Développer le congé de paternité au Japon : un bénéfice à long terme pour la famille et l’entreprise
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Une pratique encore très peu répandue
Si le Japon jouit d’un système de congé parental parmi les plus aboutis, peu nombreux sont encore les pères qui en profitent. Seuls 6,2 % des nouveaux papas, pouvant bénéficier de ce système, ont pris un congé de paternité au cours de l’exercice 2018, contre 80 % des jeunes mamans. Avec pour objectif de faire passer cette proportion à 13 % d’ici la fin de l’année 2020, le gouvernement japonais a mis en place diverses initiatives. Toutefois, il est peu probable que cet objectif soit atteint.
Par ailleurs, dans le cas où les pères prennent un congé de paternité, ils n’en utilisent que quelques jours seulement. En 2018, environ 70 % des hommes en ont pris un d’une durée de moins de deux semaines, et la plupart d’entre eux ont pris moins de cinq jours, correspondant à peine à quelques jours de vacances pour un salarié normal. En comparaison, environ 60 % des mères ont pris un congé parental d’environ un an.
Au Japon, la loi sur les gardes d’enfants et le congé parental garantit à toute personne salariée des prestations de congé de garde d’enfants jusqu’à ce que ces derniers atteignent l’âge d’un an. Celles et ceux qui bénéficient d’une assurance pour l’emploi peuvent ainsi prétendre à des prestations équivalant à 67 % de leur salaire pendant les six premiers mois, puis à 50 % pendant les six mois suivants. Cependant, dans les faits, ces prestations correspondent à 80 % du salaire net normal, ces dernières n’étant pas soumises à l’impôt sur le revenu et étant exonérées des cotisations d’assurance sociale et d’assurance pour l’emploi de l’entreprise.
En novembre 2019, dans l’espoir d’inciter davantage d’hommes à prendre un congé paternité, le gouvernement a dévoilé de nouvelles mesures. Elles concernent les fonctionnaires et les encouragent à prendre au moins un mois de congé paternité. Plus tard, en mars 2020, à l’instar du gouvernement, une équipe de projet du Parti libéral démocrate (PLD, au pouvoir) a dévoilé d’autres mesures prévoyant un congé paternité d’une durée de quatre semaines après l’accouchement de leur partenaire avec une augmentation des prestations équivalente à 100 % de leur salaire. L’équipe de projet a également demandé aux législateurs de traiter les questions des pressions exercées par l’entreprise, des rôles traditionnels des hommes et des femmes et des conditions de travail, notamment l’individualisation excessive des tâches, tout autant de facteurs rendant la demande de congé paternité particulièrement difficile pour les hommes.
Travailler plus pour gagner plus, sans tenir compte de la productivité
Grâce à de récentes réformes dans le monde du travail, comme la Loi sur la promotion de la participation et de l’avancement des femmes sur le lieu de travail, il est maintenant plus facile pour les employés de prendre des congés ou d’avoir un emploi du temps allégé pour raisons familiales. Toutefois, même avec de tels systèmes en place, de nombreuses entreprises reposent encore sur un système de valeurs traditionnelles, extrêmement présent, où l’éducation des enfants est réservée au sexe faible si bien que le sexe fort, lui, n’est que peu voire pas concerné. Il est donc difficile pour les pères de bénéficier de ce système. En outre, il n’est pas rare que des hommes ayant pris plusieurs mois de congé soient l’objet de discrimination à leur retour sur le lieu de travail et finissent par se résigner et donner leur démission.
Dans de telles conditions, les nombreuses initiatives du gouvernement visant à tenter de remédier au faible taux de natalité au Japon semblent bien vaines. Par ailleurs, un grand nombre de personnes doivent effectuer de longues heures de travail ; nombreuses sont encore les entreprises qui considèrent que plus un employé travaille, et moins il prend de congés, plus il est productif. Selon cette vision plus qu’archaïque, la productivité et la qualité du travail dépendent du temps consacré par l’employé.
