Objectif « zéro carbone » de Joe Biden : le Japon soumis à la pression
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Si le président Joe Biden s’est rapidement mis au travail au sujet de l’environnement, l’ancien secrétaire d’État John Kerry lui non plus n’a pas perdu de temps. Il a été nommé envoyé spécial du président sur les questions de réchauffement climatique et a intégré le Conseil national de sécurité. Par ailleurs, le 22 avril, le gouvernement Biden souhaite organiser un sommet réunissant les principaux pays émetteurs, dont la Chine et le Japon, l’occasion pour eux de se concerter pour l’élaboration de règlementations sur les mesures de lutte contre le réchauffement climatique et la sortie du charbon, en vue de la 26e édition de la Conférence des parties (COP26) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui doit avoir lieu au Royaume-Uni en novembre prochain.
Ce renforcement de la politique américaine de lutte contre le réchauffement climatique vise à promouvoir l’emploi et l’industrie aux États-Unis, tout en invitant Pékin à coopérer et à modifier son attitude. Pour le Japon, un passage des États-Unis aux énergies propres, qui ne serait pas une politique hostile à la Chine, est un problème épineux.
La déclaration « zéro émission de carbone » faite à la dernière minute par le Japon
Suite à l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, il y a dix ans, le Japon est devenu plus dépendant des combustibles fossiles pour sa production d’électricité, qui ont atteint récemment 85,5 %. Si les États-Unis œuvrent pour se conformer à des réglementations environnementales avancées similaires à celles de l’UE, alors même qu’il se trouve limité dans sa capacité à produire de l’électricité, le Japon n’aura d’autre choix que de revoir en profondeur la structure de son secteur industriel pour se mettre au niveau des normes américaines et européennes. (Voir notre article lié : Le Japon « addict au charbon » : revoir la politique énergétique pour ne pas finir isolé)
Le 26 octobre 2020, peu de temps avant l’élection présidentielle américaine, le Premier ministre Suga Yoshihide a annoncé que le Japon atteindrait la neutralité carbone d’ici 2050. En décembre, il a évoqué l’élaboration d’une stratégie de croissance verte, laquelle fixe des objectifs et des modifications dans 14 domaines, dont les véhicules électriques et l’énergie éolienne en mer. Objectif : zéro émission. Cette annonce a été faite en réponse au changement de l’équilibre international provoqué par l’élection de Joe Biden en tant que nouveau locataire de la Maison Blanche. Un haut fonctionnaire du ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI) explique que « l’annonce “zéro émission” a été faite à la dernière minute, juste avant la victoire de Joe Biden aux élections présidentielles ».
Cependant, la politique d’énergie propre n’a pas encore été mise en œuvre. John Kerry a vivement critiqué les projets de l’administration américaine d’augmenter le nombre de centrales au charbon et de contribuer à leur financement, une attitude dont se méfie également le secteur énergétique japonais, qui dépend fortement des combustibles fossiles : « Nous sommes aussi concernés » a-t-il déclaré.
Selon un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, dans la diplomatie économique nippo-américaine à venir, les discussions concernant les mesures de lutte contre le réchauffement climatique, la coopération technologique pour la production de véhicules électriques et le renforcement des chaînes d’approvisionnement pour les pièces connexes devraient être des « thèmes majeurs ».
Soumis à la pression, l’Archipel devra s’adapter
Une rencontre entre le Premier ministre Suga et le président Biden constituera probablement un tournant majeur dans la politique japonaise à l’égard des États-Unis. Les gouvernements de ces deux puissances ont convenu lors d’un entretien au téléphone à la fin du mois de janvier qu’ils procéderaient aux préparatifs nécessaires pour la tenue d’une réunion en tête à tête en marge du sommet prévu pour le 22 avril entre les principaux pays émetteurs, tout en surveillant la situation de la pandémie de coronavirus. « Toute la question sera de savoir à quel point Joe Biden sollicitera des investissements et une coopération technologique dans la lutte contre le réchauffement climatique », a déclaré un diplomate.
