Le nouveau Premier ministre Suga, un Jack Ma japonais ?

Politique

Tase Yasuhiro [Profil]

Suga Yoshihide : voici un Premier ministre japonais qui se démarque franchement de tous ses prédécesseurs de l’après-guerre. Aussi bien physiquement que du point de vue de ses origines familiales et de ses antécédents, tout chez lui est d’une extrême modestie. C’est un battant, qui a atteint le sommet à la force de ses bras, tout le contraire d’un produit de l’élite. Si dans un premier temps, un sentiment quelque peu dubitatif s’est fait jour dans la population devant la nomination d’un chef de gouvernement si atypique, pour Tase Yasuhiro, journaliste politique, « on pourrait bien assister à la métamorphose d’un leader politique d’une popularité qui le surprendra lui-même ». Il nous explique ses propos en commençant par le comparer au milliardaire chinois Jack Ma.

Ce qui fait grimper un septième et dernier secrétaire jusqu’aux sommets

Okonogi Hikosaburô, député de la Chambre des représentants de la ville de Yokohama, était un politicien d’une immense autorité. Son influence sur la ville de Yokohama et la préfecture de Kanagawa fut énorme.

Okonogi avait sept secrétaires parlementaires, et le numéro 7, c’était Suga. Suga a souvent mis les gens au pas en déclarant que, lui ici, il se mettrait en travers de quiconque envisagerait de faire quoi que ce soit qui cause le moindre désagrément à M. Okonogi. Okonogi l’apprécia pour cela et confia bientôt la haute main sur l’organigramme du personnel de l’appareil d’État. C’est là qu’il apprit que le contrôle du personnel était le meilleur moyen d’avoir les haut-fonctionnaires de son côté. L’entregent dont il dispose dans la haute administration est surprenant.

Cette expérience comme alter ego de Okonogi Hikozaburô, voilà ce qui forme l’ossature de base de la personnalité politique de Suga Yoshihide aujourd’hui. Ce n’est pas une expérience que n’importe quel passage au secrétariat parlementaire du député lambda ou d’un conseiller municipal va vous permettre d’acquérir. Rien ne se passait à Kanagawa sans l’approbation de Suga. Et non seulement le gouverneur actuel de Kanagawa, Kuroiwa Yûji ou la maire de Yokohama Hayashi Fumiko, mais tous les élus de la préfecture de Kanagawa, jusqu’à Kôno Tarô, le ministre chargé de la Réforme administrative, et Koizumi Shinjirô, le ministre de l’environnement, tous sont passés sous la direction de Suga.

Sa modestie lui gagnera les faveurs populaires

Tout d’abord, quelle est l’origine de son nom, « Suga ». Un vers du chant ancien Chatsumi parle d’une femme en « tasuki (remonte-manches) écarlate et chapeau de suge ». Le suge, c’est le carex, une plante coriace dont on fait des chapeaux tressés. C’est l’étymologie du nom de famille Suga, prononciation locale de suge.

Le nom devait être particulièrement commun dans les régions rurales d’Akita. Le nom de famille « Kan », qui s’écrit avec le même kanji 菅 (comme l’ancien Premier ministre Kan Naoto), a la même origine. On trouve ce nom avec ses deux prononciations dans tout le pays, mais la prononciation « Kan » est plus commune dans les préfectures de Ehime et Yamagata. C’est l’inverse à Akita.

(Le kanji étant le même, il paraît qu’en Chine, certains ont cru à un retour en grâce de l’ancien Premier ministre Kan Naoto...)

Suga à l’air très modeste comme ça, mais c’est justement ce trait de caractère qui devrait le rendre populaire, à mon avis. Bien entendu, pour certaines personnes le gouvernement Suga n’est qu’une continuation du gouvernement Abe avec d’autres têtes, mais personnellement, je pense le contraire. Et je subodore une réélection triomphale à la tête du PLD en septembre 2021.

L’avènement de Suga sur le devant de la scène pourrait changer en profondeur l’image des politiciens japonais. Une jeune génération sans lien dynastique avec le monde de la politique pourrait sauter dans l’arène et apporter un sang nouveau.

(Voir également notre article du même auteur : Qui est-il et que veut-il ? Les défis du nouveau Premier ministre Suga Yoshihide)

(Photo de titre : à gauche, Suga Yoshihide © Kyodo News. Jack Ma © Reuters/Kyodo News)

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Tase YasuhiroArticles de l'auteur

Né en 1944, dans la province chinoise du Heilongjiang alors occupée par le Japon. Journaliste politique. Diplômé d’économie politique de la Faculté des sciences politiques et économiques de l’Université Waseda. Il a travaillé pour le journal Nippon keizai shimbun où il a été successivement directeur du bureau de Washington, membre du conseil éditorial et directeur éditorial adjoint. Auteur de divers ouvrages dont « La politique et l’Etat : portraits des dirigeants d’une période de crise » (Kokka to seiji : Kiki no jidai no shidôsha zô, NHK shuppan shinsho, 2011).

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