
« Je suis vraiment désolée d’être enceinte » : la discrimination des femmes dans des crèches japonaises
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« C’est irresponsable de tomber enceinte ! »
Il existe dans certaines crèches japonaises une pratique officieuse : les employées sont autorisées à tomber enceinte uniquement selon leur ancienneté. Dans cet environnement à dominante féminine, la hiérarchie est très stricte, et celles qui désobéissent se voient pour la plupart harcelées et limogées.
Nishino Keiko (nom d’emprunt, 36 ans) est assistante maternelle. En annonçant sa grossesse à l’administrateur en chef, il l’a rabrouée avec ces mots : « Mais enfin, vous êtes directrice de la crèche. C’est irresponsable ! » Ce qui devrait être une bonne nouvelle est finalement devenu une source d’énervement.
Voici un exemple de ce que l’on appelle le matahara. Ce terme est une abréviation de l’anglais maternity et harassment, et désigne les différents traitements injustes et toute autre forme de discrimination subies au Japon envers les femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher. (Voir notre article : Le « matahara », le harcèlement visant les femmes enceintes au Japon)
La crèche où travaillait Keiko est un établissement homologué par l’État (ninka hoikuen). Les règles y étaient particulièrement strictes et les problèmes, nombreux. Les salaires sont restés bas et les assistantes maternelles démissionnaient régulièrement. Le manque de personnel provoquait un surplus croissant d’heures supplémentaires. Selon la réglementation, cette crèche ouvrait huit heures par jour et fermait le week-end, mais comme le personnel sur le départ n’était pas remplacé, les heures de travail s’étendaient à douze heures par jour, avec un seul jour de congé le week-end.
L’administrateur de la crèche avait fait de Keiko la responsable, suite à de nombreuses démissions, et, furieux, lui avait dit qu’elle devra travailler sans répit, et sans avoir le droit de demander des congés maternité ou des congés parentaux. Pourtant, la Loi sur les normes de travail stipule que sur demande de la personne enceinte, celle-ci doit se faire attribuer un travail plus léger, sans dépasser plus de 40 heures de labeur par semaine. Mais rien de tout cela n’a été appliqué à Keiko.
Son bébé était prématuré, sans doute parce qu’elle avait énormément travaillé pendant sa grossesse. Elle a donc entamé son congé maternité plus tôt que prévu, et démissionné dans la foulée. Mais elle est loin d’être la seule à avoir subi ce genre de matahara dans les crèches.
En réalité, ce genre de harcèlement trouve sa cause dans le manque de personnel des crèches. Au cours de mes reportages sur le terrain effectuées jusque là, j’ai vu des exemples de femmes qui, reprimandées par leur employé car elles étaient tombées enceintes, se sont vues obligées avec leur mari de faire des excuses. Ce n’est certes pas le cas partout, mais cette tendance se remarque dans les professions où les femmes sont nombreuses, comme les soignantes et les institutrices.
Des salaires bas et une surchage de travail
Selon une enquête sur l’état des crèches à Tokyo en 2018, effectuée par le gouvernement métropolitain de la capitale, 17,8 % des assistantes maternelles, soit près d’une personne sur cinq, ont quitté leur travail pour cause de grossesse/maternité (plusieurs réponses possibles).
La raison principale à une démission était « le salaire trop faible » (65,7 %), suivie de « une surcharge de travail » (61,9 %). En effet, les salaires mensuels sont de 100 000 yens (755 euros) en dessous de la moyenne pour tous les secteurs, et ils ne correspondent pas à la lourde responsabilité de la charge de petits enfants. Difficile de joindre les deux bouts dans de telles conditions. Les gens partent, le manque de personnel aggrave le problème, et un environnement malsain se crée, où le harcèlement se répand facilement.
Selon une étude par la confédération nationale des syndicats du Japon (Zenrôren) sur l’état des grossesses, naissances et la puériculture (avril à juillet 2020), 20,2 % des assistantes maternelles ont travaillé plus que les heures stipulées, par manque de personnel ou débordement.
La difficulté pour de nombreuses familles de trouver une place dans une crèche a poussé le gouvernement japonais à améliorer les salaires des assistantes maternelles. Depuis 2013, le revenu moyen mensuel a ainsi été élevé de 44 400 yens (330 euros), et jusqu’à 84 000 yens (630 euros) pour les assistants expérimentées.
Par conséquent, lorsque les salaires établis par le bureau du Cabinet sont payés comme il se doit, une assistante maternelle travaillant dans une crèche de taille moyenne au centre de Tokyo, là où les revenus sont les plus élevés, peut gagner un maximum annuel de 5,65 million de yens (42 700 euros). La moyenne actuelle reste toutefois de 3,81 million de yens (28 800 euros), selon une étude du bureau du Cabinet effectuée en 2018.
Dans ses calculs, le gouvernement estime que les salaires comptent pour plus de 80 % des frais de personnel dans les crèches, donc toute réduction des dépenses pour augmenter les bénéfices implique une diminution dans les frais de personnel. Selon l’étude du bureau du Cabinet, les frais de personnel s’élèvent en moyenne à 75,7 % pour les crèches homologuées par l’État et gérées par des organismes d’assistance publique, mais ils baissent à 59,2 % pour les crèches du secteur privé.
Dans les grandes villes où l’on remarque de plus en plus de sociétés à but lucratif parmi les crèches, l’exploitation des employés est très évidente. Ces sociétés fixent la norme pour les frais de personnel à 50 % en moyenne et, malgré les aides du pays, les salaires y restent très bas. Cette situation devient de plus en plus courante à mesure que les sociétes s’efforcent de vouloir réduire leurs frais.