Échapper à l’emprise de ses parents et de la secte Moon : le témoignage d’une ex-adepte japonaise

Société

L’assassinat de l’ancien Premier ministre Abe Shinzô par le fils d’une adepte de la secte Moon a mis sous le feu des projecteurs le sort des victimes de ce culte religieux. Sous couvert d’anonymat, une ancienne adepte nous livre son témoignage.

Traitée de « démon » par ses propres parents

À 19 ans, elle décide de quitter le foyer familial. Sa tante est dans la confidence. Après avoir réglé les derniers détails avec ses proches, elle saisit sa chance.

« J’ai attendu que mes parents soient occupés à travailler pour la secte. J’ai pris ma valise et suis partie. » Elle se rend dans une autre préfecture où elle rejoint son oncle et sa tante. Mais ses parents comprennent rapidement où elle se trouve. « Ils ont dit à mon oncle et à ma tante — qui essayaient seulement de me protéger — qu’ils devraient se suicider. Ils racontaient qu’ils me ramèneraient à la maison pour me rééduquer parce que j’étais devenue un “démon” ». Sentant le danger, elle part en cavale pendant un certain temps, ses parents ne cèdent pourtant pas. « Ils me poursuivaient. Une fois, ils ont même demandé à la police de me ramener à la maison. »

Sa tante prend finalement contact avec un avocat coutumier de l’aide aux victimes de la secte Moon. Après courte une bataille judiciaire, la jeune femme est légalement autorisée à couper tout lien avec ses parents, qui s’engagent alors de leur côté à ne pas tenter de la faire revenir de force au foyer familial.

« J’ai eu la chance d’être soutenue par des proches. », explique la jeune femme. « Et je leur en suis éternellement reconnaissante. Il doit être très difficile pour un disciple de rompre avec la secte comme je l’ai fait. Il n’aurait probablement même pas l’idée d’en parler avec quelqu’un de l’extérieur. C’est dire combien est forte l’emprise et des parents et de la secte sur les adeptes de deuxième génération. »

Les parents de la jeune femme disaient que l’avocat qui l’avait aidée à se libérer de leur emprise était « un démon », mais c’est par son entremise que sa mère lui a tout de même fait parvenir dix lettres. Pourtant, dans aucun de ces messages elle ne lui disait qu’elle serait libre de ne pas fréquenter la secte, elle enjoignait seulement sa fille à revenir à la maison.

Après l’assassinat d’Abe Shinzô, le vrai visage de la secte dévoilé

Notre témoin nous a également fait part de ses réflexions sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre Abe Shinzô. Yamagami Tetsuya, l’homme qui arrêté pour ce meurtre, a déclaré que les difficultés financières de sa famille étaient le motif de son ressentiment, sa mère donnant tout leur argent à la secte Moon. Et il pensait l’ancien dirigeant japonais lié au culte.

« Quand j’ai appris que la secte était à l’origine de l’assassinat d’Abe, ma première réaction a été la tristesse. » Cependant, elle dit comprendre Yamagami, qu’il se soit senti acculé au meurtre, et elle ne peut se résoudre à condamner son acte.

Après le décès tragique d’Abe, les médias commencent à parler de la secte Moon. Elle découvre alors les horreurs commises par le groupe religieux et en reste profondément choquée. « Certes, je ne voulais pas retourner dans ma famille, mais personnellement, je ne me m’étais jamais dit que la secte était mauvaise en soi », admet-elle. C’est en regardant les reportages sur les pratiques abusives, avec notamment de l’extorsion de fonds et des dons forcés, qu’elle commence à faire le lien avec sa propre histoire. « Je me souviens que mon père appelait parfois d’autres adeptes qui venaient de recevoir un peu d’argent, par exemple à l’occasion d’un héritage, et leur demandait combien ils avaient l’intention de donner à la secte. Il chapitrait aussi sévèrement ceux qui ne parvenaient pas à convaincre un potentiel converti d’intégrer le culte ».

Vivre dans la peur d’être retrouvée par ses parents

Rescapée de la secte Moon, elle a su couper les ponts avec ses parents et ses anciens camarades. Depuis, elle s’est fait de nouveaux amis, elle a rencontré et épousé un homme qui comprend ce par quoi elle est passée. Aujourd’hui, elle a des enfants et un travail. Si est désormais maître de son destin, elle confesse pourtant ne pas parvenir à se débarrasser ni des enseignements, ni de sa peur de la secte.

« Au début, boire un verre suffisait à me faire culpabiliser. Oui, j’étais partie de chez mes parents, mais il m’a fallu de longues années avant de parvenir à jeter à la poubelle ma photo de Moon. Les enseignements de la secte étaient en moi, même si je n’avais jamais été vraiment croyante. »

Dix ans après avoir coupé les ponts avec la secte Moon et ses parents, elle peut aujourd’hui regarder en face les sentiments complexes qui l’habitent et tenter de se défaire de l’emprise. « Petite, on m’a constamment dit que j’irais en enfer si je choisissais le mauvais amoureux. Vous ne pouvez peut-être pas comprendre, mais quand j’ai quitté la maison, j’étais sûre d’être damnée. Je n’ai toujours pas réussi à me défaire de ce sentiment. »

Elle reste toujours hantée par la peur d’avoir à retourner chez ses parents et par la crainte que son enfant ne soit enlevé. Elle continue de faire attention à ce que ses parents ne puissent retrouver sa trace. La loi lui permet de limiter par exemple l’accès aux informations relatives à son lieu de résidence, elle s’est inscrite en ce sens au poste de police local et doit donc s’acquitter tous les ans de démarches administratives. Chaque renouvellement de dossier décuple sa détermination.

« Je n’ai rien fait de mal », déclare-t-elle. « Je ne comprends pas pourquoi je devrais continuer à me battre. Cette seule pensée me rend triste, mais je crains de ne jamais réussir à saper cette conception déformée de l’amour que m’ont inculquée mes parents. »

Aujourd’hui, elle regarde la secte Moon d’un œil critique. « Quel genre de secte est-ce donc ? Elle dit prôner l’harmonie familiale alors qu’elle ne me laisse pas d’autre choix que de couper les ponts avec mes propres parents ? Combien d’enfants ont eu à souffrir de la sorte ? Pour moi, il est flagrant que la secte Moon est une organisation criminelle qui méprise le droit des enfants. Les adeptes doivent prendre conscience de cette vérité. »

Articles liés

(Reportage et texte d’Ogawa Masanori, de Power News. Photo de titre : Pixta)

Tags

société religion jeune secte

Autres articles de ce dossier