Par ailleurs, des responsables du gouvernement japonais ont exprimé l’espoir d’une première réunion des ministres du commerce des États-Unis, du Japon et des pays européens après l’entrée en fonction de l’administration Biden, coïncidant avec la tenue du Forum économique mondial qui se tiendra à Singapour cet été. La première rencontre tripartite de ce type a eu lieu en décembre 2017, sous l’administration Trump. Le Japon a alors a joué le rôle de médiateur entre Washington et Bruxelles, lesquels ont tendance à être en désaccord. Jusqu’à présent, il s’agissait, tout en gardant la Chine à l’esprit, d’une rencontre de niveau ministériel pour s’interroger sur les moyens de permettre une protection des droits de propriété intellectuelle et l’amélioration de la transparence des mesures appliquées dans le domaine commercial avec les pays tiers. Cependant, selon un haut responsable du METI, sous l’administration Biden, ce sera différent : « Les thèmes de la coopération politique dans la lutte contre le réchauffement climatique et l’attitude à adopter vis-à-vis des pays tiers seront désormais ajoutés à la liste des thèmes abordés. »
S’il a maintenu sa compétitivité dans les équipements de production nécessaires au passage aux économies d’énergie et dans la recherche et le développement de batteries pour véhicules électriques, le Japon a en revanche pris du retard dans leur production et leur diffusion. Cependant, si les États-Unis, l’Europe, la Chine et d’autres pays accélèrent les réformes industrielles avec pour axe principal les mesures de lutte contre le réchauffement climatique, le Japon devra lui aussi se mettre au diapason. Il se verra contraint de prendre des mesures autrement plus importantes, notamment d’imposer des réglementations sur les émissions ainsi que de recourir aux énergies renouvelables, avec en tête les véhicules électriques, ce qui aurait à coup sûr des répercussions sur les industries automobiles japonaises, principalement axées sur la production de véhicules hybrides et leurs politiques.
La Chine est déjà très présente dans le domaine des véhicules électriques et dans d’autres domaines. Pour Tokyo, « il n’est pas envisageable d’accepter les politiques contrôlées par l’État chinois » dixit un fonctionnaire du gouvernement. Il semble par ailleurs difficile de se conformer aux politiques environnementales fortes prônées par l’UE, compte tenu de la structure actuelle du bouquet énergétique nippon, s’agissant de la production d’électricité. Il sera alors important d’expliquer la position du Japon à l’administration Biden, laquelle a naturellement tendance à se ranger du côté de Bruxelles, et de solliciter sa coopération.
Pousser la coopération des États-Unis grâce à d’autres pays
Toute la question sera de savoir si le changement d’administration influera sur la politique commerciale américaine. Aux États-Unis, le scepticisme à l’égard de la mondialisation compte déjà de nombreux adeptes. Si le gouvernement Biden n’est pas encouragé à « s’impliquer », ce sentiment américain de repli ne fera que se répandre, ce qui pourrait être dramatique pour le Japon, lui, axé sur le libre-échange.
Pour Chad Bown, chercheur principal à l’Institut d’économie internationale américain Peterson, « il est peu probable que le gouvernement Biden, qui se fixe pour priorité de rapprocher les Américains, de créer des emplois et des industries, s’oriente dès le départ vers le libre-échange. Les responsables du ministère japonais des Affaires étrangères sont également d’accord sur le fait que les négociations concernant la deuxième phase de l’accord commercial nippo-américain, qui a pris effet en janvier 2020 « sont au point mort ». Le retour des États-Unis dans le partenariat transpacifique (TPP), dont l’administration Trump s’est retirée en 2017, n’a guère fait évoluer la situation non plus.
Le sentiment de crise est fort parmi les diplomates japonais, qui se demandent comment obtenir un engagement des États-Unis. Coïncidant avec l’investiture de la nouvelle administration Biden, Chad Bown et six autres chercheurs du Japon, des États-Unis et d’Europe ont publié un livre intitulé Getting America back in the game : A multilateral perspective (« Remettre l’Amérique dans la partie : une perspective multilatérale »). Selon les auteurs de l’ouvrage, le Japon et l’Europe notamment devraient mettre à profit le cadre des négociations commerciales pour solliciter la participation des États-Unis dans des questions individuelles telles que la réponse à la nouvelle crise du coronavirus. La rencontre des ministres du commerce des États-Unis, du Japon et des pays de l’UE, dont l’objectif était d’établir des règles internationales avec la participation des États-Unis, peut en ce sens être considérée comme un « modèle ».
Pour un responsable du METI qui a participé aux préparatifs de la rencontre en 2017, « cela a fait comprendre aux États-Unis, qui à l’époque souhaitaient augmenter les droits de douane à l’encontre des pays de l’alliance, l’importance pour Washington, Bruxelles et Tokyo de rester unis face à Pékin ».
(Photo de titre : le président américain Joe Biden prononçant un discours de politique étrangère. Reuters)
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