« Nous vivrons avec la mer » [1] : comment Kesennuma se protège du tsunami

Catastrophe

Kesennuma, au nord-est du Japon, est l’une des nombreuses communes côtières à avoir été touchée de plein fouet par le gigantesque tsunami il y a tout juste dix ans. La population s’est alors déchirée sur une question cruciale : faut-il oui ou non construire des digues un peu partout pour se protéger du prochain désastre, et devoir en contrepartie détruire la nature et s’éloigner de la mer ? Aujourd’hui enfin, les solutions ont été trouvées.

Kesennuma : un lieu modèle pour les chercheurs et architectes

Le projet de digue a subi bien d’autres modifications, en plus de l’île d’Ôshima. Plusieurs repositionnements plus loin du rivage afin de préserver une plage de sable ou une côte rocheuse, des fenêtres en acrylique pour éviter le sentiment d’oppression d’un mur de béton uniforme, ou l’aménagement d’un chemin à son sommet, par exemple. De fait, aucune section n’a été adoptée de but en blanc sans aménagement, et les discussions sont restées âpres jusqu’au bout.

La zone de l’estuaire, bien qu’appartenant formellement au centre-ville de Kesennuma, est en fait intégré au port de pêche, tout proche du marché aux poissons où se concentrent habitants, pêcheurs et touristes. C’était également un lieu très fréquenté par les passagers qui arrivaient ou repartaient à Ôshima, mais depuis la construction d’un pont routier en avril 2019, la ligne de ferry pour Ôshima a été supprimée. Avec le déplacement de nombreux résidents pour des zones plus sûres en hauteur, il était à peu près sûr que tout le district allait perdre de son activité. Face à ce processus, tout le monde s’est mis à étudier des solutions pour une « réhabilitation créative » préconisées par le gouvernement.

Le projet de digue de 6,2 mètres de haut présenté par la préfecture embarrassait tout le monde de ce point de vue.

Avant le tsunami de 2011, il n’y avait aucune digue dans le secteur, la mer et la ville se trouvaient en parfaite continuité. Le souhait de garder une vue directe sur la mer était extrêmement fort, la ville avait sollicité des projets de reconstruction aussi bien étrangers que japonais et pendant trois ans, les théories se sont opposés et les simulations de brise-lames en mer ou de digue à l’entrée de la baie se sont succédé.

Dans un premier temps, la hauteur du talus a été ramenée à 5,1 mètres. Mais le plateau derrière la digue restait 2 mètres en contrebas, la mer était toujours invisible des habitations. Les autorités préfectorales ont alors été contraintes d’approuver la mise en œuvre de volets à clapets d’un mètre dans la digue même. Il s’agit d’un mur, couché en temps normal, qui se relève sous l’effet de la poussée d’un tsunami et vient fermer la digue. Le système, une première au Japon, bien que plus coûteux à construire qu’une porte en béton, a néanmoins permis la construction d’une zone urbaine avec vue sur la mer.

La digue elle-même a été repensée de façon à intégrer sur le côté des établissements type restaurants et café, des espaces publics, avec vue sur la mer à l’étage.

Ailleurs, tout près, il a été décidé tout simplement de se passer de digue. Avec de nombreuses entreprises travaillant dans le tourisme et la navigation, la communauté toute entière s’est mobilisée pour un développement sans passer par la protection d’un brise-lames.

Nul autre endroit sur la côte japonaise la question de la protection contre les tsunamis ne présente sur 500 mètres à peine des solutions aussi diverses que portes à clapet, intégration structurelle d’activité économique ou absence pure et simple de digue. Le lieu est d’ores et déjà un modèle que viennent visiter étudiants, chercheurs et architectes de structures de protection contre les catastrophes naturelles.

La digue a certes occupé une grande partie de la période limitée consacrée à la réhabilitation des zones sinistrées, mais elle s’est avérée un motif majeur de sensibilisation des citoyens à ce sujet. Grâce à ces discussions, les autorités administratives et les citoyens ont pu partager leur vision de « la vie avec la mer », et d’avancer sans renoncer.

La partie rouge est le système de « volets à clapet ». Au fond, on aperçoit la ville conçue pour une « réhabilitation créative ».
La partie rouge est le système de « volets à clapet ». Au fond, on aperçoit la ville conçue pour une « réhabilitation créative ».

(Photo de titre : une digue dans la ville de Kesennuma, préfecture de Miyagi. Kyodo News. Toutes les autres photos sont de l’auteur.)

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