La pollution olfactive au Japon : de plus en plus de personnes qui en souffrent

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Mizuno Reiko [Profil]

Le doux et enivrant parfum d’un cosmétique ou d’un adoucissant peut devenir une véritable nuisance, causant maux de tête voire nausées pour un nombre croissant de personnes. En cause, les substances chimiques utilisées pour créer ces senteurs, dont les produits ménagers en sont remplis, notamment au Japon. Mais quels sont les risques de cette pollution olfactive sur la santé et l’environnement ? Une rédactrice scientifique japonaise nous en parle.

Les dangers des microcapsules

Au Japon, les produits ménagers contenant des parfums de synthèse ont commencé à envahir les rayons aux alentours de l’an 2000, chaque fabricant entendant bien se faire une place sur ce nouveau marché. Bien sûr, il n’avait pas fallu attendre le tournant du millénium pour voir apparaître les premiers produits de ce type mais la tendance s’est véritablement accentuée avec l’arrivée de l’assouplissant américain Downy, un déclic pour de nouveaux fabricants japonais qui ont cherché à développer des produits aux senteurs florales plus prononcées. Et ça marche. Chaque jour, les publicités à la télévision vantent à qui mieux mieux les senteurs raffinées de ces produits. Résultat : les ventes sont multipliées par 1,5 par rapport à il y a 10 ans. Ils sont peut-être un peu plus chers mais qu’importe s’ils effacent les odeurs corporelles et autres effluves désagréables. Et ce n’est pas nouveau, les Japonais sont obsédés par la propreté : que ne feraient-ils donc pas pour faire briller coins et recoins ? Bref, les ingrédients parfaits sont réunis pour que ces produits et leurs effluves deviennent de plus en plus volatiles et se répandent sur le marché nippon.

Pourtant, ces produits qui apportaient comme une bouffée d’air frais sont maintenant responsables d’une nouvelle forme de pollution olfactive, la douce brise parfumée étant en fait, ni plus ni moins, le résultat de mélanges de substances toxiques. Et pis encore, bon nombre d’assouplissants et de nettoyants ménagers contiennent des microcapsules utilisées dans les assouplissants et autres types de nettoyants parfumés. « Parfums intenses », « parfums de longue durée », « rafraîchissement de l’air à l’aide de nanoparticules », tout autant de mentions souvent présentes sur les emballages des produits. Seulement, le hic c’est que tout cela est rendu possible grâce à une technologie qui enferme les parfums dans de minuscules capsules composées de résines d’uréthane et de mélamine, autrement dit de plastique.

Ces « parfums longue durée » sont obtenus grâce à une multitude de microcapsules qui se fixent aux vêtements et éclatent à chaque mouvement et frottement du tissu. Et ces microcapsules sont notamment responsables de pollution de l’environnement par les microplastiques et les monomères de résine synthétique, lesquels proviennent des microcapsules lorsqu’elles éclatent, ainsi que par les substances chimiques odorantes qu’elles libèrent. Et il est fort probable que l’homme ingère sans même s’en rendre compte ces substances chimiques artificielles et toxiques.

Même si certains fabricants commencent à faire marche-arrière et à revoir leur copie, la recherche et développement se poursuivent au contraire pour trouver comment faire adhérer encore plus de microcapsules aux vêtements et ainsi obtenir des parfums qui durent encore plus longtemps... On est donc loin chercher des alternatives moins dangereuses. De nombreux consommateurs ignorent que ces doux parfums de rose et de lavande, qu’ils trouvent si rafraîchissants, ne sont en fait rien d’autre que le produit de mélanges artificiels de produits chimiques de synthèse.

Quelques municipalités agissent

Les choses commencent néanmoins à évoluer. Prenant les choses en main, plusieurs groupes de citoyens interpellent le gouvernement pour que les composés organiques volatils émis par les assouplissants et les désodorisants d’intérieur soient mesurés et que des tests de toxicité par inhalation soit menés. Par ailleurs, ils réclament l’interdiction totale de l’utilisation de microcapsules dans les assouplissants et exhortent écoles et établissements publics à s’abstenir d’utiliser des parfums.

