L’ère Heisei en un coup d’œil

L’économie sous l’ère Heisei (1989-2019), quand la finance se débat après l’explosion de la bulle

Économie

Kuwabara Minoru [Profil]

Dans l’article qui suit, le premier de notre série consacrée à une analyse retrospective de l'ère Heisei (1989-2019), un spécialiste de l’économie se penche sur le combat mené par le secteur financier japonais pour se hisser au-dessus de la montagne de créances douteuses générée par l’effondrement des bulles spéculatives. En fin d’article, nous résumerons les principaux événements financiers de cette période.

Les trois décennies de l’ère Heisei ont eu un impact négatif sur le secteur bancaire japonais, dont la toute puissance s’est évanouie avec l’éclatement de l’économie de bulle et l’accumulation d’actifs non productifs qui en a résulté. En janvier 1989, date du début de l’ère Heisei, il y avait 21 grands établissements financiers, mais nombre d’entre eux n’ont pas survécu et les réorganisations se sont multipliées entre ceux qui restaient, si bien que, à la fin de l’ère, le secteur se réduit à trois grandes banques et une poignée de groupes financiers. Les banques continuent de subir les effets de la déflation, et l’assouplissement monétaire, en comprimant les taux d’intérêt, contribue lui aussi à la baisse des profits.

La chute des prix du foncier

Le 29 décembre 1989, l’indice Nikkei de la Bourse de Tokyo a battu tous les records avec un cours de 38 915, mais neuf mois plus tard, le 1er octobre 1990, ce chiffre avait chuté de moitié pour retomber sous la barre des 20 000. La bulle spéculative avait éclaté sur les marchés boursiers et la courbe des prix fonciers n’allait pas tarder elle aussi à s’infléchir rapidement.

Après avoir atteint un sommet en 1990, le prix des terrains commerciaux a décliné pendant 15 années consécutives, pour ne repartir à la hausse qu’en 2005. D’après l’Institut japonais de la propriété foncière, l’indice des prix des terrains commerciaux de six grandes villes (Tokyo centre-ville [23 arrondissements], Yokohama, Nagoya, Kyoto, Osaka et Kobe) a perdu 87 % par rapport à ses plus hauts niveaux. Le plongeon a été particulièrement spectaculaire en 1992 et 1993, avec des chiffres respectifs de 15 % et de près de 25 % de chute.

Ce déclin, d’une durée et d’une ampleur sans précédent dans le Japon d’après-guerre, a fait voler en éclat le vieux mythe de la hausse indéfinie des prix de l’immobilier. Les banques qui finançaient la spéculation des établissements financiers comme des promoteurs immobiliers ont vu leurs prêts partir en fumée quand la bulle a éclaté.

Les biens fonciers servent couramment de garantie aux emprunts bancaires ; si bien que, lorsque leur valeur baisse sur le marché, le montant maximal susceptible d’être emprunté risque lui aussi de diminuer. Pour emprunter le même montant, on peut se voir demander un supplément de garantie. C’est pourquoi l’éclatement de la bulle du foncier a été particulièrement douloureux pour les établissements financiers non bancaires et les agents immobiliers, même si d’autres acteurs économiques ont eux aussi souffert. Pour les entreprises, une restriction du crédit associée à de mauvais résultats commerciaux pouvait facilement provoquer une panne de trésorerie.

Effacer 100 000 milliards de yens de créances irrécouvrables

La détérioration des finances a provoqué une pléthore de dépôts de bilan, à tel point que le montant total des dettes des entreprises en faillite, qui se situait juste au-dessus de 2 000 milliards de yens en 1990, est passé à 8 000 milliards l’année suivante. Le chiffre a franchi la barre des 10 000 milliards en 1997 et atteint 24 000 milliards en 2000, battant par la même occasion tous les records. Il a légèrement diminué par la suite, mais il est resté supérieur à 10 000 milliards de yens jusqu’à la fin de l’année 2003 et son impact dévastateur sur l’économie a continué de se faire sentir.

Les pertes imputables aux créances irrécouvrables ont été absorbées par les profits accumulés par les banques. Celles-ci pouvaient en outre réaliser les plus-values latentes de leurs participations, dont la valeur marchande était considérablement plus élevée que la valeur comptable. Mais ces profits potentiels ont fini par se tarir. Avec l’éclatement de la bulle financière, leur montant total pour le secteur bancaire est passé de quelque 50 000 milliards de yens en 1990 à 38 000 milliards l’année suivante puis à 20 000 milliards en 1992. En 1998, il ne restait plus rien. Nombre de banques ont été contraintes de vendre leurs parts pour tenter de passer par pertes et profits leurs créances irrécouvrables, mais ces initiatives ont eu un effet pervers en aggravant la chute des prix. Pour empêcher la formation d’un engrenage à la baisse, la Banque du Japon a pris le parti inhabituel de racheter en 2002 les parts détenues par les banques privées.

En 1992, peu après l’éclatement de la bulle, le montant des actifs non productifs détenus par les banques s‘élevait à 8 000 milliards de yens. Passé à 13 000 milliards en 1993, puis à 40 000 milliards en 1995, il a fini par culminer à 52 000 milliards en 2002. Le ratio des actifs non productifs au total des prêts a lui aussi atteint un sommet en 2002, à 8,6 % (pour tous les établissements financiers recevant des dépôts). 100 000 milliards de yens et plus – l’équivalent de 20 % du produit intérieur brut du Japon – de créances irrécouvrables ont été passés par pertes et profits depuis l’éclatement de la bulle. À l’évidence, le coup a été rude pour le secteur bancaire.

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Kuwabara MinoruArticles de l'auteur

Né à Tokyo en 1952. Diplômé de la Faculté de droit de l’Université Chûô, il a rejoint l’Institut Kinzai, une société de gestion des affaires financières où il est devenu directeur adjoint du bureau, éditeur de l’hebdomadaire Kinyû zaisei jijô (Journal des affaires financières). Occupe son poste actuel depuis 2017.

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