Le communisme chinois vu depuis le Japon : de l’empathie à l’antipathie
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L’avènement d’une « démocratie populaire »
L’année 2021 marque le centième anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois, le PCC. Jusqu’en 1945, le PCC est peu connu au Japon. La défaite de l’Archipel lors de la Seconde Guerre mondiale entraîne le désarmement du pays et son renoncement à la force militaire. À cette époque-là, la guerre civile en Chine, opposant les nationalistes du Kuomintang (KMT) aux communistes entre dans sa phase finale. Au départ, le KMT, qui bénéficie du soutien des États-Unis, jouit d’une suprématie militaire. Mais fin 1948, citant des problèmes économiques et de corruption au sein du KMT, les États-Unis retirent leur soutien et adoptent une politique non interventionniste vis-à-vis du conflit. En revanche, le Japon, lui, considère largement le PCC comme le gouvernement légitime de la Chine. Les réformes agraires et les mouvements ouvriers et paysans menés par le parti suscitent un grand intérêt dans le pays.
La fondation de la République populaire de Chine est proclamée par Mao Zedong en octobre 1949. Un grand nombre de Japonais voient dans la naissance de ce nouvel État l’image d’une « Nouvelle Chine », qui fait table rase du passé, exerçant son autorité sur une nation à l’unisson. Cette vision est en grande partie mue par les réformes agraires mises en place par le parti, qui entend élever les classes ouvrières et paysannes, et par sa victoire sur les forces nationalistes, soutenues par les États-Unis.
En outre, d’anciens prisonniers de guerre japonais démobilisés, témoins directs sur place des activités du PCC et de sa 8e Armée de route, en particulier dans les environs de Yan’an, apportent une vision nouvelle de la situation en Chine et des perspectives d’avenir du pays. Au Japon, les membres emprisonnés du Parti communiste japonais sont libérés et d’autres sympathisants communistes de retour de Chine adhèrent également au parti. Avec pour objectif d’étendre le Parti communiste dans le monde entier, le Département de liaison internationale et le Département de travail du front uni du PCC jettent les bases d’une « démocratie populaire ».
Les premières années qui suivent la fin de l’occupation au Japon sont celles du pacifisme prôné par le Commandement suprême des forces alliées. Et pour faire passer son message, il n’hésite pas à instiller chez le peuple japonais des sentiments de remords et de responsabilité dans la guerre. Par ailleurs, Washington ne manque pas de prôner la démocratie ainsi qu’une vision critique du militarisme. Au Japon, un grand nombre de personnes soutiennent les nouvelles formations politiques, notamment le PCJ, et les mouvements sociaux, dont bon nombre font la part belle à la révolution démocratique et aux réformes d’après-guerre. Le PCC fait également de la propagande dans l’Archipel, appelant à une plus grande démocratisation du pays et au renversement du système impérial.
La gauche japonaise attirée par le communisme chinois
La lutte s’intensifie entre les superpuissances émergentes, les États-Unis et l’Union soviétique, sur fond de crainte d’une expansion militaire. Cette situation verra la naissance d’un nouvel ordre d’après-guerre, celui de la Guerre froide qui opposait l’Est et l’Ouest, et entraînera un changement radical de la politique d’occupation du Commandement suprême des forces alliées. Avec la division nord-sud de la péninsule coréenne, les appels à une « purge rouge » se multiplient au Japon, comme cela a été le cas aux États-Unis. Les intellectuels progressistes, eux, prônent la paix et la neutralité non armée. Ils s’opposent ainsi catégoriquement à un traité de paix séparé (excluant la Chine notamment) et à un traité de sécurité américano-japonais. Ils souhaitent un accord de paix global, incluant l’Union soviétique.
À partir de 1953, le PCC clarifie sa ligne socialiste. Au Japon, le PCJ et d’autres formations de gauche voient également le socialisme d’un bon œil, en raison d’une position anti-américaine partagée et d’une croyance en l’indépendance et la démocratisation. Cependant, la révolution violente menée par le PCJ ne parvient pas à atteindre ses objectifs et le parti perd grandement en popularité. Pour redorer son image, le PCC lance une politique de diplomatie de peuple à peuple, en plus de sa « démocratie populaire ». Le Politburo chinois met donc en place une politique d’action, avec en ligne de mire le Japon. Il encourage ainsi de manière proactive le sentiment pro-chinois, en ciblant les sympathisants de Pékin et les organisations de bonne volonté dans les milieux de la politique, du commerce et de la culture. Les échanges entre les habitants des deux pays se multiplient et le nombre de partisans japonais du PCC augmente, tant dans les formations de la gauche que chez les libéraux.
