Comment vivent les Japonais âgés après la mort de leur conjoint

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Kotani Midori [Profil]

Alors que la société japonaise vieillit et que les familles sont de plus en plus nucléaires, un nombre croissant de personnes âgées isolées vivent seules après le décès de leur conjoint, en ayant peu d’amis sur qui elles peuvent compter. Dans un tel contexte, comment mieux vivre le dernier âge de la vie ?

Des hommes qui dépendent trop de leur épouse

Beaucoup d’hommes âgés sont mal armés pour la vie. La plupart des femmes âgées de 75 ans et plus ont passé leur vie comme femme au foyer, dont elles avaient l’entière charge. L’époux, lui, ne participait généralement pas aux tâches ménagères. Une enquête d’un autre organisme indique que plus de 60 % des hommes dans la soixantaine ne préparent même pas à dîner une fois par semaine.

Une de mes connaissances masculines qui a perdu sa femme à l’âge de 70 ans n’avait jamais rien fait chez lui jusqu’à la mort de sa femme. Il vit à présent seul et dîne à l’extérieur tous les jours, même lorsque c’est sa seule sortie de la journée. Peut-être est-ce une bonne chose, car cela fait qu’il ne vit pas reclus, mais même pour le petit déjeuner qu’il mange chez lui, il ne cuisine pas, se contentant de mettre une tranche de jambon ou du fromage sur du pain.

Un autre homme que je connais, lui aussi veuf, se fait apporter son dîner chaque jour par sa fille qui habite à proximité. Celle-ci travaillant à mi-temps et ne rentrant chez elle qu’en fin de journée, il se nourrit à midi d’un bentô (boîte-repas) qu’il achète dans le supermarché du quartier, mais il dit avoir du mal à choisir entre les divers plats proposés. Un nombre surprenant d’hommes est dans son cas, peut-être parce qu’ils se sont toujours contentés de manger passivement ce que leur femme mettait dans leur assiette.

Les femmes ont des carences alimentaires après la mort de leur mari

Les veuves âgées qui vivent seules ont pour leur part tendance à ne pas cuisiner tous les jours. Beaucoup d’entre elles se nourrissent plusieurs jours de suite de quelque chose qu’elles ont préparé en quantité ou de repas très simples. Selon le rapport de l’étude de 2016 sur la nutrition et la santé des Japonais du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, 22 % des femmes âgées de plus de 65 ans ont un indice de masse corporelle (IMC) inférieur à 20, c’est-à-dire qu’ elles sont en légère dénutrition. Ce pourcentage passe à 34,3 % chez les femmes de plus de 85 ans. Il ne s’agit pas d’une étude portant sur les personnes vivant seules, mais comme leur nombre augmente avec les années, l’on peut penser que les femmes qui sont veuves et vivent seules sont exposées au risque d’un déficit nutritionnel même si elles savent faire la cuisine.

Les divorces posthumes en augmentation

Ces dernières années, les relations qu’entretiennent les veuves avec la famille de leur conjoint changent. Chaque année, plus de veuves remplissent la déclaration de dissolution posthume des liens du mariage. Communément appelé « divorce posthume », cette déclaration dissout les liens avec la famille de l’époux. Au Japon, le mariage crée non seulement un lien avec le conjoint mais aussi un lien de parenté avec ses parents et ses frères et sœurs. Le divorce rompt ces liens, mais si le décès d’un conjoint met fin à la relation conjugale, les liens avec la parenté de celui-ci demeurent. C’est la raison pour laquelle, si le conjoint défunt était le fils aîné, on considérait normal que la veuve prenne en charge les parents âgés de celui-ci et s’occupent d’entretenir la tombe familiale.

Mais les familles sont de plus en plus du type nucléaire, et il semble qu’un nombre croissant de femmes souhaitent se débarrasser de cette obligation vis-à-vis de leurs beaux-parents, ce qui les conduit à soumettre cette déclaration de dissolution posthume des liens du mariage, parce qu’elles estiment s’être mariées avec leur époux et non avec sa famille (voir notre article plus en détail : Le « divorce posthume », une déclaration d’indépendance des femmes).

Une solution : des activités régulières grâce à des cercles d’échange

Je suis moi-même veuve depuis 8 ans. À l’université Rikkyō où j’enseigne, il existe une second school pour les personnes âgées de 50 ans et plus. Certains de ses étudiants présents et passés ont créé un cercle d’échange destiné aux veufs et veuves. Ce cercle s’est donné pour slogan « Ne nous laissons pas emporter par le chagrin d'avoir perdu son conjoint, mais jouissons deux fois plus de la vie ! ». Il organise des événements divers dont même un défilé de mode masculin. J’aimerais que de tels cercles voient le jour un peu partout.

Des veufs participant à un défilé de mode (photo avec l’aimable autorisation de l'auteur)
Des veufs participants à un défilé de mode (Photo : Kotanio Midori)

Maintenant que la plupart des couples âgés vivent seuls et ne comptent que l’un sur l’autre, il est inévitable que le décès d’un conjoint conduise à l’isolement. Une société vieillissante dans laquelle de plus en plus de personnes âgées se retrouvent solitaires exige d’établir des relations diversifiées tant que c’est possible.

(Article écrit à l’origine en japonais. Photo de titre, prise par l’auteur : défilé de mode pour les veufs et les veuves au sein du temple Kôbô-ji, à Tokyo, en décembre 2018)

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Kotani MidoriArticles de l'auteur

Née dans la préfecture d’Osaka. Chercheur principal au centre de recherches sur la « conception de la vie » (Life Design) de l’Institut de recherches économiques Daiichi Life. Spécialiste des questions d’ordre thanatologique et funéraire. Après un master à l’Université féminine de Nara, elle entre en 1993 à l’Institut de recherches Life Design à présent intégré dans l’Institut de recherches Daiichi Life. Titulaire d’un doctorat en sciences humaines obtenu en 2009. Auteur de divers ouvrages dont Hitori shi jidai no osôshiki to ohaka (Le problème des funérailles et des tombes quand les gens meurent seuls, Iwanami shoten, 2017) et Hitori shûkatsu : fuan ga kieru banzen no sonae (Comment se préparer seul à la mort sans inquiétudes, en planifiant tout à l’avance, Shôgakukan, 2016)

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