombre d’agriculteurs a chuté de 22,4 % dans le pays et, au cours de la même période, leur âge moyen a augmenté de 0,8 an pour atteindre 67,8 ans. Sachant qu’on doit s’attendre à ce que ces tendances aillent en s’aggravant, l’agriculture dite « intelligente », qui a recours aux robots et à d’autres technologies peu gourmandes en main-d'œuvre, apparaît de plus en plus comme essentielle au bien-être de ce secteur d’activités.

Ailleurs dans le monde aussi, des scientifiques se sont mis en quête de solutions de haute technologie pour faire face aux effets dévastateurs du changement climatique sur l’agriculture, notamment les sécheresses et la perte de terres arables due à la désertification, et pour répondre à la demande alimentaire en expansion d’une population mondiale qui ne cesse d’augmenter. À mesure des progrès de la technologie, l’agriculture intelligente transforme l’activité agricole, qui s’éloigne du modèle lourdement tributaire de l’expérience et de l’intuition des agriculteurs pour devenir une industrie axée sur les données, et ce processus ouvre le secteur à un plus large éventail de participants. Dans le texte qui suit, je me livre à un examen approfondi de l’essor rapide de l’agriculture intelligente au Japon et ailleurs, et me penche sur les perspectives d’avenir de ce modèle agricole.

La technologie satellitaire pour surveiller le grain de riz

Une caractéristique déterminante de l’agriculture intelligente réside dans l’usage de la technologie en vue de mieux planifier et gérer les récoltes. On peut citer à ce titre le recours à l’imagerie satellitaire pour déterminer les caractéristiques des sols, surveiller le développement des plantes, estimer les rendements ou encore l’analyse les données portant sur les conditions météorologiques à des fins de gestion des récoltes et l’usage des drones et des moissonneuses high-tech. Armés de tels outils, les cultivateurs sont en mesure d’améliorer l’efficacité de leurs pratiques, par exemple en veillant à la précision dans l’épandage des produits chimiques tels que les pesticides et les engrais, avec les gains qui en résultent pour eux tant en termes d’économie de temps et d’énergie que d’augmentation de la productivité.

L’agriculture intelligente a en outre le mérite de s’avérer avantageuse non seulement aux exploitants pris individuellement mais encore aux collectivités agricoles, via l’augmentation de la productivité et le soutien qu’elle apporte à la puissance économique de la profession. Les riziculteurs, par exemple, peuvent se servir de cartes en temps réel basées sur les données provenant de l’imagerie satellitaire pour contrôler avec davantage de précision les niveaux d’azote des jeunes plants à mesure de leur développement, pour ensuite leur fournir de l’engrais selon leurs besoins. La technologie satellitaire permet aussi de vérifier le niveau de protéine dans les grains de riz, qui constitue pour les riziculteurs un précieux indicateur en termes de goût et les aide à décider du meilleur moment pour la récolte. En ajustant ses pratiques aux données les plus récentes, on peut obtenir des récoltes plus abondantes et de meilleure qualité tout en maintenant la régularité de la production d’une saison à l’autre. En permettant aussi de s’assurer de la pérennité de certaines qualités et caractéristiques spécifiques, cette façon de faire ouvre la voie au développement de marques régionales de riz et autres produits agricoles offrant de plus grandes possibilités de commercialisation à l’échelle nationale.

Une multitude de données précieuses fournies aux agriculteurs

L’attribution de marques aux produits agricoles offre une perspective lucrative aux producteurs, dans la mesure où elle ouvre leurs produits à un plus vaste éventail de consommateurs, tant au Japon qu’à l’étranger. L’agriculture intelligente aide les producteurs locaux à bâtir et à diffuser leurs marques en renforçant leur maîtrise de facteurs tels que la qualité et le rendement, ce qui leur permet de mieux répondre aux besoins et aux demandes des consommateurs. Outre cela, les agriculteurs des zones concernées peuvent recourir à des technologies intelligentes telles que les simulations de croissance reposant sur les prévisions météorologiques et la télédétection en vue de coordonner les dates de récolte et d’expédition aussi bien entre eux qu’avec les distributeurs et les acteurs de l’industrie alimentaire, en garantissant la pérennité des stocks tout en diminuant les coûts de logistique.