Sur le plan international, en 1955, la conférence de Bandung, qui réunit principalement des États asiatiques et africains nouvellement indépendants, jette les bases d’un sentiment de nationalisme exacerbé. Le PCC apparaît donc comme une troisième puissance. Se démarquant à la fois des États-Unis et de l’Union soviétique et soutenant une neutralité démilitarisée et non alignée, il gagne le soutien des critiques intellectuels opposés à la droite pro-américaine.
En 1956, la dénonciation du stalinisme par Khrouchtchev provoque des tensions avec Pékin. Par ailleurs, la Russie, de nature congressiste, l’amène à opter pour une coexistence pacifique avec les États-Unis, tendant de fait les relations avec la Chine, elle-même engagée dans une course aux armements avec les États-Unis. Cette situation complexe débouche sur un antagonisme de factions au sein même du mouvement communiste, à l’échelle internationale. À cette époque-là, le PCJ est également confronté à des troubles internes. Des désaccords voient le jour au sein des organisations pacifistes antinucléaires. Plus tard, l’offensive militaire lancée par la Chine contre Taïwan et le Tibet, ainsi qu’un essai nucléaire en 1964, scellent l’autodestruction de l’image pacifique à laquelle le PCC tenait tant.
Cependant, la révision de l’accord de sécurité nippo-américain devenant imminente, prévue pour 1960, le PCC lance pour la première fois une campagne à grande échelle contre la remilitarisation de l’Archipel. Au Japon, le PCJ et de nombreux autres formations de gauche expriment une vive empathie à l’égard du PCC, désirant redorer leur image suite à l’invasion de la Chine par le Japon et souhaitant un rétablissement des relations entre Tokyo et Pékin.
Mao Zedong : figure charismatique de la révolution mondiale
Alors que les relations entre Pékin et Moscou sont tendues, les partis communistes du monde entier ont tendance à adopter une attitude opportuniste. En 1965, en Indonésie, une tentative de coup d’État a lieu, menée par le Mouvement du 30 septembre. La responsabilité en est imputée au Parti communiste indonésien, le plus important de tous les pays non socialistes du monde. S’ensuit une purge à grande échelle des membres et des sympathisants du parti. En mars de l’année suivante, le PCJ, qui avait pourtant tout en affirmant son autonomie joué la carte du compromis vis-à-vis du PCC, rompt toute relation avec ce dernier. Dès lors, la Chine se retrouve isolée du monde.
Son appel trouve écho auprès des peuples du monde entier. C’est au Japon où l’impact est particulièrement marqué. La réaction du PCJ ne se fait pas attendre. La formation expulse tous les éléments pro-Pékin du parti. Cependant, la nouvelle gauche, qui refuse de s’aligner sur le PCJ, et quelques étudiants militants se disent en faveur de la Révolution culturelle. Ce soutien, il ne le doit pas au PCC, fortement affaibli par son aspiration à la lutte armée, mais à Mao Zedong et Lin Biao, les deux chefs charismatiques de la Révolution culturelle. Celle-ci est en fait une lutte urbaine principalement menée par les jeunes, notamment les Gardes rouges, un mouvement paramilitaire dirigé par des étudiants. Le renversement spectaculaire de la vieille génération et des pouvoirs établis galvanise le pays tout entier.
Par ailleurs, au début des années 1970, le pays connaît une forte croissance économique, qui s’accompagne d’une augmentation des revenus, d’où une aisance financière encore plus prononcée et de temps de loisirs pour les ménages. La société de consommation est en marche et les protestations étudiantes se font plus discrètes. En 1971, la mort suspecte de Lin Biao met à mal le respect ainsi que le soutien des intellectuels et des étudiants japonais pour la Révolution culturelle. Et l’année suivante, en 1972, le paroxysme est atteint avec la prise d’otage du chalet d’Asama-Sansô, instiguée par l’Armée rouge unifiée, met rapidement fin au mouvement de la nouvelle gauche.
C’est également cette année-là que sont normalisées les relations entre le Japon et la Chine, qui se traduira par une renforcement des échanges non plus touristiques mais diplomatiques. D’importantes restrictions sont mises en place sur les échanges privés. Après le rétablissement des relations diplomatiques, la Chine devient en grande partie un sujet de débat pour des observateurs ayant pris leurs distances avec le PCC, pris du recul et analysé les choses de façon réfléchie et objective.
Le Japon penche vers la droite
La Révolution culturelle prend fin avec la mort de Mao Zedong, de Zhou Enlai et d’autres membres de la première génération de révolutionnaires. Commence alors une ère marquée par les réformes et, à partir de 1978, par l’avènement du libéralisme. La réalité des affaires intérieures de la Chine est révélée au grand jour, la voix des habitants du pays entendue. On apprend que la société chinoise est peu développée et politiquement très éloignée de l’image véhiculée par la propagande et des affirmations du PCC.
