Les États-Unis de Trump et le Japon

Le Japon et la Corée du Sud à l’ère de la diplomatie trumpienne

Politique International

Kimura Kan [Profil]

Un expert japonais se penche ici sur le désaccord grandissant entre le Japon et la Corée du Sud avec, en toile de fond, les courants politiques à l’œuvre dans chacun des deux pays et l’érosion des alliances traditionnelles sous la présidence de Donald Trump.

L’inadéquation des alliances

Cette divergence entre les points de vue du Japon et de la Corée du Sud est secondaire par rapport à l’erreur qu’ils partagent dans leur façon d’interpréter l’approche basique du gouvernement Trump en matière de sécurité en Asie du Nord-Est. Trump minimise systématiquement le rôle du Japon et de la Corée du Sud dans la stratégie géopolitique des États-Unis – tout récemment encore à la veille du sommet d’Osaka du G20, lorsqu’il s’est plaint du fardeau « injuste » que représentent les accords de sécurité nippo-américains. Pour le gouvernement actuel des États-Unis, ni l’une ni l’autre des alliances bilatérales ne sont gravées dans le marbre. L’attitude de Washington envers tel ou tel pays se fonde exclusivement sur les intérêts américains dans une situation donnée.

Et pourtant, Tokyo et Séoul continuent de se comporter comme si chacun était le pivot de la politique de Washington en Asie du Nord-Est. Ils partent de l’idée que le gouvernement Trump apportera son soutien au pays qu’il juge le plus utile à la réalisation de son grand dessein — à supposer qu’un tel dessein existe. Ils rivalisent en fait pour obtenir les faveurs d’une Maison blanche qui appartient au passé. On peut comprendre leur confusion : après tout, à peine quatre ans se sont écoulés depuis que le président Barack Obama, soucieux de consolider une coopération sécuritaire trilatérale dans la région, a négocié un accord entre Tokyo et Séoul pour mettre fin au conflit à propos des « femmes de réconfort ». Il se trouve malheureusement que le gouvernement Trump n’obéit pas aux mêmes motivations. Si bien que le « combat de coqs » continue entre Tokyo et Séoul. Peut-être sommes-nous en train d’assister au chapitre final de cette longue histoire d’une coopération sécuritaire en Asie du Nord-Est centrée sur les États-Unis et leurs alliances bilatérales avec le Japon et la Corée du Sud...

Que va-t-il émerger à sa place ? Séoul va-t-elle chercher les faveurs de Pékin, dans un contexte où la charge de la sécurité régionale reposera entièrement sur l’alliance nippo-américaine ? Un scénario de ce genre est peu probable.

Si l’on veut anticiper la forme que les choses vont prendre, mieux vaut tourner le regard vers la réaction récente du gouvernement Trump aux attaques de pétroliers (dont un appartenait à une société japonaise) dans le détroit d’Ormuz. Le 9 juillet, le général des marines Joseph Dunford, chef d’État-Major des armées des États-Unis, a annoncé que son pays avait le projet de constituer une « coalition des bons vouloirs » en vue de protéger la navigation commerciale dans les eaux de l’Iran et du Yemen.

En prélude à cette annonce, Trump avait posté un tweet le 24 juillet. En mentionnant nommément la Chine et le Japon (dans cet ordre), Trump demandait pourquoi les États-Unis « protègent les voies maritimes commerciales pour d’autres pays » alors que l’Amérique n’a pas besoin du pétrole du Moyen-Orient. Il est révélateur que cette déclaration ne fasse aucune distinction entre la Chine et le Japon (allié des États-Unis) en tant que pays qui méritent la protection des États-Unis.

Sous le règne de la diplomatie trumpienne, les alliés de longue date de l’Amérique sont en train de perdre leur statut privilégié. L’évolution de la dernière altercation entre Tokyo et Séoul est le reflet de cette tendance plus large et plus inquiétante. Peut-être est-il temps de voir le conflit bilatéral sous un nouveau jour, en prenant en considération cette plus large perspective.

(Photo de titre : le président sud-coréen Moon Jae-in [devant, second à partir de la gauche] et le premier ministre japonais Abe Shinzô [devant, second à partir de la droite] au sommet d’Osaka du G20, le 29 juin 2019. Jiji Press)

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Kimura KanArticles de l'auteur

Professeur à l’Université de Kobe ; président du Forum Pan-Pacifique. Titulaire d’un doctorat de droit de l’Université de Kyoto. A été expert invité à l’Université Harvard, à l’Université de Corée et à l’Institut Sejong. Auteur de plusieurs ouvrages, dont Kankoku ni okeru « ken'ishugiteki » taisei no seiritsu (La mise en place du système autoritaire sud-coréen), qui a reçu le Prix Suntory pour les sciences sociales et humaines.

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