Pourquoi le mouvement anti-olympique prend de l’ampleur au Japon et dans le monde
Tokyo 2020 International- English
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Des manifestations coordonnées
Le 23 juin, un mois exactement avant la cérémonie d’ouverture de Tokyo 2020, un grand rassemblement s’est tenu devant le siège du gouvernement métropolitain de Tokyo pour réclamer l’annulation des Jeux olympiques. Parmi les sept organisations qui participaient à cette manifestation figuraient No Olympics 2020 et « Réseau d’opposition au désastre olympique » (Olympic Saigai Okotowari Renrakukai). Au même moment, des journées d’opposition étaient organisées à Paris et Los Angeles, villes hôtes des Jeux olympiques 2024 et 2028.
La date du 23 juin est en fait censée être celle de la Journée olympique, qui commémore la fondation du Comité international olympique (CIO), survenue ce jour-là en 1894. Mais cette année, les concerts et courses qui vont traditionnellement de pair avec cette célébration ont été annulés en raison du Covid-19. C’est dans ces circonstances que se sont déroulées les manifestations liées à la journée d’opposition aux Jeux olympiques, avec de spectaculaires pancartes où l’on pouvait lire « Pas d’autorisation pour le festival du sacrifice » ou « Les Jeux nous tueront ».
Dans une intervention faite lors de la manifestation de Tokyo, une organisatrice s’est élevée contre le maintien des jeux en dépit de la pandémie de Covid-19. Citant la façon dont les habitants de la résidence Kasumigaoka ont été expulsés pour permettre la construction du Stade Olympique et le fait que, dix ans après, Fukushima ne s’est toujours pas remise des séquelles de la catastrophe nucléaire, et contestant l’appellation « Jeux olympiques de la reconstruction » attribuée à l’événement, elle a déclaré : « Le voyage de la torche olympique à travers le pays est un étalage de mercantilisme. Nous et nos amis du Japon et du monde entier demandons l’annulation des Jeux olympiques de Tokyo. »
Unis dans l’opposition
Ce n’est en aucune façon la première fois que les Jeux olympiques se heurtent à une opposition organisée. En témoigne l’exemple de Denver, dans le Colorado, où les Jeux olympiques d’hiver devaient se tenir en 1976. Mais la réaction aux dégâts environnementaux et au fardeau excessif des taxes perçues a suscité un rejet des Jeux lors d’un référendum sur cette question, et Denver s’est retiré quatre ans avant l’événement, qui a été transféré à Innsbruck, en Autriche.
En 1998 également, lors des Jeux d’hiver de Nagano, les critiques formulées par des groupes écologistes ont entraîné le transfert de l’épreuve de ski alpin d’Iwasugeyama, dans la région de Shiga Kôgen, à la station de Happô-one, située à Hakuba. Même après ce transfert, le conflit a continué de faire rage entre le comité d’organisation et la Fédération internationale de ski à propos de l’opportunité d’autoriser le positionnement de la ligne de départ dans un parc national désigné, situé au sommet des pistes de ski.
Ces dernières années ont été le théâtre d’une avalanche de retraits, par les villes hôtes pressenties, de leurs offres face à l’opposition de leurs habitants. Hambourg, Rome et Budapest ont toutes trois retiré leur offre d’accueillir les jeux d’été 2024. À Hambourg, une majorité de la population locale a voté contre les Jeux, tandis qu’à Rome, une maire fraîchement élue a annoncé qu’elle annulait la candidature da sa ville. Une lame de fond d’opposition a aussi été signalée à Budapest. Dans tous les cas, les préoccupations à propos de l’énorme fardeau financier que représentaient les Jeux étaient à l’arrière plan du mouvement de protestation.
On voit donc que l’opposition pour des raisons écologiques ou financières n’a rien de nouveau. La spécificité du mouvement actuel réside dans la solidarité des courants d’opposition aux Jeux actifs dans une pluralité de villes hôtes. À Paris, il y a eu des manifestations contre le terrassement des jardins ouvriers d’Aubervilliers en vue de construire un bassin d’entraînement pour les jeux de 2024. Depuis près de cent ans, ces jardins sont mis à la disposition des personnes à faibles revenus pour y cultiver des légumes. Les orateurs qui se sont exprimés lors de la manifestation de Tokyo ont fait référence à ce qui se passe à Paris.
À Los Angeles, un groupe appelé NOlympics LA a organisé des manifestations appelant à l’annulation des Jeux de Tokyo. Dans sa déclaration, ce groupe soutient que « les Jeux olympiques de Tokyo 2020 étaient illégitimes et ont ruiné des vies bien avant que quiconque ne sache ce qu’était le Covid ». En référence à la situation propre à Los Angeles, il fait aussi cette observation : « Nous sommes bien placés pour savoir ce que les Jeux olympiques de 1932 et 1984 ont infligé aux pauvres, aux gens de couleur et à d’autres communautés défavorisées. »
Outre les groupes actifs à Paris et Los Angeles, il en existe un à Pyeongchang, le district de Corée du Sud qui a accueilli les Jeux olympiques d’hiver en 2018, qui affirme lui aussi sa solidarité avec les manifestants japonais. Ce groupe réclame la suppression en bloc du CIO et des jeux olympiques.
