Développer le congé de paternité au Japon : un bénéfice à long terme pour la famille et l’entreprise

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Kuga Naoko [Profil]

Le congé parental permet à une personne salariée de rester chez elle jusqu’à ce que son enfant atteigne l’âge d’un an. Cette personne est alors assurée de recevoir un maximum de 67 % de son salaire mensuel les six premiers mois de cette période. Cependant, les nouveaux papas sont encore peu nombreux à prendre leur congé de paternité. Les experts réfléchissent à différents moyens de les encourager à saisir cette occasion pour passer du temps et s’occuper de leur nouveau-né, et les entreprises ont également beaucoup à y gagner sur le long terme.

Une pratique encore très peu répandue

Si le Japon jouit d’un système de congé parental parmi les plus aboutis, peu nombreux sont encore les pères qui en profitent. Seuls 6,2 % des nouveaux papas, pouvant bénéficier de ce système, ont pris un congé de paternité au cours de l’exercice 2018, contre 80 % des jeunes mamans. Avec pour objectif de faire passer cette proportion à 13 % d’ici la fin de l’année 2020, le gouvernement japonais a mis en place diverses initiatives. Toutefois, il est peu probable que cet objectif soit atteint.

Par ailleurs, dans le cas où les pères prennent un congé de paternité, ils n’en utilisent que quelques jours seulement. En 2018, environ 70 % des hommes en ont pris un d’une durée de moins de deux semaines, et la plupart d’entre eux ont pris moins de cinq jours, correspondant à peine à quelques jours de vacances pour un salarié normal. En comparaison, environ 60 % des mères ont pris un congé parental d’environ un an.

Au Japon, la loi sur les gardes d’enfants et le congé parental garantit à toute personne salariée des prestations de congé de garde d’enfants jusqu’à ce que ces derniers atteignent l’âge d’un an. Celles et ceux qui bénéficient d’une assurance pour l’emploi peuvent ainsi prétendre à des prestations équivalant à 67 % de leur salaire pendant les six premiers mois, puis à 50 % pendant les six mois suivants. Cependant, dans les faits, ces prestations correspondent à 80 % du salaire net normal, ces dernières n’étant pas soumises à l’impôt sur le revenu et étant exonérées des cotisations d’assurance sociale et d’assurance pour l’emploi de l’entreprise.

En novembre 2019, dans l’espoir d’inciter davantage d’hommes à prendre un congé paternité, le gouvernement a dévoilé de nouvelles mesures. Elles concernent les fonctionnaires et les encouragent à prendre au moins un mois de congé paternité. Plus tard, en mars 2020, à l’instar du gouvernement, une équipe de projet du Parti libéral démocrate (PLD, au pouvoir) a dévoilé d’autres mesures prévoyant un congé paternité d’une durée de quatre semaines après l’accouchement de leur partenaire avec une augmentation des prestations équivalente à 100 % de leur salaire. L’équipe de projet a également demandé aux législateurs de traiter les questions des pressions exercées par l’entreprise, des rôles traditionnels des hommes et des femmes et des conditions de travail, notamment l’individualisation excessive des tâches, tout autant de facteurs rendant la demande de congé paternité particulièrement difficile pour les hommes.

Travailler plus pour gagner plus, sans tenir compte de la productivité

Grâce à de récentes réformes dans le monde du travail, comme la Loi sur la promotion de la participation et de l’avancement des femmes sur le lieu de travail, il est maintenant plus facile pour les employés de prendre des congés ou d’avoir un emploi du temps allégé pour raisons familiales. Toutefois, même avec de tels systèmes en place, de nombreuses entreprises reposent encore sur un système de valeurs traditionnelles, extrêmement présent, où l’éducation des enfants est réservée au sexe faible si bien que le sexe fort, lui, n’est que peu voire pas concerné. Il est donc difficile pour les pères de bénéficier de ce système. En outre, il n’est pas rare que des hommes ayant pris plusieurs mois de congé soient l’objet de discrimination à leur retour sur le lieu de travail et finissent par se résigner et donner leur démission.

Dans de telles conditions, les nombreuses initiatives du gouvernement visant à tenter de remédier au faible taux de natalité au Japon semblent bien vaines. Par ailleurs, un grand nombre de personnes doivent effectuer de longues heures de travail ; nombreuses sont encore les entreprises qui considèrent que plus un employé travaille, et moins il prend de congés, plus il est productif. Selon cette vision plus qu’archaïque, la productivité et la qualité du travail dépendent du temps consacré par l’employé.

Au Japon, il est clair que la manière dont les performances des travailleurs sont évaluées doit être reconsidérée. Par exemple, aujourd’hui, un employé peut consacrer plus de temps à une tâche pour atteindre le même niveau de production et de qualité qu’un collègue plus rapide ; le premier devra être mieux rémunéré du fait du nombre d’heures supplémentaires payées tandis que le second le sera moins. Dans un système où ce ne serait plus le nombre d’heures de travail qui primerait, il ne serait pas nécessaire pour l’entreprise de rémunérer autant le premier employé pour la même tâche que le second, et cela serait également un évaluation plus juste de la qualité de travail d’un employé que le nombre d’heures effectuées. Mais le monde du travail est en perpétuelle évolution et les tendances dominantes en la matière s’éloignent la vision nippone. Des horaires flexibles sont de plus en plus privilégiés, favorisant un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Enfermé dans ces conceptions désuètes, le Japon aura du mal à être compétitif au niveau mondial. Les tâches font de plus en plus appel à l’intelligence artificielle ou encore l’Internet des Objets.

Suite > Travailler moins pour s’occuper de ses enfants... et de ses ainés

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Kuga NaokoArticles de l'auteur

Chercheuse principale au département de l’amélioration sociale et des modes de vie de l’Institut de recherche NLI. Elle termine ses études de troisième cycle à l’université de Waseda en 2001 et son diplôme en poche, elle intègre tout d’abord l’entreprise NTT Docomo. Elle occupe son poste actuel depuis 2016 et est spécialisée dans le comportement des consommateurs et la psychométrie, notamment chez les jeunes, les femmes et les parents. Elle est membre de différentes commissions chargées de superviser les enquêtes statistiques du Bureau du Cabinet et du ministère des Affaires intérieures et des Communications. Parmi ces ouvrages figurent notamment « Les jeunes n’ont-ils vraiment pas d’argent : la surprenante vérité derrière les statistiques » (Wakamono wa hontô ni okane ga nai no ka : Tôkei data ga kataru igai na shinjitsu).

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