Le Japon « addict au charbon » : revoir la politique énergétique pour ne pas finir isolé
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Le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI), a annoncé en juillet 2020 son intention de réduire graduellement d’ici à 2030 le nombre de centrales thermiques à charbon ancien modèle, qui sont fortement émettrices de CO2. Alors que l’Union européenne et d’autres régions font la promotion de l’énergie verte, « l’addiction au charbon », pour reprendre la formule du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, des pays d’Asie de l’Est, Japon compris, est critiquée par le reste du monde.
Avec la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine, les États-Unis se réorientent également vers une politique de promotion de l’énergie verte. L’annonce du METI a sans doute été faite parce que, dans le contexte de ces manœuvres internationales autour d’une décarbonation, le Japon a éprouvé le besoin de souligner sa détermination à progresser à cet égard.
Mais le simple arrêt et la mise au rebut d’une partie des centrales à charbon n’aura pas un impact important sur la réduction des émissions de CO2. À l’heure actuelle, on ne sait pas non plus quelles seront les sources d’énergie alternatives. La manière dont le gouvernement du Premier ministre Suga parviendra à promouvoir l’usage d’énergies renouvelables, solaire ou éolienne, au moment où il n’existe toujours pas de calendrier pour la remise en route des centrales nucléaires, va faire l’objet de beaucoup d’attention.
L’élimination des centrales à charbon peu productives
Le METI avait annoncé en juillet cette nouvelle politique de réduction graduelle de l’électricité thermique produite à partir de charbon en utilisant l’expression « fade out » (effacement graduel). Un nouveau groupe de travail, formé d’experts, a été constitué pour la mettre en œuvre.
Sur la base de l’accord de Paris qui a fixé un cadre international de mesures pour lutter contre le réchauffement climatique, le Japon s’est engagé à diminuer, d’ici à 2030, ses émissions de gaz à effet de serre de 26 % par rapport à qu’elles étaient en 2013. Afin d’y parvenir, le cinquième plan fondamental de l’énergie adopté par le gouvernement en 2018 fixe l’objectif de ramener la part de l’énergie thermique à charbon à 26 % du mix électrique d’ici à l’exercice 2030.
Mais le redémarrage de la production électrique nucléaire, définie par le gouvernement comme « importante et fondamentale » tarde, et la dépendance au charbon demeure élevée. L’électricité thermique due au charbon représentait 32 % de la production électrique totale pendant l’exercice 2018. De plus, la construction de 17 nouvelles centrales électriques au charbon est prévue au Japon, et l’analyse de l’Agence pour les ressources naturelles et l’énergie est que si rien ne change, le degré de dépendance à l’énergie thermique au charbon atteindra un niveau proche de 40 %.
Le groupe de travail a commencé à étudier une nouvelle mesure, l’élimination des centrales à charbon ancien modèle et peu productives. 114 des 150 centrales au charbon actuellement en activité font partie de cette catégorie. Elles représentent 16 % du mix électrique.
Un isolement préoccupant à l’heure des élections américaines
Cette politique du fade-out existait dès le départ : elle figure dans le cinquième plan fondamental de l’énergie adopté il y a deux ans. Il semble néanmoins que le METI a commencé à faire rapidement avancer les discussions à ce sujet depuis le début de 2020. À en croire une source gouvernementale, ce serait dû aux changements drastiques intervenus dans le domaine de l’énergie verte.
La Commission européenne a annoncé en mars dernier une proposition de directive prévoyant de parvenir à la neutralité carbone au sein de l’UE en 2050. Le groupe d’experts techniques sur le financement durable de la Commission européenne a rédigé une proposition qui exclut des investissements durables notamment les centrales thermiques à charbon.
La tendance à réduire les capitaux investis dans des activités carbonées comme celles liées aux énergies fossiles ne cesse de prendre de l’ampleur. Au Japon, trois des plus grands groupes financiers, Mitsubishi-UFJ, Mizuho et Mitsui-Sumitomo, ont déjà annoncé l’an passé qu’ils auraient dorénavant pour principe de ne pas financer de nouvelles centrales thermiques à charbon. Si l’UE rend ses règles encore plus sévères, les restrictions sur les investissements dans ce secteur ne manqueront pas de s’intensifier.
L’Europe qui progresse vers la décarbonation guide les capitaux vers les énergies renouvelables, et a l’intention de promouvoir l’innovation technologique. Un responsable de la politique de l’environnement et de l’économie du Fonds monétaire international (FMI) indique que si l’UE se positionne en leader pour les règles internationales comme les critères relatifs à la décarbonation, cela la placera dans une position favorable pour l’activité industrielle et économique pendant les prochaines décennies.
Même la Chine, un des leaders mondiaux en matière d’émissions, s’efforce de participer à cette lutte pour prendre l’initiative, en augmentant la proportion des automobiles utilisant de nouvelles énergies, notamment les voitures électriques, ou en annonçant qu’elle promeut des innovations technologiques pour diminuer les émissions. Un expert en sécurité économique fait l’analyse suivante : si la Chine lance une contre-attaque sur le marché économique mondial avec les véhicules électriques, c’est pour se donner l’image d’un pays qui se soucie de l’environnement.
