Au nom du mensonge : les fausses informations diffusées par le Quartier général impérial japonais pendant la guerre

Histoire

Pendant la Guerre du Pacifique, les victoires japonaises étaient annoncées à la nation l’une après l’autre par les communiqués de l’état-major de l’armée. Au début du conflit, ces communiqués transmettaient la réalité objective, mais avec la détérioration de la situation militaire, plus la défaite se rapprochait et plus les falsifications et les fabrications sont devenues une habitude. Quelle était la nature de ces communiqués ? Quels facteurs ont mené à devoir propager ces mensonges ?

Des mensonges qui dépassent l’imagination

Les communiqués de l’état-major de l’armée japonaise sur la situation des combats ont été émis entre novembre 1937 et août 1945, c’est-à-dire depuis le début de la guerre sino-japonaise à la fin de la Guerre du Pacifique. Leur nom officiel était « communiqués du Quartier général impérial » (Daihon’ei happyô).

Plus la situation tournait au désavantage du Japon, plus ces communiqués devenaient mensongers, proclamant toujours plus de victoires. Les médias les acceptaient sans jamais les remettre en question, et la nation se réjouissaient de ces annonces dénuées de véracité. Cela a été considéré comme une heure sombre de l’histoire des médias japonais.

Il y aura sans doute des gens pour dire que la propagande est un moyen classique utilisé par un gouvernement militaire. Oui, dans tous les pays, en temps de guerre, on a tendance à minimiser les défaites et à agrandir les victoires pour exalter le courage des soldats et du peuple. Mais les communiqués du Quartier général impérial, eux, étaient des mensonges qui dépassaient l’entendement.

Prenons des exemples concrets. Pendant la Guerre du Pacifique, les communiqués ont annoncé que les forces japonaises avaient coulé 43 cuirassés des forces alliées, et 84 porte-avions. En réalité, les pertes des forces alliées s’élevaient à quatre cuirassés, et onze porte-avions, soit précisément un multiple de 10,75 pour les premiers, et de 7,6 pour les seconds. Et les pertes japonaises avaient pour leur part été minimisées, les 8 cuirassés coulés étaient devenus trois, et les 19 porte-avions, quatre.

L’amplification des succès et la dissimulation des défaites s’appliquaient aussi aux chiffres des autres bâtiments coulés, croiseurs, contre-torpilleurs, sous-marins ou cargos, ainsi qu’aux avions et aux pertes humaines.

Les mensonges des communiqués du Quartier général impérial se manifestaient aussi à travers le langage qu’ils utilisaient. Les retraites des forces défensives devenaient des redéploiements, et la mort au combat était glorifiée en mort honorable. Les terribles défaites terrestres ne faisaient l’objet que de quelques lignes, alors que les résultats des offensives spéciales des kamikazes étaient exagérément amplifiés. Les dégâts causés par les attaques aériennes étaient toujours « minimes », quand ils n’étaient pas dissimulés, au prétexte que « les enquêtes à leur sujet n’étaient pas encore achevées ».

Avec la dégradation de la situation militaire, le Quartier général impérial a perdu le sens de la réalité et les annonces des bureaucrates de l’armée se sont transformés en textes vides de sens. Les Japonais qui avaient soutenu au début leurs troupes ont fini par avoir des doutes, et vers la fin du conflit ne croyaient presque plus à ce que disaient les communiqués.

Quatre raisons pour véhiculer de fausses informations

Pourquoi les communiqués étaient-ils à ce point mensongers ? On peut envisager quatre raisons.

La discorde interne à l’organisation est la première. L’armée japonaise n’avait en réalité pas de structure la coordonnant dans sa globalité. Le Quartier général impérial était composé de l’armée de terre et de la marine, et l’empereur Hirohito qui en était le chef suprême n’avait qu’une présence nominale. Il existait une opposition non seulement entre l’armée de terre et la marine, mais aussi au sein de l’administration militaire (entre le ministère de l’armée de terre et celui de la marine), et entre les états-majors de l’armée de terre et de la marine. De plus, au sein des états-majors existait une opposition entre les spécialistes de la stratégie et ceux du renseignement.

Comme les communiqués du Quartier général impérial émanaient du niveau le plus élevé pour les forces japonaises, ils nécessitaient avant leur publication l’approbation de toutes les structures et divisions. C’est la raison pour laquelle ils reflétaient parfois les discordes entre elles. Si « A » soulignait la nécessité d’annoncer une défaite, « B » réagissait en affirmant que cela nuirait au moral de la nation.

