Objectif « zéro carbone » de Joe Biden : le Japon soumis à la pression

Environnement Politique International

Kohda Satoru [Profil]

Le 20 janvier, le jour même de son investiture, le nouveau président américain Joe Biden a ordonné le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris sur le climat, que son prédécesseur Donald Trump s’était empressé de quitter, et fixé un objectif de « zéro carbone ». Ce retour de Washington dans l’accord international de lutte contre le réchauffement climatique pourrait être à l’origine d’une véritable révolution d’énergie propre à grande échelle. Quelles conséquences cette politique environnementale peut-elle engendrer sur le Japon et comment devra réagir l’Archipel, qui est très dépendant du charbon ?

Si le président Joe Biden s’est rapidement mis au travail au sujet de l’environnement, l’ancien secrétaire d’État John Kerry lui non plus n’a pas perdu de temps. Il a été nommé envoyé spécial du président sur les questions de réchauffement climatique et a intégré le Conseil national de sécurité. Par ailleurs, le 22 avril, le gouvernement Biden souhaite organiser un sommet réunissant les principaux pays émetteurs, dont la Chine et le Japon, l’occasion pour eux de se concerter pour l’élaboration de règlementations sur les mesures de lutte contre le réchauffement climatique et la sortie du charbon, en vue de la 26e édition de la Conférence des parties (COP26) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui doit avoir lieu au Royaume-Uni en novembre prochain.

Ce renforcement de la politique américaine de lutte contre le réchauffement climatique vise à promouvoir l’emploi et l’industrie aux États-Unis, tout en invitant Pékin à coopérer et à modifier son attitude. Pour le Japon, un passage des États-Unis aux énergies propres, qui ne serait pas une politique hostile à la Chine, est un problème épineux.

La déclaration « zéro émission de carbone » faite à la dernière minute par le Japon

Suite à l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, il y a dix ans, le Japon est devenu plus dépendant des combustibles fossiles pour sa production d’électricité, qui ont atteint récemment 85,5 %. Si les États-Unis œuvrent pour se conformer à des réglementations environnementales avancées similaires à celles de l’UE, alors même qu’il se trouve limité dans sa capacité à produire de l’électricité, le Japon n’aura d’autre choix que de revoir en profondeur la structure de son secteur industriel pour se mettre au niveau des normes américaines et européennes. (Voir notre article lié : Le Japon « addict au charbon » : revoir la politique énergétique pour ne pas finir isolé)

Le 26 octobre 2020, peu de temps avant l’élection présidentielle américaine, le Premier ministre Suga Yoshihide a annoncé que le Japon atteindrait la neutralité carbone d’ici 2050. En décembre, il a évoqué l’élaboration d’une stratégie de croissance verte, laquelle fixe des objectifs et des modifications dans 14 domaines, dont les véhicules électriques et l’énergie éolienne en mer. Objectif : zéro émission. Cette annonce a été faite en réponse au changement de l’équilibre international provoqué par l’élection de Joe Biden en tant que nouveau locataire de la Maison Blanche. Un haut fonctionnaire du ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI) explique que « l’annonce “zéro émission” a été faite à la dernière minute, juste avant la victoire de Joe Biden aux élections présidentielles ».

Cependant, la politique d’énergie propre n’a pas encore été mise en œuvre. John Kerry a vivement critiqué les projets de l’administration américaine d’augmenter le nombre de centrales au charbon et de contribuer à leur financement, une attitude dont se méfie également le secteur énergétique japonais, qui dépend fortement des combustibles fossiles : « Nous sommes aussi concernés » a-t-il déclaré.

Selon un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, dans la diplomatie économique nippo-américaine à venir, les discussions concernant les mesures de lutte contre le réchauffement climatique, la coopération technologique pour la production de véhicules électriques et le renforcement des chaînes d’approvisionnement pour les pièces connexes devraient être des « thèmes majeurs ».