Au sein du ministère de l’Environnement et du METI, des voix sonnent l’alarme sur les initiatives prises par l’UE et la Chine pour accélérer la formation d’un ordre international et sur un possible changement d’orientation aux États-Unis. Depuis l’arrivée au pouvoir en 2017 du président Trump, dont les fréquentes déclarations exprimant des doutes sur la réalité du changement climatique ont été très remarquées, les États-Unis ont accordé un traitement de faveur au carbone en soutenant le secteur de l’énergie et les industries pétrolières. Mais si Joe Biden remporte l’élection, une réorientation vers une politique « verte » est très vraisemblable.
Une personne qui travaille dans la diplomatie environnementale ne cache pas son inquiétude en disant qu'« en cas d’une défaite du président Trump, le Japon sera isolé entre les États-Unis et l’Europe qui poursuivront une politique de décarbonation ». Selon une source gouvernementale, la politique du fade-out a été à nouveau mentionnée parce qu’au moment où la pression internationale augmentait, juste avant l’élection présidentielle américaine, « elle constitue un élément pour se préparer à un changement dramatique. »
Des difficultés pour se débarrasser du surnom d’« intoxiqué au charbon »
Mais la route qui mène au fade-out est jalonnée d’obstacles.
L’industrie des matériaux, comme la sidérurgie, est le secteur qui se montre le plus circonspect vis-à-vis de cette orientation gouvernementale. Des 114 centrales thermiques à charbon peu efficaces que l’Agence des ressources naturelles et de l’énergie cherche à fermer, environ 80 appartiennent à des entreprises de ce secteur, pour qui elles produisent de l’électricité, et non à des producteurs d’électricité.
L’Union japonaise de la sidérurgie a souligné devant le groupe de travail que les sidérurgistes japonais ont pris volontairement des mesures pour réduire leurs émissions et dépenser moins d’énergie, et elle a agité un drapeau rouge en affirmant que si ces centrales thermiques à charbon qui lui appartiennent devaient être fermées, « leur survie était en jeu, et cela aurait forcément des répercussions sur leur compétitivité à l’international. »
L’association des industries chimiques japonaises a pour sa part exprimé ses préoccupations en ces termes : « il faudrait alors des aménagements d’infrastructures supplémentaires, notamment un combustible de remplacement, ou la garantie d’un approvisionnement électrique d’un prix raisonnable. »
Après le fade-out des centrales thermiques à charbon non-efficaces, la manière dont sera assuré un approvisionnement en électricité stable n’est pas claire. Le gouvernement d’Abe Shinzô, au pouvoir pendant plus de sept ans, ne s’est jamais départi de sa position accordant la priorité à l’énergie nucléaire, et a cherché à promouvoir le redémarrage des centrales nucléaires, en avançant que la fermetures des centrales à charbon risquait d’entraîner un approvisionnement en électricité insuffisant. Mais le coût des mesures pour garantir la sécurité des centrales nucléaires, une fois inclus les frais de la protection contre le terrorisme, n’a cessé d’enfler, et il n’est pas non plus facile d’obtenir l’approbation des collectivités locales.
Le pourcentage de l’électricité nucléaire dans le mix électrique était de 6 % en 2018. Il sera extrêmement difficile d’atteindre l’objectif de l’actuel plan fondamental de l’énergie qui le fixe à 20 à 22 % d’ici à l’exercice 2030, et de l’utiliser pour compenser le fade-out.
De plus, on peut aussi envisager que le seul fade-out ne permettra pas au Japon de se débarrasser de cette réputation d' « intoxiqué au charbon ». Avec les États-Unis de Joe Biden qui s’orientent vers une politique d’énergie verte, il est possible que le gouvernement américain demande au Japon des transactions financières tournées vers une diminution des émissions et des investissements dans les énergies renouvelables.
Selon la situation internationale après l’élection présidentielle américaine, ce genre d’investissements et le soutien à une politique en ce sens prendront encore plus d’importance comme un outil de politique internationale. Le METI a commencé à étudier la possibilité d’élargir, parallèlement au fade-out des centrales thermiques à charbon non efficaces, les mesures de soutien aux énergies renouvelables axées sur l’énergie éolienne en mer.
Le plan fondamental de l’énergie du gouvernement japonais sera étudié de près pour comprendre les mesures concrètes envisagées pour augmenter la part des énergies renouvelables dans la production électrique. Il est aussi important de tenir compte de la réalité, à savoir que les centrales nucléaires ne redémarrent pas. On s’attend à ce que le nouveau Premier ministre, comme son prédécesseur, va tenter de les remettre en route, mais si cela ne se produit pas, il devra faire preuve de détermination politique.
(Photo de titre : la centrale électrique Nakoso de Jôban Joint, exploitée par la compagnie Tepco, dans la ville d’Iwaki, préfecture de Fukushima. Elle utilise les dernières techniques de cycle combiné à gazéification intégrée [CCGI]. Jiji Press)