Quelques municipalités vont plus loin et commencent même à réaliser des affiches de sensibilisation sur l’ « étiquette des parfums ». Toutefois, cela reste de la sensibilisation, invitant la population à prendre conscience du problème. Elles ne vont pas jusqu’à alerter ni même imposer des règles aux fabricants des produits.

Affiches de sensibilisation de la population sur l' « étiquette des parfums » réalisées par le bureau municipal de Sapporo (à gauche) et la préfecture de Saitama (à droite). En juin 2020, 51 gouvernements locaux ont créé des affiches similaires. Leur nombre ne cesse d'augmenter.
Affiches de sensibilisation de la population sur l’ « étiquette des parfums » réalisées par le Bureau municipal de Sapporo (à gauche) et la préfecture de Saitama (à droite). En juin 2020, 51 municipalités ont créé des affiches similaires. Leur nombre ne cesse d’augmenter.

Ne pas répéter les erreurs du siècle dernier

La pollution olfactive est provoquée par divers produits, mais les assouplissants sont de loin les plus toxiques en raison des nombreuses substances artificielles qu’ils contiennent, sous la forme de microcapsules qui enferment les substances odorantes et désodorisantes et les tensioactifs utilisés pour rendre le linge doux et parfumé.

Très récemment, ces microcapsules ont même fait leur apparition dans des livres illustrés pour enfants. Ludiques, ils émettent un parfum lorsque l’enfant le touche. Mais ces micro et nanocapsules éclatées si innocentes et agréables à nos sens peuvent faire des ravages si elles sont inhalées. Une fois dans les poumons, elles peuvent se glisser entre les cellules de notre corps pour terminer leur course dans notre sang. Il est absolument nécessaire que la recherche médicale s’interroge sur la question et évalue les dangers de ces minuscules capsules.

Le Japon a connu un développement économique remarquable depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais ce développement a été à maintes reprises entaché par des problèmes de pollution. Citons la pollution au mercure organique, à l’origine de la maladie de Minamata ou encore la pollution alimentaire causée par les PCB, ou polychlorobiphényles, et la dioxine qui a provoqué ce qui sera plus tard surnommé l’empoisonnement au pétrole de Kanemi. L’établissement et la reconnaissance du lien entre ces cas de pollution et le danger pour la santé ont pris des années et à ce jour, un grand nombre de victimes n’ont toujours pas reçu de compensations suffisantes

Nous ne devons pas répéter les erreurs que nous avons commises le siècle précédent. Les dangers de la pollution olfactive ne peuvent être ignorés simplement parce que les causes n’ont pas encore été élucidées. Au contraire, une action rapide est nécessaire avant que la pollution ne se propage. Notre nez nous permet de flairer les dangers. Même si leur nombre est encore faible, ce que ces personnes chimico-sensibles nous envoient, c’est un avertissement, l’avertissement qu’une menace réelle plane sur notre existence.

(Illustration en haut : Yasutomi Saori)

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Mizuno ReikoArticles de l'auteur

Rédactrice scientifique. Elle est membre du conseil d’administration de l’organisation à but non lucratif « Action préventive japonaise contre les perturbateurs endocriniens » (JEPA). Elle prend depuis longtemps à cœur la dénonciation des problèmes causés par les produits chimiques toxiques dans l’agriculture et l’environnement. Actuellement, elle fait partie d’une coalition de sept groupes de citoyens qui œuvrent pour l’éradication de la pollution olfactive. Parmi ses ouvrages figurent « Pourriez-vous manger des néonicotinoïdes sans le savoir ? » (Shirazu ni tabete imasen ka ? Neonicotinoid), « L’histoire choquante des produits chimiques toxiques dans le cerveau de nos enfants » (Shitte bikkuri : Kodomo no nô ni yûgai na kagaku busshitsu no ohanashi) ou encore « Les nouveaux pesticides néonicotinoïdes, une menace pour le Japon » (Shin nôyaku neonicotinoid ga Nihon o obiyakasu).

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