Les agriculteurs japonais ont d’ores et déjà accès à un large éventail de données concernant des facteurs tels que la météorologie, les types de sols, les conditions de croissance et la gestion des récoltes. Toutefois, l’information est éparpillée sur différentes plates-formes et, jusqu’à une date relativement récente, les producteurs ne disposaient d’aucun moyen pour accéder simplement et à moindre frais à ce vaste ensemble de données. Pour remédier à cette situation, l’Organisation nationale pour la recherche agricole et alimentaire a conçu une plate-forme collaborative de données agricoles qu’elle a lancée en 2019. Baptisée Wagri — un mot valise qui associe le terme wa, qui veut dire « harmonie » en japonais et agriculture —, cette plate-forme collecte et classe des

données liées à l’agriculture dispersées sur divers bases de données et sites internet.

Grâce à ce système, les agriculteurs désireux de gérer leurs récoltes disposent d’un accès facile et peu coûteux à une information spécialisée, tant publique que privée, ainsi qu’aux données provenant des vendeurs de technologies de l’information et des fabricants de matériel agricole.

Une agriculture autonome

Un autre aspect fondamental de l’agriculture intelligente réside dans l’automatisation du matériel agricole. Notre équipe du Laboratoire de robotique des véhicules de l’Université de Hokkaidô a participé à la mise au point du premier tracteur japonais entièrement automoteur, devenu disponible à l’achat en 2018. Ce modèle, différent des tracteurs et des machines à planter le riz commandés à distance alors en usage, est équipé de capteurs AS et de logiciels lui permettant de s’arrêter automatiquement en cas de détection d’un obstacle, et doté d’autres caractéristiques garantissant la sécurité de son fonctionnement en l’absence de toute intervention humaine. Les tracteurs robots sont certes autonomes, mais ils ne peuvent fonctionner que si quelqu’un se trouve à proximité pour surveiller leur activité.

À mesure des avancées de la technologie, l’éventail du matériel agricole automatisé présent sur le marché a continué de s’élargir. Parmi les nouvelles offres figurent une faucheuse autonome qui débroussaille les talus séparant les parcelles et un robot qui cueille et récolte les feuilles des théiers. Le regard tourné vers la prochaine génération d’équipements autonomes, l’industrie, les universités et les pouvoirs publics travaillent en étroite collaboration au développement de robots agricoles contrôlables à distance et dotés d’une pleine et entière indépendance de mouvements.

Les robots agricoles autonomes reliés à un système de commande à distance pourraient apporter des améliorations appréciables en termes d’efficacité. Les robots se déplaceraient en toute autonomie entre les rangs et les parcelles, et il suffirait d’un poste de surveillance doté d’une seule personne pour gérer simultanément leurs activités sur une pluralité d’endroits. La recherche récente s’est focalisée sur l’usage à grande échelle de robots agricoles employant les technologies de la 5G et de l’IA et laissant l’imagerie de haute définition se charger de tâches précises telles que l’amendement ciblé ou l’identification et l’enlèvement rapides des plantes malades et des parasites. Ce n’est que la pointe de l’iceberg en ce qui concerne le potentiel de ces technologies. Les dernières avancées de l’informatique, qui autorisent une analyse rapide de l’information transmise via les réseaux de 5G, annoncent l’avènement d’une ère nouvelle de l’agriculture intelligente en ouvrant la voie aux systèmes complexes requis pour la gestion de groupes multiples de robots agricoles.

En vidéo : l’efficacité de l’agriculture intelligente au Japon

Un robot capable de détecter la maturation d’un fruit ?

Au Japon et ailleurs, on consacre beaucoup d’énergie à la mise au point de moissonneuses destinées à la récolte de plantes comme les fraises, les tomates et les asperges, traditionnellement cueillies à la main. L’efficacité du fonctionnement des moissonneuses autonomes dépend principalement de trois facteurs — détection, maniement et conduite —, dont les deux premiers sont primordiaux. Techniquement parlant, la mise au point de robots capables de détecter le moment où un fruit ou tout autre produit est mûr et de le localiser précisément représente un gigantesque défi.

Le fait que, une fois récoltés, les produits doivent être promptement triés selon un processus qui ne les blesse ou ne les abîme en aucune façon pose un autre problème. La maîtrise du progrès constitue un marché lucratif pour les fraises et autres fruits japonais haut de gamme dans divers pays d’Asie et d’Océanie, à tel point que le secteur agricole japonais mise sur l’introduction des moissonneuses robots pour permettre aux exploitants de faire face à l’augmentation prévue de la demande.

