Suga est-il un mauvais communicant ? L’impopularité du Premier ministre japonais

Politique

Tase Yasuhiro [Profil]

L’épidémie de coronavirus a révélé le point faible du Premier ministre Suga Yoshihide, à savoir un manque de talent manifeste en matière de communication. Quand il a annoncé le retour de l’état d’urgence dans l’Archipel le 7 janvier 2021 à l’occasion d’une conférence de presse, les Japonais auraient dû être profondément touchés par son propos, sa façon de s’exprimer et le contenu de son message. Mais il n’en a rien été. Le chef du gouvernement s’est en effet contenté d’afficher un visage impassible et de lire son discours d’un ton monocorde. Qu’est-ce qui fait qu’un leader réussit à communiquer efficacement ou pas ? C’est la question à laquelle un journaliste politique se propose de répondre notre article.

Un Premier ministre visiblement peu doué pour la communication

Le Covid-19 a bouleversé le monde et mis en lumière les capacités respectives des dirigeants de chaque pays. Au Japon, de nombreuses voix se sont élevées pour déplorer les lacunes de Suga Yoshihide en matière de communication. Il est vrai que lors de ses interventions, le Premier ministre se limite en général à débiter des textes préparés par son administration. Et il n’y a pas que sa façon de s’exprimer qui pose problème. Suga Yoshihide semble en effet avoir une politique indécise, influencée par des personnages comme Nikai Toshihiro, secrétaire général du Parti libéral-démocrate (PLD, au pouvoir) et Nishimura Yasutoshi, ministre de la Revitalisation économique. Des membres de son propre parti n’ont d’ailleurs pas hésité à se moquer du manque d’assurance de son gouvernement.

En octobre 2020, le milliardaire chinois Jack Ma, fondateur du groupe de commerce en ligne Alibaba, a brusquement disparu après un discours où il avait ouvertement critiqué le président Xi Jinping et son gouvernement. L’affaire a fait grand bruit. De curieuses rumeurs sans le moindre fondement ont alors circulé, alimentées par une prétendue ressemblance entre le Premier ministre japonais et le célèbre homme d’affaires (voir notre article du même auteur : Le nouveau Premier ministre japonais, un Jack Ma japonais ?). À les croire, Jack Ma avait réussi à s’enfuir et il s’était réfugié à Tokyo où il vivait dans le Kantei, le Cabinet du Premier ministre. Il s’est avéré bien vite que tout cela était faux. Quoi qu’il en soit depuis un mois, Suga Yoshihide s’est montré incapable de prendre la moindre décision. Certains se sont donc empressés de souligner que si Jack Ma avait effectivement pris sa place, il se serait sans doute montré beaucoup plus actif que lui.

Un contraste saisissant avec le discours plein d’empathie d’Angela Merkel

Quand Suga Yoshihide donne une conférence de presse, il garde les yeux rivés sur son texte pratiquement tout le temps et son élocution est si mauvaise qu’on a souvent du mal à comprendre ce qu’il dit. En énumérant les préfectures concernées par l’état d’urgence, il a confondu Shizuoka avec Fukuoka et n’a même pas pris la peine de rectifier son erreur. On est en droit de se demander pourquoi le Premier ministre est incapable de manifester de l’émotion comme Angela Merkel, lorsqu’elle s’est adressée à son peuple avec des sanglots dans la voix, le 9 décembre 2020. Le nombre des morts dues au Covid-19 venait d’atteindre son point culminant en Allemagne. La Chancelière a donc pris la parole devant le Bundestag et supplié les gens de rester chez eux pour les fêtes plutôt que de risquer de « passer le dernier Noël de leur vie avec leurs grands-parents ».

Mais on ne peut pas en espérer autant au Japon. Les hommes politiques et la plupart des habitants de l’Archipel n’ont en effet aucune aptitude en matière de communication, sauf quand ils ont séjourné à l’étranger. Beaucoup n’ont jamais eu besoin ce type de compétence et ceux qui ont tenté de prendre la parole en public se sont faits souvent traiter de « beau parleur » ou d’« incapable de transformer les paroles en actes ». Les dirigeants japonais ne reçoivent aucune formation à cet égard et dans les écoles de l’Archipel, on n’apprend pas davantage aux enfants à s’exprimer.

Un manque évident de formation

Au Japon, il y a trois grands types d’hommes politiques. Le premier est constitué de diplômés des établissements universitaires les plus prestigieux du pays, en particulier l’Université de Tokyo. Ceux-ci font en général une belle carrière dans la fonction publique avant de se lancer dans la politique. Ils ont certaines compétences de base mais n’évoluent guère à partir du moment où ils changent d’orientation. Au point qu’on peut se demander ce qu’ils auraient fait s’ils étaient restés dans la fonction publique. Ils n’ont pas de grandes aptitudes en termes de communication mais ne font pas pour autant l’objet de critiques.

Le second type a la particularité d’avoir effectué des études à l’étranger en prévision d’une carrière politique. Ces politiciens ont suffisamment d’allure pour passer à la télévision et une certaine aptitude à communiquer. C’est le cas par exemple de Koike Yuriko, la gouverneure de Tokyo. Les membres de ce groupe font bonne impression quand ils s’expriment mais dès qu’on y regarde de plus près, on constate en général que le contenu de leur discours est creux.

Le dernier type est celui d’hommes politiques partis de rien qui ont réussi à la force du poignet, à l’instar de Suga Yoshihide et Nikai Toshihiro. Leur parcours a débuté en province et ce n’est qu’ensuite qu’il a pris une envergure nationale. Ils n’ont jamais occupé de poste dans une entreprise importante et de ce fait, il est impossible d’évaluer leurs compétences à l’aune du secteur privé. Un bon exemple est Kanemaru Shin (1914-1996), le « faiseur de rois » du Parti libéral-démocrate qui a été vice-président du PLD et directeur général de l’Agence de la défense. Pendant la plus grande partie de sa carrière, il est resté dans l’ombre, impossible à cerner, ce qui lui a permis d’éviter beaucoup de critiques.

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Tase YasuhiroArticles de l'auteur

Né en 1944, dans la province chinoise du Heilongjiang alors occupée par le Japon. Journaliste politique. Diplômé d’économie politique de la Faculté des sciences politiques et économiques de l’Université Waseda. Il a travaillé pour le journal Nippon keizai shimbun où il a été successivement directeur du bureau de Washington, membre du conseil éditorial et directeur éditorial adjoint. Auteur de divers ouvrages dont « La politique et l’Etat : portraits des dirigeants d’une période de crise » (Kokka to seiji : Kiki no jidai no shidôsha zô, NHK shuppan shinsho, 2011).

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