À partir du milieu des années 1980, c’est l’entrée en scène de la deuxième génération de dirigeants, dont Hu Yaobang et Zhao Ziyang. Les intellectuels et les étudiants commencent à proposer de nouveaux concepts de réforme. Désabusés par la Révolution culturelle et déçus par la réalité de la société chinoise, les médias et les intellectuels japonais accueillent favorablement l’évolution de la situation et condamnent vivement la répression exercée par les dirigeants du PCC lors de l’incident de la place Tiananmen en juin 1989. La Chine est alors critiquée de toutes parts.
Mais le Japon lève les sanctions économiques imposées à la Chine et entreprend de restaurer les relations avec Pékin, avant les pays industrialisés occidentaux. Suite à la visite très médiatisée de Deng Xiaoping dans le sud de la Chine, de nouvelles réformes voient le jour, l’économie chinoise se redresse et l’optimisme prévaut désormais dans le pays. La Chine sort de l’isolement, se faisant de plus en plus présente et renforçant son influence. Mais au Japon, cette rapide montée en puissance est largement perçue comme une menace. Analystes et spécialistes de la Chine commencent alors à comprendre qu’ils ne peuvent pas avoir une idée d’ensemble de la situation en Chine en se concentrant uniquement sur les faits et gestes de la direction centrale du PCC. Ils s’efforcent alors de comprendre les facteurs multiples à long terme à l’origine de l’évolution de la Chine, au-delà de la politique. Il s’agit notamment de facteurs économiques et sociaux, ainsi que les tendances hors de la capitale, Pékin.
À la fin des années 1980, la croissance économique rapide du Japon s’essouffle. Cette époque d’abondance et d’opulence entraîne la propagation des idéaux individualistes et conservateurs. Dans les années 1990, la bulle économique du Japon éclate, marquant le début d’une époque qui portera le nom de « décennies perdues ». Les Forces d’autodéfense du Japon, jusqu’alors consacrées à la défense nationale, commencent à être déployées à l’étranger, sous forme de soutien militaire. Le conservatisme, présent dans le mode de vie des Japonais sous la forme de sentiment de satisfaction au quotidien et de réticence à faire évoluer la société, fait peu à peu basculer le Japon vers la droite, allant jusqu’à donner naissance à un sentiment de xénophobie.
Les milieux de la politique comme de l’éducation, particulièrement les facultés d’histoire, en viennent à revenir sur les regrets éprouvés par le pays pour le militarisme et le colonialisme japonais en Asie. Cette vision considérait que l’accent était mis de manière excessive, de façon « masochiste » et déformée par le procès des crimes de guerre de Tokyo. Si bien que le peuple japonais commence à critiquer la tyrannie du PCC, notamment sur les questions historiques, territoriales, sécuritaires et sur le respect des droits humains.
Une critique du despotisme du PCC de plus en plus acerbe
Grâce à une forte croissance économique continue, en 2010, le PIB de la Chine devient supérieur à celui du Japon. Le pays semble également dépasser l’Archipel en termes de puissance nationale. Depuis cette époque, les échanges commerciaux entre la Chine et le Japon augmentent de manière exponentielle, accroissant davantage encore l’interdépendance entre les deux pays. Cependant, si les transactions commerciales augmentent, les deux pays s’éloignent pourtant de plus en plus l’un de l’autre. Les discours anti-Pékin se multiplient tant à gauche qu’à droite, avec une critique croissante du despotisme du PCC. Aujourd’hui, le PCC est de plus en plus considéré comme une menace. L’image de grande puissance véhiculée par la Chine fait craindre au Japon d’être un jour absorbé par le géant chinois.
Parti unique désormais à la tête de la Chine, le PCC contrôle tous les aspects des affaires nationales. Mais la société chinoise et les habitants eux-mêmes n’hésitent pas pour autant à exprimer leur opinion, quitte à aller à l’encontre de l’idéologie et la politique de l’État, conservant ainsi l’histoire, les structures et les principes, qui les caractérisent. Au cours des années 1980 et 1990, après la Révolution culturelle et l’incident de la place Tiananmen, de nombreux chercheurs s’intéressent à la Chine, et veulent l’étudier sous différentes formes. Mais aujourd’hui, l’attention se porte exclusivement sur l’analyse du pouvoir au sein de la direction du PCC et sur les politiques nationales. La recherche comme les médias font la part belle à la critique de son despotisme.
Des sondages d’opinion révèlent que l’image du Japon de la Chine se dégrade de plus en plus auprès du peuple japonais, lequel n’entraperçoit la situation dans le pays que par les médias. Ce qu’il faut maintenant, c’est un regard non plus extérieur et d’ensemble mais porté sur la réalité de la société et de la vie en Chine, à travers les expériences de ressortissants japonais établis dans le pays.
(Photo de titre : le drapeau japonais levé sur la place Tiananmen, à Pékin, à l’occasion de la visite du Premier ministre japonais Abe Shinzô le 26 octobre 2018. Jiji)