
L’empereur du Japon en tant que « symbole » : une notion qui a évolué avec le temps
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Autrefois, une double notion du statut de l’empereur
Au Japon, de nombreuses personnes souhaitaient l’annulation des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo en raison de la pandémie, et parmi elles, certaines demandaient même que l’empereur Naruhito, qui était président d’honneur de l’événement, exprime son opposition. Mais de par sa position « symbolique », le souverain n’avait pas l’autorité de s’exprimer sur ce qui était considéré comme une affaire à caractère politique. Par conséquent, Nishimura Yasuhiko, grand intendant de l’Agence de la maison impériale, a déclaré que Naruhito était soucieux de l’augmentation des cas d’infection et que ses pensées étaient avec le peuple, laissant deviner son inquiétude. Ceci montre bien l’équilibre fragile sur lequel est fondé l’existence de l’empereur.
Par la Constitution de Meiji de 1889, qui établissait la loi fondamentale du Japon avant la guerre, les doubles notions d’une lignée impériale ininterrompue depuis des millénaires et d’une souveraineté qui dépendait de la Constitution coexistaient, créant un équilibre idéal au niveau du statut de l’empereur. Ce statut de symbole du pouvoir a par ailleurs été utilisé pour renverser le shogunat. Au niveau international, par contre, le souverain du Japon a été présenté comme une présence qui régnerait en respectant l’état des lois, selon les normes de la société internationale.
Ces deux notions étaient nécessaires au bon fonctionnement de l’État durant l’ère Meiji. Dans le Japon d’avant-guerre, elles se sont manifestées de façons différentes, l’une prenant le devant sur l’autre selon l’époque.
Le début du XXe siècle a marqué l’arrivée d’une société de consommation au Japon, autour d’une urbanisation rapide et de la présence croissante de journaux, magazines et autres médias. Les valeurs européennes de la démocratie ont aussi commencé à gagner du terrain, suscitant un mouvement pour mettre en place un système politique tenant compte de la volonté du peuple. C’est ainsi qu’un mode de gouvernement excluant au possible la volonté de l’empereur a été instauré. Les médias poussaient de même l’idée d’un système impérial en phase avec la tendance démocratique.
Pendant cette période, l’idée d’un souverain conforme aux principes constitutionnels gagnait du terrain. Ce concept a toutefois reculé avec l’arrivée de l’ère Shôwa (1926-1989), et c’est la notion de l’empereur comme instrument de pouvoir qui a pris le dessus et finalement mené à la guerre.
Une vision « démocratique » du souverain japonais établie par l’Occident
Après la défaite du Japon en 1945, l’ancien système impérial du début de l’ère moderne devait clairement être revu. Ceux qui voulaient rejeter la responsabilité de la guerre sur l’empereur étaient de plus en plus nombreux parmi les alliés, et la survie du système impérial était en péril. Le Commandement suprême des forces alliées, par contre, avait d’autres idées : mettre en place un processus de démocratisation qui assurerait que le Japon ne ferait plus jamais face aux alliés par la suite. Des études commencées aux États-Unis bien avant la fin de la guerre avaient également démontré l’importance capitale de laisser en place le système impérial pour le succès de l’occupation.
Il était clair, par contre, que l’opinion publique parmi les alliés ne se serait pas contentée de laisser les choses telles quelles, et c’est justement cela qui a mené le Commandement suprême des forces alliées à travailler pour la démocratisation du système impérial, à commencer par la « Déclaration d’humanité » prononcée par l’empereur Hirohito. L’expression finale de cette démarche s’inscrit dans son rôle de « symbole de l’État » tel qu’il est exprimé dans la Constitution d’après-guerre du Japon. C’est en plaçant des limites juridiques à son pouvoir, et restreignant ses actions aux fonctions cérémonielles, qu’ils ont pu présenter au monde un système impérial d’après-guerre qui était différent.
Le début des tournées impériales
De leur côté, les Japonais, malgré la défaite, tenaient à garder en place un système impérial qui se rapprochait de celui du début du siècle. En fin de compte, ils n’ont pas eu d’autre choix que d’accepter la proposition du Commandement suprême des forces alliées, faisant de l’empereur un « symbole ». Néanmoins, la vraie nature de ce symbolisme est restée très vague. Selon son interprétation, les Japonais y ont aussi vu la possibilité de le rapprocher de la notion qu’ils avaient en tête.
Les visites de l’empereur Hirohito à travers le Japon après la guerre semblent se rapprocher de cette notion. L’article 4 de la Constitution stipule que « L’empereur ne peut exercer que les seules fonctions prévues par la présente Constitution en matière de représentation de l’État ».
Aucune mention de tournées impériales. De nos jours, ces visites sont interprétées en tant que « fonctions de représentation de l’État » provenant de son rôle de symbole. Le Commandement suprême des forces alliées pensait que la démocratisation représentée par ces tournées, où le souverain irait à la rencontre du peuple, serait du goût de la communauté mondiale. En même temps, il était clair que cette démarche était nécessaire pour réconforter une population complètement démunie par la capitulation.
Les tournées à travers le Japon ont commencé en février 1946. Sur cette photo, l’empereur Hirohito rend visite aux habitants de Yokohama . (© Kyôdô)
En réalité, le Commandement suprême des forces alliées reconnaissait l’autorité de l’empereur et a voulu s’en servir. Les Japonais partageaient son avis, et les deux côtés étant sur la même longueur d’onde, les tournées ont débuté. Parmi le peuple, ceux qui avaient été éduqués avant la guerre y ont vu un côté autoritaire, mais les médias ont tant travaillé à mettre en valeur les changements positifs du système impérial que beaucoup ont fini par apprécier cette nouvelle « présence impériale ». Bien que les tournées aient été mises en place dans l’objectif premier de renforcer la puissance et l’autorité de l’empereur, elles ont plutôt été perçues comme une évolution d’après-guerre vers la démocratie.
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