Soumis à la pression, l’Archipel devra s’adapter

Une rencontre entre le Premier ministre Suga et le président Biden constituera probablement un tournant majeur dans la politique japonaise à l’égard des États-Unis. Les gouvernements de ces deux puissances ont convenu lors d’un entretien au téléphone à la fin du mois de janvier qu’ils procéderaient aux préparatifs nécessaires pour la tenue d’une réunion en tête à tête en marge du sommet prévu pour le 22 avril entre les principaux pays émetteurs, tout en surveillant la situation de la pandémie de coronavirus. « Toute la question sera de savoir à quel point Joe Biden sollicitera des investissements et une coopération technologique dans la lutte contre le réchauffement climatique », a déclaré un diplomate.

Par ailleurs, des responsables du gouvernement japonais ont exprimé l’espoir d’une première réunion des ministres du commerce des États-Unis, du Japon et des pays européens après l’entrée en fonction de l’administration Biden, coïncidant avec la tenue du Forum économique mondial qui se tiendra à Singapour cet été. La première rencontre tripartite de ce type a eu lieu en décembre 2017, sous l’administration Trump. Le Japon a alors a joué le rôle de médiateur entre Washington et Bruxelles, lesquels ont tendance à être en désaccord. Jusqu’à présent, il s’agissait, tout en gardant la Chine à l’esprit, d’une rencontre de niveau ministériel pour s’interroger sur les moyens de permettre une protection des droits de propriété intellectuelle et l’amélioration de la transparence des mesures appliquées dans le domaine commercial avec les pays tiers. Cependant, selon un haut responsable du METI, sous l’administration Biden, ce sera différent : « Les thèmes de la coopération politique dans la lutte contre le réchauffement climatique et l’attitude à adopter vis-à-vis des pays tiers seront désormais ajoutés à la liste des thèmes abordés. »

S’il a maintenu sa compétitivité dans les équipements de production nécessaires au passage aux économies d’énergie et dans la recherche et le développement de batteries pour véhicules électriques, le Japon a en revanche pris du retard dans leur production et leur diffusion. Cependant, si les États-Unis, l’Europe, la Chine et d’autres pays accélèrent les réformes industrielles avec pour axe principal les mesures de lutte contre le réchauffement climatique, le Japon devra lui aussi se mettre au diapason. Il se verra contraint de prendre des mesures autrement plus importantes, notamment d’imposer des réglementations sur les émissions ainsi que de recourir aux énergies renouvelables, avec en tête les véhicules électriques, ce qui aurait à coup sûr des répercussions sur les industries automobiles japonaises, principalement axées sur la production de véhicules hybrides et leurs politiques.

La Chine est déjà très présente dans le domaine des véhicules électriques et dans d’autres domaines. Pour Tokyo, « il n’est pas envisageable d’accepter les politiques contrôlées par l’État chinois » dixit un fonctionnaire du gouvernement. Il semble par ailleurs difficile de se conformer aux politiques environnementales fortes prônées par l’UE, compte tenu de la structure actuelle du bouquet énergétique nippon, s’agissant de la production d’électricité. Il sera alors important d’expliquer la position du Japon à l’administration Biden, laquelle a naturellement tendance à se ranger du côté de Bruxelles, et de solliciter sa coopération.

Suite > Pousser la coopération des États-Unis grâce à d’autres pays

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Kohda SatoruArticles de l'auteur

Membre du comité éditorial économique de Jiji Press. Né en 1977 à Tokyo, il étudie à l’université Waseda et entre ensuite à Jiji Press, où il travaille au service économique et suit le secteur financier, les restructurations de Japan Airlines et de Tepco, ou encore les négociations commerciales internationales. De 2013 à 2018, il est correspondant à Washington. De retour au Japon, il dirige l’équipe qui suit le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie, et depuis mai 2020, il est affecté à la couverture des réformes structurelles de l’économie et de la production.

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