Au Japon, il est clair que la manière dont les performances des travailleurs sont évaluées doit être reconsidérée. Par exemple, aujourd’hui, un employé peut consacrer plus de temps à une tâche pour atteindre le même niveau de production et de qualité qu’un collègue plus rapide ; le premier devra être mieux rémunéré du fait du nombre d’heures supplémentaires payées tandis que le second le sera moins. Dans un système où ce ne serait plus le nombre d’heures de travail qui primerait, il ne serait pas nécessaire pour l’entreprise de rémunérer autant le premier employé pour la même tâche que le second, et cela serait également un évaluation plus juste de la qualité de travail d’un employé que le nombre d’heures effectuées. Mais le monde du travail est en perpétuelle évolution et les tendances dominantes en la matière s’éloignent la vision nippone. Des horaires flexibles sont de plus en plus privilégiés, favorisant un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Enfermé dans ces conceptions désuètes, le Japon aura du mal à être compétitif au niveau mondial. Les tâches font de plus en plus appel à l’intelligence artificielle ou encore l’Internet des Objets.
Travailler moins pour s’occuper de ses enfants... et de ses ainés
Dans le même temps, la pandémie de coronavirus a littéralement bousculé les modes de travail conventionnels, suscitant de nombreuses réformes inattendues. Déclaration de l’état d’urgence au mois d’avril, pression sur les entreprises pour privilégier le travail à distance afin de freiner la propagation du Covid-19 ; tout autant de changements qui ont longtemps été encouragés dans le cadre de réformes plus larges du style de travail, mais le plus souvent en vain. La crise sanitaire, qui devrait se poursuivre pendant encore quelque temps, a changé la donne. Et il est probable que de nombreuses entreprises qui ont opté pour de nouvelles méthodes de travail les adoptent définitivement.
Le nombre de personnes se rendant sur leur lieu de travail ayant diminué, les entreprises n’auront d’autre choix que de revoir les critères de gestion et d’évaluation de leurs employés ; il leur faudra passer d’une évaluation basée sur le nombre d’heures de travail effectuées à un système de type occidental, basé sur les résultats effectivement obtenus, qui valorise la productivité.
La capacité pour des employés à décider du moment et du lieu où ils travaillent permettra à une plus grande diversité de personnes et de styles de travail de coexister et bousculera fort probablement un grand nombre de coutumes et de valeurs établies de longue date. Le fait de ne plus avoir à se rendre sur son lieu de travail permettra à de nombreuses femmes de reprendre leur carrière après leur accouchement et ce tout en s’occupant de leurs enfants, particulièrement lorsqu’ils sont en bas âge. Elles n’auraient ainsi plus à choisir entre leur travail et leurs enfants et/ou des parents âgés.
Cette absence de nécessité de se rendre sur son lieu de travail prendra de plus en plus d’importance pour des entreprises aux structures plus traditionnelles, notamment en raison des changements majeurs des tendances en matière de soins aux personnes âgées au cours des dernières années. Selon l’enquête globale sur les conditions de vie menée en 2016 par le ministère de la Santé, du Travail et de la Protection sociale, jusqu’au début des années 2000, c’était en majeure partie la belle-fille qui s’occupait des personnes âgées de la famille. Cependant, ces dernières années, les choses ont évolué et, pour la première fois, ce sont plutôt les fils qui prennent soin de leurs aînés, créant une situation sans précédent où nombreux sont ceux qui doivent apprendre à travailler tout en s’occupant d’un parent âgé.
Ces personnes-là, ce sont principalement des quinquagénaires. C’est dans cette tranche d’âge qu’on retrouve également la plupart des employés occupant des postes de direction. Les entreprises seront donc mises devant le fait accompli : revoir leurs priorités ne sera plus une option si elles ne veulent pas perdre des personnes essentielles. Même si ces hommes effectuent moins d’heures de travail pour consacrer plus de temps à leurs aînés, leurs compétences en matière de gestion pour diriger leurs équipes et obtenir de réels résultats, elle, ne s’en trouve en rien affectée. Voilà là un exemple de plus, s’il en est besoin, qui montre bien qu’il est temps pour le Japon de vivre avec son temps et d’abandonner son mode de travail traditionnel.