Un véhicule électrique autonome effectue des pulvérisations sur les arbres d'un verger. (© Noguchi Noburu)
Un véhicule électrique autonome effectue des pulvérisations sur les arbres d’un verger. (Photo avec l’aimable autorisation de l’auteur)

L’accroissement du potentiel d’exportation

Les opportunités d’exportation progressent pour le Japon non seulement dans le domaine des produits agricoles mais aussi en ce qui concerne la technologie même de l’agriculture intelligente. Le pays dispose d’un avantage dans le domaine de la mise au point des petits tracteurs automoteurs. Les exploitations japonaises sont en règle générale plus compactes que les vastes étendues de terre agricole communes à l’étranger, si bien que leurs besoins de gros matériel sont plus réduits. En Amérique du Nord et en Europe, l’usage de tracteurs surdimensionnés et d’engins multifonctionnels se voit remis en question pour la quantité de carburant consommé et les effets nuisibles infligés aux récoltes par le compactage des sols. En fait, plus de 90 % des coûts en énergie liés à l’usage des tracteurs sont dus à la nécessité de ramollir les sols durcis, si bien que les modèles plus petits et ceux qui fonctionnent à l’électricité deviennent des options attractives pour les exploitants soucieux de réduire leurs frais généraux. Le déplacement d’engins encombrants et peu maniables entre les parcelles est lui aussi problématique, particulièrement au vu des règles de la circulation en vigueur dans les pays qui interdisent à ce genre de véhicules l’accès au réseau routier public.

En 2017, l’université britannique Harper Adams a utilisé un petit tracteur fabriqué au Japon dans le cadre de son projet Hands Free Hectare (Hectare sans les mains), qui vise à parvenir à un cycle de culture pleinement autonome, du labour à la récolte, sur une parcelle carrée de 100 mètres sur 100. Cette initiative, dont l’objectif final est l’obtention d’un système évolutif, fait appel aux capacités de robots agricoles totalement autonomes.

En Amérique du Nord et en Europe, l’effort d’automatisation se focalise sur l’amélioration de la croissance des cultures, pour laquelle il est indispensable de disposer de robots aptes à se charger des tâches auxquelles les équipements conventionnels ne sont pas adaptés et à remplacer la main-d'œuvre là où les coûts sont particulièrement élevés en termes d’argent comme de temps. L’élaboration de systèmes faisant appel à de petits véhicules électriques qui, outre les avantages qu’ils offrent en matière de rendement énergétique et de facilité d’entretien, ne compactent pas excessivement les sols et fonctionnent en toute sécurité, à moindres frais et quelles que soient les conditions météorologiques, suscite beaucoup d’intérêt. À l’échelle planétaire, on observe aussi une montée en puissance des systèmes capables de coordonner des cohortes de petits robots chargés d’accomplir des tâches agricoles bien précises.

Tracteurs entièrement autonomes s'apprêtant à labourer un champ en tandem. (© Noguchi Noboru)
Tracteurs entièrement autonomes s’apprêtant à labourer un champ en tandem. (Photo avec l’aimable autorisation de l’auteur)

Ajuster la technologie aux besoins régionaux

Les mérites de l’agriculture intelligente pour les agriculteurs japonais sont abondants. On peut citer la résolution des pénuries de main-d'œuvre, la préservation numérique et la transmission des savoir-faire agricoles, la baisse des coûts de production, l’augmentation qualitative et quantitative des récoltes, l’encouragement à la conversion d’une démarche « sortie de produits », visant à obtenir des produits conformes aux normes établies du côté des agriculteurs, à une approche « entrée sur le marché » prenant en considération les besoins des consommateurs, ainsi que le renforcement de l’attrait de l’agriculture. Mais la transition ne se produira pas du jour au lendemain, d’autant qu’il faudra du temps pour convaincre les producteurs que les bénéfices de l’investissement dans les systèmes intelligents justifient les coûts. C’est particulièrement vrai dans les régions où les techniques de récolte et de culture ont pris leur essor en réaction à la situation locale, et où il est donc essentiel d’ajuster les technologies de l’agriculture intelligente aux besoins régionaux.

Il est indéniable que l’agriculture intelligente avance à grands pas. Pour que ce rythme se maintienne, les parties prenantes, telles que les autorités locales, les centres de développement et d’extension des exploitations de toutes les préfectures, le groupe des Coopératives agricoles du Japon et les producteurs, doivent surveiller attentivement les avancées qui surviennent dans le domaine en rapide évolution dans cette activité.

(Photo de titre : l’image futuriste d’une cohorte de robots agricoles travaillant un champ. Photo avec l’aimable autorisation de l’auteur)

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