La loi sur le peuple Aïnou : quelle déception !

Société Politique

Higashimura Takeshi [Profil]

La nouvelle loi de 2019 qui reconnaît les Aïnous comme un peuple indigène du Japon n’est pas aussi révolutionnaire que ses partisans le suggèrent. On remarquera notamment qu’elle ne contient aucune excuse pour la façon dont les Aïnous ont été traités tout au long de l’histoire, ni la moindre mention d’un éventuel rétablissement des droits des populations autochtones.

Le 19 avril 2019, la Diète nationale japonaise a remplacé la Loi sur la promotion de la culture aïnou, qui prévalait jusque-là, par un nouveau texte qui s’engage à « instaurer une société respectueuse de la fierté des Aïnous ». Bien des gens estiment que cette initiative était attendue depuis longtemps et pourtant, le 1er mars, des opposants aïnous ont tenu une conférence de presse au Club japonais des correspondants étrangers pour demander le retrait de ce texte au motif que le rétablissement de droits des populations autochtones tels que le droit à la pêche ou à la terre, qui constituent des éléments essentiels des législations similaires appliquées dans les pays occidentaux, n’y figurait pas.

Un progrès embryonnaire

Le débat sur l’opportunité d’élaborer une nouvelle loi sur les Aïnous remonte à 1984, quand la version antérieure de l’actuelle « Association aïnou de Hokkaidô » a cherché à faire passer le projet de loi qu’elle avait rédigé. À l’époque, une loi discriminatoire, qui encourageait l’assimilation forcée et dont l’intitulé contenait l’expression offensante « anciens aborigènes » (kyû dojin), était toujours en vigueur. Les rédacteurs du nouveau projet, qui voulaient le substituer à ce texte périmé, avaient inclus des droits supplémentaires pour le peuple aïnou tels qu’un fonds de soutien autonome et des sièges au parlement attribués selon des critères ethniques. La loi a finalement été adoptée en 1997, mais elle avait entre-temps été considérablement altérée et on lui a reproché de se focaliser étroitement sur la culture aïnou au détriment des droits des autochtones.

L’adhésion du Japon à la Déclaration sur les droits des peuples autochtones adoptée par les Nations unies en 2007 a relancé le débat. L’année suivante, la Diète a passé une résolution demandant que les Aïnous soient officiellement reconnus comme peuple autochtone, et le gouvernement a mis sur pieds une commission consultative chargée de se pencher sur la politique à l’égard des Aïnous. Cette commission a remis son rapport en 2009 au gouvernement qui, la même année, a ouvert une réunion en vue d’élaborer une politique. C’est de ce processus qu’est issue la loi de 2019 qui vient de passer.

Préalablement à l’adoption de la loi, le gouvernement a pris la décision de créer un Musée et un Parc national aïnou à Shiraoi (préfecture de Hokkaidô). Ce site, dont l’ouverture est prévue au printemps 2020, aura pour vocation d’être un lieu d’expositions, de recherche, de formation culturelle, de stages et d’événements visant au partage d’informations ; il hébergera en outre un parc et une zone dédiée aux cérémonies commémoratives.

Ni regrets ni excuses

Compte tenu de cet arrière-plan et de la promesse solennelle d’instauration d’une société respectueuse de la fierté des Aïnous formulée dans la nouvelle loi, on pourrait être tenté de penser que le Japon s’est enfin doté d’une politique conforme aux souhaits du peuple aïnou. Mais un regard plus attentif révèle que de nombreuses questions restent en suspens.

On nous dit que c’est la première fois que le gouvernement japonais fait passer une loi reconnaissant les Aïnous comme peuple autochtone, mais le nouveau texte ne garantit aucun des droits stipulés dans la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de 2007. Pour justifier cette absence de conformité avec la déclaration de 2007, les autorités se sont abritées derrière la difficulté à établir le caractère autochtone d’un peuple et l’inadaptabilité au Japon des mesures prises dans divers autres pays. Mais cette insistance à forger une ligne politique « à la japonaise » n’est rien d’autre qu’une excuse. Les droits collectifs, et tout particulièrement les droits à l’autodétermination et à la terre, jouent un rôle essentiel dans l’identité des peuples autochtones, or il se trouve que le gouvernement ne manifeste pas la moindre intention de les garantir.

Sachant que la Diète a approuvé dès 2008 une résolution attribuant le statut autochtone aux Aïnous, promulguer dix ans plus tard une loi qui ne fait que répéter la même chose n’a guère de sens. La loi brille notamment par l’absence de toute mention de regret pour les politiques discriminatoires de colonisation appliquées à Hokkaidô et de toute demande d’excuse pour les souffrances infligées aux Aïnous. L’absence flagrante de tout sentiment de faute est l’une des raisons invoquées par les opposants aïnous pour réclamer le retrait pur et simple de la loi.

Ceci dit, quel est exactement le contenu de cette loi ? En complément aux clauses de la loi déjà en vigueur sur la promotion de la culture et aux projets d’ouverture d’un Musée et d’un Parc national aïnous, on y trouve des articles concernant la planification régionale. Mais il s’agit en l’occurrence de promouvoir le tourisme. C’est sur ce domaine que la couverture médiatique a eu tendance à se focaliser, mais, s’il est vrai que le tourisme a son importance, cela ne suffit pas à justifier le passage d’une nouvelle loi.

Suite > Le double jeu de l’État japonais

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Higashimura TakeshiArticles de l'auteur

Membre du personnel enseignant de l’Institut de hautes études du développement international de l’Université de Nagoya. Né à Hokkaidô en 1963. Parmi ses publications, citons « Une introduction aux Aïnous d’après-guerre et à leur relation avec le peuple Yamato » (Sengoki Ainu minzoku : Wajin kankeishi josetsu) et diverses contributions à « Une encyclopédie culturelle de la bombe atomique » (Genbaku o yomu bunka jiten).

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