Les bienfaits du congé paternité pour le ménage
Un grand nombre d’employés voient dans le congé paternité le risque d’une perte de salaire, ce qui aura, pensent-ils, immanquablement un impact sur le revenu du ménage. Cependant, même si le congé paternité entraîne une baisse de revenus à court terme, il peut à coup sûr entraîner une augmentation des revenus sur le long terme.
Prenons le cas d’une femme diplômée de l’enseignement supérieur, qui a deux enfants. Elle prend un congé maternité après l’accouchement et à son retour au travail, elle bénéficie d’un emploi du temps allégé mains continue de travailler à plein temps. Au moment de sa retraite, cette femme aura probablement gagné plus de 200 millions de yens (1,62 million d’euros). En revanche, si elle choisit de quitter son emploi après l’accouchement et de reprendre un travail à temps partiel une fois que ces enfants auront grandi, elle n’aura gagné qu’environ 60 millions de yens (490 000 euros) pour l’ensemble de sa carrière. Même en tenant compte de la perte de revenus d’un homme lorsqu’il prend un congé paternité, une femme qui conserve son emploi représente plus de 100 millions de yens (810 000 euros) en plus pour le ménage. S’ils faisaient leurs calculs, ces nouveaux papas réfléchiraient peut-être à deux fois à la situation et s’occuperaient davantage de leurs enfants pour aider leur femme à poursuivre leur carrière. Les familles modernes sont souvent lourdement endettées et les recherches montrent qu’un grand nombre de jeunes couples ont besoin de deux revenus pour maintenir la stabilité financière de leur ménage.
Selon une étude longitudinale réalisée par le ministère de la Santé à partir de 2017, les femmes sont plus nombreuses à reprendre leur carrière après l’accouchement lorsque leur mari consacre du temps aux travaux ménagers et à la garde des enfants. En outre, un mari qui prend un congé juste au moment où son épouse reprend le travail peut faciliter les choses pour elle. Selon le Livre blanc du bureau du Cabinet sur la baisse de la natalité à partir de 2019, un mari qui consacre du temps aux tâches ménagères et à la garde des enfants peut faciliter l’arrivée d’un deuxième ou d’un troisième enfant pour un couple.
Cependant, il ne faut pas se méprendre ; le congé paternité n’a que très peu à voir avec des vacances à proprement dit, ce que ne comprennent pas certains pères. Je pense que les gouvernements locaux ou les maternités devraient expliquer aux futurs pères comment s’occuper d’un enfant et les changements qui surviennent chez une femme après l’accouchement. Les mères pourraient alors compter sur leur conjoint pour la garde des enfants et les tâches ménagères. Enfin, pour éviter tout malentendu, changer le nom du congé parental en japonais, qui comporte le caractère « vacances » (yasumi), comme le suggère le groupe de travail du Parti libéral-démocrate serait, je pense, une bonne chose.
Les entreprises ne devraient en aucun cas percevoir la prise de congé paternité par un employé comme une mauvaise chose, bien au contraire. S’occuper d’un nouveau-né nécessite une attention 24h/24, les nuits de sommeil complètes se font rares et les repas sont souvent pris quand les parents le peuvent et/ou sur le pouce. Les travaux ménagers et autres doivent être terminés rapidement, dans un temps imparti. Et ce temps, c’est le temps de sommeil de l’enfant. En fait, de nombreux employés s’en trouvent plus productifs à leur retour sur le lieu de travail, capables de maintenant d’être rapides et « multi-tâche ».
Il ne faut pas oublier que le congé parental n’en a que le nom et n’a rien à voir avec un « congé ». Il s’agit d’une séparation temporaire d’un employé de son lieu de travail. Les entreprises devraient elles aussi comprendre que cette situation est gagnant-gagnant, bénéfique tant pour l’employeur que pour l’employé. Cela permettrait, je pense, de faire bouger les choses dans le monde professionnel.
(Photo de titre : Pixta)