La facilité que nous avons aujourd’hui d’entrer en contact avec des gens du monde entier via les réseaux sociaux encourage le regroupement et l’essor des mouvements nés dans différents pays. C’est ce qui explique le développement des mouvements locaux. Mais que veulent les opposants aux jeux olympiques ? Lorsqu’on établit un rapprochement entre les mouvements actifs dans différents pays, on a l’impression qu’ils partagent un même thème.
Le capitalisme de célébration
Dans son livre Nolympians : Inside the Fight Against Capitalist Mega-Sports in Los Angeles, Tokyo and Beyond (Nolympians: la combat contre les méga-sports capitalistes à Los Angeles, Tokyo et ailleurs vu de l’intérieur), le politologue américain Jules Boykoff passe en revue tous les liens qui rattachent le mouvement d’opposition aux jeux olympiques à la contestation sociale.
Le large éventail de mouvements politiques agissant aux États-Unis, depuis Black Lives matter jusqu’à #MeToo, est un reflet de l’injustice sociale qui règne dans ce pays sous forme de discrimination sociale et ethnique et d’oppression exercée par une classe. Les gens impliqués dans le mouvement d’opposition aux jeux olympiques semblent partager des points de vue similaires. À titre d’exemple, l’un des groupes qui soutiennent les adversaires japonais des jeux olympiques appelle à l’abolition de la discrimination contre les femmes. D’autres participants à la manifestation ont évoqué le nucléaire et le système de santé.
À propos du contexte actuel entourant les jeux olympiques, Boykoff emploie l’expression « capitalisme de célébration » et dit que le mercantilisme et le nationalisme exploitent à leur profit et à leur avantage la célébration que constituent les jeux. Il en a résulté, selon lui, une accélération des festivités qui a fait gonfler la bulle des jeux.
Dans le même temps, les jeux olympiques ignorent les victimes de la discrimination, les pauvres et les laissés pour compte. Peut-être est-ce bien là la réalité des jeux. En dépit des réductions de leur marge de manœuvre dues à la pandémie, les Tokyoïtes se voient infliger un événement extrêmement rentable pour le CIO mais qui n’accorde guère qu’un regard en coin aux récentes vagues de Covid-19. Dans son livre, Boykoff ne mâche pas ses mots :
« Le report des Jeux olympiques de Tokyo en raison du coronavirus expose au grand jour ce que les opposants aux jeux disent depuis longtemps. Les jeux olympiques réservent un traitement spécial à certaines classes aux dépens des autres. »
La disgrâce d’une religion mondiale
Cette citation n’est pas sans rappeler les propos de Ôshima Kenkichi, le porte étendard de l’équipe japonaise aux Jeux olympiques de Tokyo de 1964, publiés dans la revue d’athlétisme Gekkan rikujô kyôgi (mensuel d’athlétisme) en 1980, l’année du boycott des Jeux olympiques de Moscou :
« Les jeux olympiques sont une gigantesque organisation religieuse. La religion olympique voue un culte au concept universel de fair-play. »
Ôshima pensait que les jeux olympiques étaient une religion mondiale plus forte que le bouddhisme, le christianisme et l’islam, et que la croyance au fair-play est répandue dans le monde entier. La question se pose de savoir si les jeux d’aujourd’hui ont conservé ne serait-ce qu’une parcelle de cet esprit de loyauté. En vérité, on peut lire à l’article 6 de la Charte olympique : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Charte olympique doit être assurée sans discrimination d’aucune sorte, notamment en raison de la race, la couleur, le sexe, l’orientation sexuelle, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
L’idée formulée dans cet article de la Charte ne constitue rien de moins que l’essence des jeux olympiques : la certitude que les gens du monde entier peuvent surmonter leurs différences et trouver un terrain d’entente. Telle est l’idée sous-jacente au message d’unité dans la diversité associé aux Jeux olympiques de Tokyo, et il est dommage que le sens de ce message n’ait pas été compris.
L’état d’urgence ayant été déclaré à Tokyo, il n’y a aucun spectateur dans aucune des épreuves qui se déroulent dans le grand Tokyo, à Hokkaidô et à Fukushima. Le relais de la flamme a évité les zones enregistrant un nombre élevé de cas de Covid-19 et des événements publics prévus sur tout le territoire national ont été annulés. Qu’attendons-nous de jeux olympiques amputés de leur éclat et de leur esprit festif ? Quel message les combats des athlètes véhiculent-ils ?
(Photo de titre : manifestants brandissant des pancartes lors de la manifestation de la journée d’opposition aux jeux olympiques qui s’est déroulée devant le siège du gouvernement métropolitain de Tokyo. AFP/Jiji)