Étant donné que la division des communiqués qui s’occupait de les publier n’exerçait qu’une faible autorité, elle était affectée par les divergences d’opinion, et devait dépenser beaucoup d’énergie à les faire converger. Tout cela faisait que le contenu des communiqués avait tendance à refléter les compromis, les ambiguïtés, et les ambivalences des différentes structures et divisions.

La deuxième raison est le mépris avec lequel les informations étaient traitées. Cela a souvent été souligné, mais l’incompétence manifestée par l’armée japonaise était grave. L’influence néfaste que cela provoquait était la plus visible dans la vérification de l’impact des offensives aériennes. Comme la surveillance par satellite n’existait pas encore, cette vérification était très difficile. L’armée japonaise s’appuyait entièrement sur les rapports des pilotes qui avaient participé à ces opérations. Et à l’époque où le Japon dominait, cela marchait. Mais lorsque la situation s’est détériorée, le niveau de compétence des pilotes et leur taux de retour à leur base ont baissé, ainsi que l’exactitude de leurs informations. Malgré cela, ni les unités combattantes ni le Quartier général impérial ne les vérifiaient rigoureusement. Au contraire, comme on souhaitait la victoire, les informations exagérées étaient prises pour argent comptant. D’où ce paradoxe par lequel plus la situation se dégradait, plus les résultats étaient exagérés.

La troisième raison est la dégradation rapide de la situation militaire. Ce n’est pas difficile à comprendre : quand l’armée japonaise gagnait, il n’était pas nécessaire de cacher les pertes ni de falsifier les résultats. Annoncer les choses comme elles s’étaient passées suffisait. Mais à partir de 1943, les rôles du Japon et des États-Unis se sont inversés, et la situation a changé du tout au tout. Cela a immédiatement entraîné des dissensions entre les différentes organisations, et conduit à des interventions dans le texte des communiqués. De plus, comme les informations du front étaient inexactes en raison de l’affaiblissement du Japon, le Quartier général impérial a commencé à ajouter aux communiqués des observations optimistes. La détérioration de la situation militaire a en d’autres termes exposé les faiblesses inhérentes à la structure de l’armée japonaise.

La quatrième et dernière raison est la fusion entre le pouvoir (l’armée) et les médias. C’est avant tout à cause d’elle que les communiqués du Quartier général impérial sont devenus si mensongers. Si les médias avaient relevé leurs incohérences et leurs mensonges, la nation n’aurait sans doute pas été trompée à ce point. Il ne fait aucun doute que si les militaires du Quartier général impérial avaient su que les médias procédaient à une vérification rigoureuse, ils n’auraient pas publié de communiqués aussi déraisonnables. Mais les médias étaient devenus leurs sous-traitants et avaient renoncé à leur rôle essentiel de contrôle du pouvoir. Plus rien ne faisait obstacle à la folle fuite en avant du Quartier général impérial.

Les leçons à tirer pour aujourd’hui

Les médias japonais n’ont naturellement pas toujours été à la botte de l’armée. Entre l’ère Taishô (1912-1926), et le début de l’ère Shôwa (1926-1989), de nombreux journaux ont adopté une ferme position critique vis-à-vis de l’armée, dans le contexte de la « démocratie Taishô » et de la tendance mondiale à la démilitarisation qui prévalait alors.

Tout a changé avec l’incident de Mukden. De nombreux médias avaient envoyé des correspondants de guerre afin d’obtenir des scoops. L’armée s’est montrée opportuniste face à eux. Cela a conduit à la formation d’une relation de coopération entre les deux parties. Cette relation est devenue encore plus étroite avec le début de la guerre sino-japonaise en juillet 1937. Il va sans dire que les médias qui se sont opposés à cela ont été l’objet de la censure ainsi que de différentes pressions comme des restrictions de fourniture de papier.

Ce système ingénieux de carotte et de bâton a placé les médias japonais à la botte du pouvoir militaire et les ont amené à collaborer avec lui pendant toute la Guerre du Pacifique, incapables de jouer le rôle de contrôle des autorités.

La leçon que nous enseigne l’histoire des communiqués du Quartier général impérial est le danger de la fusion des médias avec le pouvoir, parce qu’ils ont le devoir important de contrôler ce qu’il fait. Le mépris de l’information et les ravages du sectionalisme entraînent les autorités dans une direction qu’elles ne doivent pas prendre. Nous ne devons pas oublier cette leçon de l’Histoire parce que nous vivons une époque où cela risque de se produire à nouveau.

(Photo de titre : le service des communiqués du Quartier général impérial annonce le début de la Seconde Guerre mondiale en décembre 1941. Kyôdô News)

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